« Pourquoi j’ai construit une maison carrée » – Jean Guilaine

Pourquoi j'ai construit une maison carréeJe n’aurais sans doute  jamais connu Jean Guilaine et ce livre sans cette bibliothécaire, qui me dit: « Vous me direz ce que vous pensez de ce livre…Je l’ai bien aimé ! Vous connaissez Jean Guilaine? Il est de Carcassonne… » 
Alors pourquoi pas faire mieux connaissance avec un voisin dont le profil scientifique, d’une part et le titre de Professeur au collège de France et de spécialiste du néolithique, d’autre part  m’auraient semblé ennuyeux, parce que sans rapport avec mes centres d’intérêts, sans cette suggestion littéraire pleine de sagesse.
Lire afin de mieux comprendre notre monde, est sans doute l’une des principales motivations d’un grand nombre de lecteurs et de lectrices. Et souvent chacun a sa propre période de prédilection et affectionne les auteurs issus de cette période ou l’ayant pour thème : contemporains, classiques…. 

Ma seule référence littéraire relative à la préhistoire fut « La Guerre du Feu » de J.H.Rosny aîné, reçu un soir de Noël de mon enfance dans l’édition Rouge et Or…et depuis, plus rien, pas un titre..
Alors oui, « Pourquoi j’ai construit une maison carrée », fut une découverte qui me procura un nouveau plaisir de lecture, celui d’une farce scientifique, souvent jubilatoire, mais oh combien sérieuse !
Quatre personnages principaux :Cano, est un jeune homme du néolithique, devant chasser et cueillir des baies ou des grains pour se nourrir. Il vit comme les autres membres de son groupe dans des tentes en peaux, qui sont progressivement remplacées par des huttes rondes..il a envie que les choses bougent, Golluk, le sage rigide et traditionaliste, n’ayant que les ancêtres comme références. Menil, père adoptif de Cano a quant à lui, constamment à la bouche le mot « progrès », il a voyagé, rencontré d’autres groupes, et veut initier ce progrès…Mais la résistance au changement est forte….et enfin Mémet, dirigeant politique cherchant à accroître son pouvoir…
En nous faisant partager le vie de ce groupe, pendant une génération, très souvent avec humour, le Professeur Jean Guilaine, spécialiste du Néolithique, nous fait connaître toutes les mutations que cette période de 10 000 ans de l’histoire du monde, connut : variations du niveau de la mer, passage de la cueillette à l’agriculture, de la chasse à l’élevage, des tentes en peaux aux habitations, construites en pierres, rondes dans un premier temps, rectangulaires ensuite, des groupes de maisons aux premiers villages…mais aussi l’arrivée des nuisibles que furent rats et souris, des animaux de compagnies, chiens et chats…la découverte fortuite des métaux, l’amour vrai et l’amour tarifé..déjà…l’empâtement des hommes et femmes devenus trop sédentaires et l’apparition d’une hiérarchie sociale…et de l’alcool.
Les anachronismes, voulus par l’auteur, nous feront sourire. Certaines conversations, assez décalées, entre personnages reprennent des expressions actuelles, sans doute afin de mieux nous montrer qu’aujourd’hui comme hier, l’Homme a toujours voulu améliorer sa condition, progresser, et que ces hommes et femmes du néolithiques furent les premiers hommes de notre ère moderne!
Jean Guilaine rétablit la vérité historique, en fin d’ouvrage.
Quel plaisir que celui d’apprendre, de découvrir,  de sourire de ces anachronismes..
Ces plaisirs nés de ces conversations décalées et modernes entre les personnages du roman, nous confrontent aussi à notre monde actuel.

Éditeur : Actes Sud – 2006 – 333 pages


Qui est Jean Guilaine


Quelques sourires

  • « – Je dois tout de suite vous prévenir. Le bâtiment a beaucoup évolué ces derniers temps. De jeunes architectes, la tête pleine de nouvelles idées, ont bouleversé les habitudes ancestrales. Alors, les maisons rondes, c’est fini.
    – Comment, fini? dit Balthazard, un vieux Montému.
    – Fini ! Passé de mode ! Ringard !
    – Et pour faire quoi ?
    – Des maisons carrées ou en rectangle, dit Ménil
    – Carrées ou en rectangle, mais c’est de la folie ! On n’a jamais vu ça !
    – Justement, ça existe. J’ai pu en voir, j’ai même mangé et dormi dans l’une d’elles, réservée aux amis de passage, une sorte de chambre d’hôtes, qui. Très pratique, en plus. Dans quelques-unes le sol est surélevé et l’on place les provisions sous la maison, dans des sortes de petites caves ou de débarras.
    – Et le toit? s’inquiète Malbar
    – En roseaux, branchages et boue séchée
    – C’est étanche, au moins ?
    – Tout à fait ; ni vent, ni soleil, ni chaleur, ni froid. Je vous le dis, le progrès, le progrès, mes amis! Et en plus, elles peuvent être grandes, ces demeures. On peut rajouter des pièces, en découper à sa guise à l’intérieur : une cuisine, une salle à manger, une chambre pour les parents, une pour les enfants. Je vous le répète, le progrès. Gardez le moral! 
    Mémet semble conquis, les Kalumié aussi. Mais quand le Vieux apprend que les adultes sont opté pour la construction de maisons à encoignures, il est dans une grande colère, disant à qui veut l’entendre:
    – Arkakoum ! Arkakoum ! Ce choix est une ineptie. Quand nous avons décidé, près de la mer, de construire des maisons rondes, nous n’avons fait que remplacer des tentes par d’autres tentes en matière plus solide. Mais la forme ancestrale, le rond, n’a pas bougé. Nous devons conserver des plans circulaires, qui ont été expérimentés pendant des lustres par nos devanciers. Le rond, voilà l’expérience et le sûreté !
    – Le rectangle ou le carré, constate Ménil, voilà l’avenir!
    – Ces jeunes architectes sont tous des sots, dit Golluk. Si nous les laissons faire, ils seront capables de construire un jour des gîtes pour plusieurs familles ou de bâtir des maisons à pièces superposées.
    – C’est sûr, dit mon père. Cela viendra.
    – Je ne veux pas y penser, dit le Vieux. En tout cas, faites comme vous le voulez, moi je garderai ma maison ronde. Il n’est pas question que je sacrifie à une mode qui ne tiendra pas longtemps, j’en suis sûr. » (P. 58)
  • « Les nomades tirent profit de ces bijoux et de ces petites sculptures qui plaisent tant aux agriculteurs et qu’ils échangent contre nos jambons. Inutile de te dire qu’ils ne tiennent pas à être privés de leur gagne-porc. » (P. 228)
  • « ….tous les fanatiques du pouvoir agissent ainsi : décidé devant, lâches derrière. Ils veulent être aimés, voilà tout, et, surtout, ne pas déplaire. » (P. 280)
  • « – Mais, alors, la bière est un poison?
    – Pas exactement. C’est un moyen de s’évader de la réalité pour rêver. Ça permet aussi de dire des choses qu’on ne dit pas en temps normal, quitte à les regretter ensuite. » (P. 310)    

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