
Sa mère ignore tout de ses activités, c’est elle qui garde sa fille pendant qu’elle travaille. Jmiaa sait se faire respecter des clients, et n’hésite pas à s’emporter. Sa gouaille et sa langue bien pendue font merveille et nous ravissent.
Elle partage sa piaule avec une autre prostituée, Halima qui, quant à elle, préfère lire le Coran plutôt que d’attirer des clients. La description sordide de la misère, des passes, des habitués, des clients minables, côtoie la truculence de certaines situations. Un voyage au sein d’un Maroc pauvre que bien peu de touristes connaissent. En tout cas, il ne leur est pas vendu sur les sites d’agences de voyage.
Avec Jmiaa on découvre les logements miteux, les arrières cours sales, le quotidien minable, les querelles entre femmes, la violence des hommes et leur misère morale, le haschich.
Puis, un jour survint Chadlia que Jmiaa surnommera « Bouche de cheval ». Bouche de cheval est une jeune réalisatrice en repérage dans le quartier afin de préparer son long-métrage. Elle demande à Jmiaa de l’aider dans la réalisation de ce film. Alors celle-ci va lui décrire sa vie, son quartier, son Maroc, ses voisins….
Jusqu’où cette amitié nouvelle va-t-elle aller ?
J’ai aimé la première partie, parce que la personne de Jmiaa est vive, parce qu’elle raconte ce Maroc inconnu, le quotidien de certaines femmes, contraintes de se prostituer pour vivre, contraintes de se cacher des leurs pour ne pas être rejetées. Son humour et sa verve m’ont ravi. Son énergie et son optimisme aussi. Grâce à eux, elle arrive à affronter les difficultés de la vie.
J’ai aimé cette écriture mêlant le français parlé par les marocains, les expressions colorées et l’arabe…heureusement qu’un glossaire est là en fin d’ouvrage.
J’ai un peu moins apprécié la deuxième partie, plus du tout marocaine, même si l’humour de Jmiaa est toujours là pour nous décrire un monde où tout lui est étranger, dans lequel tout est superficiel
En filigrane de « La vérité sort de la bouche du cheval » Meryem Alaoui écrit un roman sur le Maroc, un roman sans aucune compromis, décrivant la misère morale de certaines femmes, jetant un regard sur l’Islam et une certaine forme d’hypocrisie du régime et des hommes.
Premier roman figurant dans la liste du Goncourt 2018
Éditions Gallimard – 2018 – 251 pages
Qui est Meryem Alaoui
Quelques lignes
« Le problème, c’est que ces fils de pute qui écrivent les histoires, ils ne te disent pas où ça te mène à la fin. Non, eux, ce qu’ils savent, c’est te lâcher après la fête du mariage. Quand ta panse est encore tendue. Et que tu souris tellement que tes dents sont sur le point de sortir pour aller se tortiller avec les invités. Ce qui vient après, eux, ce n’est pas leur problème. Parce que s’ils te le disaient, tu n’irais pas voir leur film de merde. » (P. 70)
- « Le haschich, c’est une maladie toute douce. Elle te rentre doucement dans la peau, elle est cool, souriante. Tu te sens bien avec elle. Tu as envie de te mettre dans ses bras pour qu’elle te berce comme ta mère le faisait. Elle te fait le même effet à chaque fois, elle te rassure. Et tes copains qui fument, eux aussi ils sont cool et gentils. Et vous êtes tous dans les bras de la même mère. Vous êtes tous frères. Et vous vous aimez. Et puis un jour, tu ne sais pas pourquoi, comme une chatte, la mère prend un de ses petits et elle le mange. Comme ça. Pourquoi celui-là ? Pourquoi pas son frère ? Dieu seul sait. Les autres qui sont avec toi, ils continuent à téter leurs joints sans bouger. Ils la regardent te bouffer, partagés entre l’effet soporifique qu’elle a sur eux et la peur qu’il leur arrive la même chose. » (P. 72)
- « C’est à ce moment qu’elle arrive. Un bâton tout maigre qui glisse la tête par le rideau et qui l’ouvre d’un mouvement fluide. Un bâton tout maigre avec, au bout, des cheveux longs et en pagaille. Hamid m’avait dit que c’était la nièce de la voisine mais je ne me l’imaginais pas aussi jeune. Elle est debout devant la porte et elle nous regarde en souriant. Plein de grandes dents. Bouche de cheval ! Je la regarde. Elle continue de sourire. J’ai envie de rire. Et moi qui me l’imaginais comme Nassima Lhour* : blanche, bien portante, bien habillée, coiffée, avec du maquillage, qui prend soin d’elle. En un peu plus jeune bien sûr ; mais enfin, une vraie journaliste ! » (P. 102)