
Deux gamins de 10-11 ans se rencontrent dans les un village des Alpes Italiennes. Pietro d’une part, l’enfant de Milan vient avec ses parents, et accompagne son père, chimiste dans une usine de Turin, dans ses randonnées. Un père un peu fou qui veut gravir toutes les montagnes verticalement sans passer par les sentiers, qui enregistre ses courses sur des cartes…..
Pietro, quant à lui, a souvent le mal de la montagne l’obligeant à redescendre. Alors le père continuera seul ses randonnées « chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien »
Et Bruno d’autre part qui vit chez son oncle avec ses cousins et qui accompagne les vaches dans les alpages.
Bruno fera découvrir à Pietro les secrets de la montagne, lui apprendra à en lire les secrets, à comprendre la vie des torrents, à trouver les truites, les chamois et lièvres. Ensemble ils parcourent alpages, bois et glaciers, découvrent les « baite », ces hameaux de montagne abandonnés, quand le travail de Bruno lui en laisse le temps…Au fil des pages leur amitié forte se construit « Notre amitié semblait vivre un été sans fin. »
Le mal de la montagne obligera Pietro à rester seul dans la vallée, laissant son père et Bruno partir ensemble en montagne
Le temps passe, le père de Pietro décède d’un arrêt cardiaque sur la route, chacun des deux enfants suit sa route.
Pietro fait des études, découvre un autre plaisir de la montagne : celui de l’escalade. Bruno quant à lui est devenu maçon dans son village
Les circonstances de la vie, que je vous laisse découvrir, les amèneront à se retrouver une fois adulte, et à vivre une autre amitié, une amitié d’adulte, différente mais toujours aussi forte. L’un sera resté dans ses montages, l’autre aura parcouru le monde, et réalisera des films documentaires, rencontrera un homme en Orient qui lui présentera la symbolique des huit montagnes
Les phrases de Paolo Cognetti sont souvent empreintes de poésie, et précises dans les descriptions des forêts, des alpages, etc. On ferme les yeux un instant et on retrouve ces ballades, des forêts, ces mélèzes, ces sentiers, ces odeurs et ces bruits de torrents qu’enfant, on a pu connaître en juillet ou en août.
Un livre sur l’amitié, les relations au père, la filiation, la transmission des passions…dans lequel chacun de nous pourra retrouver son enfance, revivre avec nostalgie cette époque révolue, en retrouvant ces paysages connus autrefois, défigurés par l’homme, ces torrents ou rivières canalisés par des enrochements…« Un lieu que l’on a aimé enfant peut paraître complètement différent à des yeux d’adulte et se révéler une déception, à moins qu’il ne nous rappelle celui que l’on n’est plus, et nous colle une profonde tristesse. »
On y retrouve les paysages, la vie décrite par Frison Roche, les amitiés enfantines et la liberté des gamins le « La gloire de mon père » de Pagnol, les grands espaces de London..
Un livre lauréat du 71ème Prix Strega, l’équivalent du Goncourt en Italie.
Plaisir de lecture et réflexion philosophique sur la vie.
Bonheur !
Qui est Paolo Cognetti
Quelques lignes
- « Je commençai alors à comprendre que tout, pour un poisson d’eau douce, vient de l’amont : insectes, branches, feuilles, n’importe quoi. C’est ce qui le pousse à regarder vers le haut : il attend de voir ce qui doit arriver. Si l’endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensai-je, dans ce cas l’eau qui t’a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n’y a plus rien pour toi, c’est le passé. L’avenir, c’est l’eau qui vient d’en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. Le passé est en aval, l’avenir en amont. Voilà ce que j’aurais dû répondre à mon père. Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes. » (P. 40)
« Mon père détestait les skieurs, il ne voulait rien avoir à faire avec eux, trouvant qu’il y avait quelque chose d’arrogant dans leur petit jeu qui consistait à dévaler la montagne sans s’être donné la peine de la gravir, le long d’une pente aplanie par les décapeuses et équipée de câbles à moteur. Il les méprisait, parce qu’ils arrivaient en masse et ne laissaient rien d’autre que des ruines derrière eux. L’été, il nous arrivait parfois de croiser sur notre chemin le pylône d’un télésiège, ou quelque engin chenillé à l’arrêt sur une piste défoncée, ou les restes d’une station de ski désaffectée en haute altitude, une roue toute rouillée sur un bloc de béton planté au milieu des cailloux. » (P. 75)
« L’hiver, la montagne n’était pas faite pour les hommes et il fallait la laisser en paix. Dans la philosophie qui était la sienne, qui consistait à monter et descendre, ou plutôt à fuir en haut tout ce qui lui empoisonnait la vie en bas, après la saison de la légèreté venait forcément celle de la gravité : c’était le temps du travail, de la vie en plaine et de l’humeur noire. » (P. 76)
- « Moi aussi j’étais un émigré : j’avais hérité de mes parents l’idée qu’il fallait quitter son berceau pour finir de grandir ailleurs, et c’est ainsi qu’à vingt-trois ans, frais émoulu de mon service militaire, j’étais parti retrouver une fille à Turin. L’histoire avec la fille n’avait pas duré, celle avec la ville, si. Au milieu de ses vieux fleuves et de ses vieux cafés sous les arcades, je m’étais tout de suite senti à l’aise.. » (P. 123)
- « Et je savais une bonne fois pour toutes que j’avais eu deux pères : le premier était l’étranger avec lequel j’avais habité pendant vingt ans, en ville, et coupé les ponts pendant dix autres ; le deuxième était mon père de montagne, celui que j’avais seulement aperçu et pourtant mieux connu, l’homme qui marchait derrière moi sur les sentiers, l’amant des glaciers. Cet autre père m’avait laissé une ruine à reconstruire. Je décidai alors d’oublier le premier, et de faire le travail qu’il attendait de moi en sa mémoire. » (P. 181)
« Mais comme on dit, parfois, quand on veut avancer, il faut savoir revenir sur ses pas. À condition d’être assez humble pour le reconnaître. » (P. 282)
« De mon père j’avais appris, longtemps après avoir arrêté de le suivre sur les sentiers, que dans certaines vies il existe des montagnes auxquelles il est impossible de retourner. Que dans les vies comme la mienne ou la sienne, il est impossible de retourner à la montagne qui est au centre de toutes les autres, et au début de l’histoire de chacun. Et qu’il ne reste qu’à errer sur les huit montagnes à celui qui, comme nous, sur la première et la plus haute, a perdu un ami. » (P. 299)