
Quant aux textes….lors de mes études, aucun de mes professeurs n’a eu l’intelligence ou la présence d’esprit de me faire découvrir ses textes…Trop moderne sans doute, on en restait aux classiques. Bien dommage Et je ne suis certainement pas le seul lecteur dans ce cas.
D’autant plus qu’on ne lit pas un livre de poésie, d’un trait, comme on le fait avec un roman. Non ! Pour moi la poésie se déguste pas petites touches, quelques minutes par ci, par là…
Gaëlle Nohant dont le livre figurait dans le rayon « Nouveautés » de la médiathèque qui fait mon bonheur, m’a fait découvrir LA poésie, non pas celle qui parle du temps qui fait, du vent ou des petits oiseaux, mais celle qui colle aux émotions de son auteur, à sa vie, à ses rencontres, à ses émotions face au monde dans lequel il vit. Elle m’a fait découvrir la poésie de Desnos par petites touches subtiles.
Elle a effectué un énorme travail de recherche documentaire à la fois dans l’oeuvre de Desnos, mais aussi dans celles de ceux qui ont croisé sa vie. Elle nous permet de découvrir sa vie, ses rencontres, les personnes qui ont fait un bout de route ou croisé le fer avec lui, le monde artistique, littéraire ou politique de son époque, et surtout ses engagements notamment contre la peine de mort.
Romancé, certainement, Gaëlle Nohant n’était pas dans sa chambre à coucher et n’a pas participé aux repas ou aux conversations qu’elle nous permet de vivre…elle imagine cette vie, ces rencontres, ces émotions..
Qu’importe après tout!
Ce texte s’appuie sur de nombreux livres qu’elle cite en fin d’ouvrage, écrits sur Desnos, sur l’homme et le poète, sur les époques de sa vie, sur des biographies de certains de ses contemporains….On croisera pèle mêle et en désordre Aragon, Picasso, Alejo Carpentier, André Breton, Éluard, Garcia Lorca, Man Ray, Jean-Louis Barrault, Jean Cocteau, le peintre Foujita, Henri Jeanson, Rrose Sélavy et Antonin Artaud et j’en passe. Nous sommes nombreux à connaître leur nom, mais sans plus. Elle leur donne une part de vie, celle qu’ils ont partagée avec Desnos.
C’est celle du Tout-Paris de l’entre-deux guerres, du Paris de l’occupation, et des collabos, des intellectuels qui, par bassesse, choisirent l’Allemagne et de ceux qui risquèrent leur vie au nom de la liberté qu’ils écrivaient.
Régulièrement le texte de Gaëlle Nohant est imagé par quelques vers de Desnos, par quelques uns de ses textes. Ils illustrent les engagements de l’homme, dépeignent ses états d’âme du moment, ses peines et ses amours.
C’est un secret pour personne : il sera déporté, parce qu’il avait décidé d’agir et de parler malgré les risques, il mourra dans les derniers jours de la guerre…Paris était libéré, il était encore dans les camps nazis.
Une fin de livre, qui nous permet de comprendre le titre, une fin de livre chargée d’émotion, de tendresse et d’amour.
Un coup de cœur passionnant malgré quelques longueurs dans la première partie.
Editions Héloïse d’Ormesson – 2017 – 532 pages
Qui est Gaëlle Nohant
Quelques lignes
« Pour lui l’écriture est ce territoire mouvant qui doit se réinventer sans cesse, demeurer une insurrection permanente, une fontaine de lave, des corps joints dans la danse ou l’amour, une voix qui descelle les pierres tombales et proclame que la mort n’existe pas, une expérience sensorielle. » (P. 29)
- « Comme il est pauvre, il éprouve la douleur des mains crevassées des femmes qui travaillent dehors, dans les abattoirs et les marchés à ciel ouvert. Il ressent les pieds blessés dans les mauvaises chaussures, les interminables stations debout, les déambulations dans le vent, la pluie, le gel. Il entend la plainte des dos cassés sur les chaînes de montage, les oreilles vrillées par le fracas des machines qui aspirent au silence comme à un pays perdu. » (P. 166-7)
« Maison sans fenêtres, sans portes, aux toits défoncés,Portes sans serruresGuillotine sans couperet…C’est à vous que je parle qui n’avez plus d’oreilles,Plus de bouche, de nez, d’yeux, de cheveux, de cervelle,Plus de cou. » (Aux sans cou – Fortunes – P. 215)
- « Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J’appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée. Mais cela durera plus longtemps que beaucoup de paperasses contemporains. » (Journal 1944 – Œuvres – P. 413)