« La chouette aveugle » – Sadegh Hedayat

la-chouette-aveugleRoman salué par les surréalistes en 1953 lors de sa parution, « La chouette aveugle » est un texte aux allures fantastiques. Le livre d’un auteur resté dans l’ombre qui a choisi de partir en 1951.
Monologue d’un homme, hanté par des hallucinations sordides dues à l’opium, confondant ses visions et la réalité, déroutant souvent le lecteur, qui comme lui est parfois un peu perdu.  Livre difficile.chouette-1
Un homme malade, dépressif,  qui manifestement ne connaît pas le bonheur, vit seul, à une époque ancienne, en Perse, dans la cité de Rhagès, dans sa chambre .Il vit pauvrement en décorant des cuirs d’écritoires. ll est marié mais son épouse, qui est également sa cousine germaine n’a jamais voulu se donner à lui, ni même l’embrasser. Une épouse qui le trompe

Personne ne trouve grâce à ses yeux il vit dans un monde de « canailles », représenté par le boucher armé de son « couteau à manche d’os » ou le vieux brocanteur. Le seul personnage féminin ayant grâce à ses yeux est sa vieille nourrice. Aucune issue à sa détresse, la seule solution est la mort…une idée obsédante, qu’il soit ou non sous l’emprise de l’opium. Une atmosphère lourde et pesante
Ce roman n’a pu être écrit que par un homme lui-même torturé, souffrant d’un mal moral, d’un mal-être, hanté par des idées noires, par l’existence de Dieu, par la religion.chouette-2
« En de telles conjonctures, chacun cherche refuge dans une habitude solidement enracinée, une manie: le buveur boit, l’écrivain écrit, le sculpteur sculpte, bref, chacun a recours, pour mettre fin à son tourment, au mobile le plus puissant de sa vie, et c’est alors qu’un véritable artiste peut tirer de lui-même des chefs-d’œuvre. Mais moi, moi qui n’avais aucun talent, moi, misérable décorateur de cuirs d’écritoires, que pouvais-je faire? »
Il nous en apprend beaucoup, en tout cas c’est comme cela que je l’ai reçu, sur les drames, sur cette perception de soi et des autres qui peuvent pousser un homme à vouloir quitter notre monde, sur cette détresse visible,  mais souvent incompréhensible devant laquelle on se découvre impuissant. « La mort fredonnait doucement sa chanson, comme un bègue qui se reprend à chaque mot, et qui, à peine arrivé à la fin d’un vers, doit recommencer. »

C’est cette détresse d’un proche, à laquelle chacun peut être confronté, qui m’a touché, détresse qui peut être causée par la drogue


Qui est Sadegh Hedayat


Quelques lignes
  • Il est des plaies qui, pareilles à la lèpre rongent l’âme, lentement, dans la solitude. [….] l’homme na’ pas trouvé de remède à ce fléau. Les seules médecines efficaces sont l’oubli que dispense le vin, et la somnolence artificielle procurée par la drogue et les stupéfiants. Les effets n’en sont hélas, que passagers : loin de se calmer définitivement, la souffrance ne tarde pas à s’exaspérer se nouveau. » (P. 23)
  • « Je n’ai qu’une crainte, mourir demain, avant de m’être connu moi-même. En effet, la pratique de la vie m’a révélé le gouffre abyssal qui me sépare des autres : j’ai compris que je dois, autant que possible, me taire et garder pour moi ce que je pense. Si, maintenant, je me suis décidé à écrire, c’est uniquement pour me faire connaître de mon ombre –mon ombre qui se penche sur le mur, et qui semble dévorer les lignes que je trace. C’est pour elle que je veux tenter cette expérience, pour voir si nous pouvons mieux nous connaître l’un l’autre. […] Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur; il faut que je me fasse connaître d’elle. » (P.25-26)
  • « Alors j’augmentais mes doses d’alcool et d’opium.  Par malheur, ces remèdes de désespoir ne parvinrent pas à m’engourdir et à me procurer l’oubli. Bien au contraire, de jour en jour, d’heure en heure, de minute en minute, son corps, son visage  se matérialisaient plus vigoureusement devant moi » (P. 39)
  • « Je voulais chasser le démon qui, depuis si longtemps, me torturait , je voulais consigner mon tourment sur le papier. » (P. 79)
  • « Je n’ai ni argent pour le juge, ni religion pour le diable. » (P. 81)
  • « Ma vie à moi n’a jamais comporté qu’une seule et uniforme saison. On dirait qu’elle s’est écoulée dans une région froide, au milieu des ténèbres sans fin, cependant qu’éternellement, dans mon corps, une flamme brûlait, à la chaleur de laquelle je fondais comme cire. » (P. 84) 
  • « Les contes ne sont qu’une voie de retraite ouverte aux pauvres désirs que chaque narrateur a conçus dans l’étroitesse de sa mentalité héréditaire et qu’il n’a pu satisfaire. » (P.  108)
  • « Je traversais une sorte de processus de désintégration, de putréfaction. Je pensais à des chose auxquelles je ne pouvais moi-même croire. » (P. 112)
  • « Froide et indifférente, la vie révèle peu à peu à chacun le masque qu’il porte. Car tout se passe comme si chaque individu avait à sa disposition plusieurs masques. Certains emploient toujours le même : naturellement il se salit, il se ride. Ce sont les économes. D’autres conservent les leurs à l’intention  de leurs descendants, d’autres enfin en changent continuellement, mais dès que la vieillesse se fait proche, ils comprennent qu’ils en sont au dernier et qu’il se détériorera rapidement ; c’est alors qu’apparaît leur visage réel. » (P. 155)
  • « Je ne tenais plus à savoir si Dieu existe réellement ou s’il a été créé à leur propre image par les seigneurs de la terre, soucieux de conserver leurs prérogatives sacrées, afin de piller plus aisément leurs sujets -projection dans les cieux d’un état de choses terrestres. Je sentais alors combien religion, foi, croyance, sont choses fragiles et puériles en face de la mort. Autant de hochets à l’usage des heureux et des bien-portants. En regard de la terrible réalité de la mort et des affres que je traversais, ce qu’on m’avait enseigné sur les rétributions réservées à l’âme dans l’au-delà et sur le jour du Jugement m’apparaissait comme un leurre insipide. Les prières que l’on m’avait apprises étaient inefficaces devant la peur de mourir.. » (P. 138)

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