
Je craignais de lire un ixième livre sur la 2ème guerre mondiale, sur le nazisme….cette période qui fascine les auteurs…et les lecteurs.
Bien sûr ce livre a pour cadre cette période. Mais il est différent des autres ouvrages, car il aborde ce cataclysme sous un angle à la fois historique, psychologique et romancé, en mettant en parallèle des destins : d’une part celui de déportés et d’un homme en particulier, et d’autre part celui de cette femme, la première dame du régime, cette femme mère de sept enfants, qui se cache comme un rat dans le bunker de Berlin, alors que les soldats russes avancent dans les décombres. Cette femme qui connut la puissance et la gloire est considérée comme la première dame du régime et eut même un amant juif…
Comment ne pas s’interroger face à ce destin ?
Jeune, elle connut presque la misère. Elle nait de relations entre sa mère, bonne à tout faire et son patron. Cette bâtarde adhéra au mouvement nazi en cachant une partie de son passé…Elle adorait le H, et était une droguée de ce H, oh pas l’herbe, mais la lettre, le H d’Hitler, puisque ses sept enfants, y compris Harald, celui né en 1922 et qu’elle eut d’un premier mariage avec Quant dont elle divorcera, portèrent des prénoms commençant par la lettre H : Helga, Hildegard, Helmut, Holdine, Hedwig et Heidrun. A la fin de la guerre, la plus vieille avait treize ans et la plus jeune cinq ans. Ces gamins furent instrumentalisés par la propagande nazie de papa, leur vie comme celle de Magda furent mises en scène. En 1945, le fils aîné Harald Quant était aviateur dans la Luftwaffe, il survécut au conflit et eut des descendants qui vivent toujours…les annexes y font référence …
Sébastien Spitzer, journaliste enquêteur, s’appuie sur une documentation importante, des films notamment pour nous présenter Magda Goebbels, pas du tout attachante, on s’en doute, et le parcours de cette femme qui devint l’égérie du système. Elle, qui fut en pleine lumière sur les films de propagande, se terre dorénavant comme un rat dans le bunker d’Hitler bombardé, dans les odeurs des excréments des chiens du Führer. On peut bien tout pardonner à ce dieu vivant qu’elle idolâtre !
Parallèlement à ce destin, l’auteur nous fait suivre un mystérieux rouleau de cuir, sorti des camps par un gamin déporté évacué par les nazis fuyant l’avancée russe….un rouleau qui passera de main main, de déporté en déporté….Une mémoire qui se transmet de survivant en survivant, jusqu’à nous…c’est la partie romancée du livre
Ces deux destins sont entrecoupés de lettres écrites à Magda par un déporté…l’homme qui épousa la mère de Magda Goebbels…il était juif…
Une construction habile pour nous faire mieux connaître les derniers jours du régime, y compris le mariage d’Adof et d’Eva et surtout cette femme, cette folle, qui, avant de se donner la mort, alla même jusqu’à empoisonner ses enfants… . Comment auraient-ils pu vivre dans le bonheur après la mort du nazisme ? Les soldats russes trouvèrent ces six petits cadavres tous vêtus de blanc…l’ultime sacrifice mis en scène. Une rapide recherche sur le Net vous le confirmera.
Des psychiatres se sont penchés sur le destin et la personnalité de cette femme. Elle incarnait la femme allemande, celle qui devait pondre des gamins pour le Führer, pour la Grande Allemagne. Elle était l’une des images de cette folie, et peut-être, comment ne pas s’interroger, celle qui inspirait et manipulait peut-être son époux.
Le lecteur en partie désorienté par les premières pages et leurs mystères, ne sait pas trop où l’auteur l’emmène, puis progressivement le fil conducteur apparait, le travail de recherche historique du journaliste se fait jour, l’écriture le séduit.
J’ai été troublé par ce livre, différent de ceux que j’ai lus sur cette période. Un trouble et un plaisir qui persistent encore.
Éditions de l’Observatoire – 2007 – 304 pages
Qui est Sébastien Spitzer
Quelques images sur Magda Goebbels
Quelques lignes
« -C’est qui mon pére, maman?-Non, mais de quoi je me mêle ? Répondait-elle toujours. De quoi je me mêle ?L’affreuse réponse. Cette phrase renvoyait la petite fille aux entrailles de sa mère, à ses parties intimes. Magda s’en détournait. Elle reprenait un livre, sans un début de réponse. Lequel était son père ? « C’est toi mon père? » demandait-elle à Richard. Il tarda à répondre. » (P. 80)
- « L’hiver où sa vie bascula, le tabac était rare et les ruelles sentaient fort la corne des pipes fumées. Aux monts-de-piété, on donnait l’heure pour se payer à dîner, une montre en or pour une livre de viande, un manteau pour du pain, des chaussures pour du bois de chauffe. Le troc encombrait, imposait ses règles et ses barons aux quatre coins de la ville. Le papier de l’argent avait plus de valeur que les sommes affichées dessus. Le pays tout entier s’enfonçait dans la crise, et Magda arrachait à son bon vieux mari de Quandt la garde exclusive de leur fils unique, des actions au porteur et un appartement si vaste qu’elle pouvait y loger sa mère, Auguste, sans risquer de la croiser, une gouvernante, une bonne et son coupé Wanderer dans la cour intérieure. » (P. 99)
- « Ici on pouvait bien faire fuir, terroriser, humilier sur un ordre impérieux. Magda avait épousé la cause de ce régime. C’était éblouissant. Tout était donc possible… Elle était dans le camp des vainqueurs, sur les Sudètes, sur les Tchèques, sur la France, sur les hommes qu’elle croisait dans les dîners en ville, dans les salles de concert gavées d’étendards et d’uniformes au garde-à-vous pour elle. » (P. 181)
- « Les soldats meurent au combat. C’est dans l’ordre des choses. Et quand l’ordre s’inverse, quand l’encre de l’armistice est sèche, ce sont les chefs qui meurent. Les soldats, eux, rentrent chez eux. Pourvu que l’encre sèche vite. » (P. 242)
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