
Après cette annonce il part, déboussolé vers le Nord, puis aux obsèques, puis vers Haïti, prévenir sa mère qui vit y toujours, de la mort de son époux, un époux qu’elle a peu connu. Le père était un opposant de Papa Doc, le fils était recherché par son fils Baby Doc. A une quinzaine d’année d’intervalle ils ont quitté cette femme qui vit seule depuis, dans la pauvreté, l’épouse et la mère, quitté Haïti, l’un et l’autre afin de ne pas subir la violence des « tontons macoutes », des tueurs des Duvallier.
Un père qu’il n’a presque pas connu :
« Il m’a donné naissance.
Je m’occupe de sa mort.
Entre naissance et mort
on s’est à peine croisés. » (P. 290)
Il avait quatre ans quand son père est parti, un père qu’il a peu connu, un vague souvenir, il n’avait pas vingt ans quand il a lui-même quitté Haïti
Haïti qu’il retrouve, un Haïti sale, violent, sous-développé, une île dans laquelle rien n’a changé au fil des générations, sauf l’envie de quitter le pays.
Routes défoncées, misère de la population, vieilles voitures pourries, violences policières, très belles maisons de trafiquants de tout poils sur les collines surplombant les bidonvilles surpeuplés, pauvres toujours plus pauvres, crevant de faim, toujours plus exploités, riches toujours plus riches, corruption généralisée…le pire côtoyant le meilleur.
Haïti n’a pas changé, et s’enfonce de plus en plus dans la misère, dans la violence..Et Haïti est aussi une belle île, peuplée de personnes très attachantes, accueillantes, ayant le cœur sur la main…
Le sordide et la violence des hommes de la dictature, la beauté des paysages, la gentillesse de la majorité de la population
J’avoue avoir été dérouté dans les premières pages du livres par la forme choisie par l’auteur qui alterne, page après page, une écriture en prose, classique pour un roman, à une écriture sous forme de poèmes sans rimes, de trois à dix vers environ. Puis très vite je me suis laissé prendre par ce texte, par cette écriture, par ces poèmes, caressants décrivant aussi bien la beauté de cette île, la beauté de ses habitants ou violents, véritables coups de poings parfois, pour nous parler de la violence, de la misère et de la corruption.
Et quand on a pris l’habitude d’enregistrer les belles phrases de ses lectures, on ne sait quelle partie de ce roman enregistrer pour la garder en mémoire…il y en a tant!
J’ai été séduit par cette écriture, par ce texte, par ces descriptions, par cette atmosphère, cette beauté et cette crasse, cette bonté de cœur et cette violence, cette prose et ces vers.
Découverte d’un auteur, qui bien que non français a été choisi par les académiciens français pour être l’un des leurs…une découverte qui n’en restera pas là. J’en reparlerai
Une toute petite partie des textes qui m’ont touché
« La nouvelle coupe la nuit en deuxL’appel téléphonique fatalque tout homme d’âge mûrreçoit un jourMon père vient de mourir » (Première phrase du livre)
« On peut bâtir sa maisonnettesur le flanc d’une montagnepeindre les fenêtres en bleu nostalgieEt planter tout autour des lauriers rosesPuis s’asseoir au crépuscule pour voirle soleil descendre si lentement dans le golfe.On peut bien faire cela dans chacun de nos rêvesOn ne retrouvera jamais la saveurde ces après-midi d’enfance passés pourtantà regarder tomber la pluie. » (P. 22)
« Cette gaieté triste me tombe dessustoujours à la même heure.Au moment où les voitures allumentleurs phares le soir qui balai en ma chambreme faisant revivre des terreurs enfantinesJe me terre sous sous les draps. » (P. 57)
« Il m’a fallu plus d’un demi-siècle pour retrouver cette force de caractère que j’avais au début. Le force de dire non. Faut s’entêter. Se tenir debout derrière son refus. Presque rien qui mérite un oui. Trois ou quatre choses au cours d’une vie. Sinon il faut répondre non sans aucune hésitation. » (P. 58)
« Jusqu’à la fin,même sale,même fou,mon père est restéle dandy qu’il avait été.Il n’y a pas d’explication au charme. » (P. 65)
« Mon père vivait dans une petite chambre presque vide que mes oncles m’ont fait visiter après l’enterrement sous la pluie dans ce cimetière de Brooklyn. Il s’était, vers la fin, dépouillé de tout. Il fut toute sa vie un solitaire malgré le fait que ses activités politiques le poussaient vers les gens. Depuis vingt ans, chaque jour, en été comme en hiver, il faisait l’aller et retour à pied de Brooklyn à Manhattan. Sa vie se résumait à cet incessant va-et-vient. Il ne lui restait pour tout bien que cette valise qu’il avait placée à la Chase Manhattan Bank. » (P 67)
« Mon père a passéplus de la moitiéde sa viehors de sa terrede sa langue,comme de sa femme » (P. 67)
« Si on n’est pas maigre à vingt ans en Haïti, c’est qu’on est du coté du pouvoir. » (P. 96)
« Pour survivre ne serait-ce que moralementdans cette ville où les règles changentselon la tête du client,le riche doit éviter de croiserle regard du pauvre. » (P. 125)
« Interdire le klaxon à Port-au-Prince serait de la censure. » (P. 139)
« Le dictateur m’avait jeté à la porte du pays. Pour y retourner, je passe par la fenêtre du roman. » (P. 161)
« Je pense à ma mère qui, elle,n’a jamais quitté son quartier.Je pense à ces six millions d’Haïtiensqui vivent sans espoir de partir un jour,ne serait-ce que pour aller respirerun bol d’air frais en hiver.Je pense aussi à ceux qui pourraient le faireet qui ne l’ont pas fait.Et je me sens mal à regarder ma villedu balcon d’un hôtel. » (P. 180)
« Tout est miracle danscette petite localité.D’abord le simple fait d’exister. » (P. 244)