C’est grâce au livre « Le monarque des ombres » que j’ai fait connaissance de David Trueba, cinéaste. Il avait adapté pour le cinéma un des romans de Javier Cercas, et parce que celui-ci lui appréciait son travail, et qu’ils étaient amis, Javier Cercas lui avait demandé de filmer l’entretien avec le dernier survivant ayant connu le jeune franquiste Manuel Mena dont l’histoire est retracée dans ce livre. Le hasard d’une mise en rayon dans la Médiathèque qui m’approvisionne en découvertes littéraires, fit le reste..
Dani Mosca, la quarantaine, chanteur adulé du public accompagne, un an après son décès, le cercueil de son père afin qu’il soit définitivement enterré dans le caveau familial…C’est l’occasion pour lui de discuter avec le chauffeur des Pompes funèbres, il faut bien tuer le temps…L’occasion pour lui de penser à la mort, de nous faire revivre son passé, de le partager, un passé de chansons, de rencontres avec des gens de passage et d’autres qui sont devenus des amis pour la vie, un passé d’aventures féminines et d’alcool, de drogues, de voyages, de rencontres.
Un passé de musicien, courant le monde et les concerts. Une vie et un passé pas si simples que ça !
D’abord il y eut l’enfance dans un petit appartement aux côtés d’une mère qui l’adopta, une mère parfois démente. Heureusement il y avait ce père, dont il était proche, ce père qui était véritablement le sien, un père qu’il aima, et qui lui laissa une grande liberté pour construire sa vie.
Dani n’était pas un élève doué pour les études dans ce lycée catholique et rigide. Très tôt il préféra la guitare aux stylos, alors il trouvera des copains pour jouer à la batterie, à la guitare les textes des autres, puis pour mettre en musique et jouer les siens, au sein du groupe Las Moscas…Les Mouches. Un groupe qu’il créera avec Animal, le batteur et Gus, le chanteur excentrique et homo, son pote pour la vie. Dani quant à lui était le guitariste, celui vers lequel vont les groupies à la fin des concerts.
Puis il s’orienta vers une carrière solo guitare et chant
Vie déjantée, sexe, alcool et drogue, multiplication des aventures et des amours de passage, tournées de plus en plus loin, jusqu’au Japon, où il rencontre la femme qui lui donnera ses deux enfants. Une femme dont il est maintenant séparé.Et puis il y eut ces amis, ces amis trop tôt partis, ces autres mais toujours présents dans sa vie. Nostalgie quand tu nous tiens !
Je me suis cependant parfois ennuyé à la lecture de ce roman. J’ai regretté un certain manque de vie du roman, sans doute dû à l’absence de dialogues, à l’impression parfois de ne pas avancer, à celle du « déjà lu ». Sans doute parce que ces souvenirs arrivent parfois de manière désordonnés, qu’il fait les reclasser, les relier entre eux.
Et puis, et je pense que c’est l’élément fondamental à prendre en compte, j’avoue que ce monde de la musique ne me fascine pas. Si j’adore écouter toute sorte de musique, la vie et les amours successifs des chanteurs, quels qu’ils soient ne m’intéressent que très très peu.
Par contre ces retours en arrière sur ces amitiés d’une vie, sur ces sentiments partagés avec les uns ou les autres, superficiels ou profonds, sont autant de points d’intérêt de ce roman.
Je vais maintenant essayer de découvrir d’autres livres de cet auteur et surtout ses filmS
Editions Flammarion – Traduction : Anne Plantagenet – 2018 – 391 pages
Quelques mots sur David Trueba
Quelques lignes
- « J’ignore pourquoi je pensais autant à la mort dernièrement. On dit que c’est l’âge et le fait d’avoir conscience que ceux qui nous entourent, et nous-mêmes, sommes entrés dans son aire d’influence, sa gravité. Mais c’était plutôt la mort qui pensait beaucoup à moi dernièrement. À certains moments de ma vie, j’ai beaucoup pensé au sexe, au succès, à l’amour, à l’argent, sans pour autant les trouver devant ma porte à mon réveil. La mort est peut-être plus puissante que n’importe quelle autre idée, parce que c’est toujours la dernière. » (P. 18)
- « Et un jour, à quarante ans, je me suis retrouvé à chanter seul avec ma guitare des chansons de ma tristesse que le public célébrait par des applaudissements. Applaudissements qui m’accompagnaient quand je rentrais dans mon studio où m’enveloppait une solitude réelle et certaine, une solitude que seule combattait la présence permanente des enfants. Vingt-cinq ans avaient passé depuis notre premier concert au lycée. Dans la maison de disques, une ribambelle de jeunes dirigeants sans expérience avait succédé à Bocanegra, avec pour seul mot d’ordre de réduire le personnel, à tel point qu’ils finissaient par être obligés de se virer eux-mêmes. Bocanegra avait profité de ses indemnités pour fonder une société de production audiovisuelle qui avait échoué avec fracas, mais il lui était resté quand même assez d’argent pour faire le tour du monde à la voile. » (P. 364)
- « Le passé est partout. Le passé est posé sur nous comme la poussière sur les meubles. Il y a du passé dans le présent et dans le futur. Imprégné, accroché, dilué, disséminé, mélangé, empâté, flou. Il y a du passé dans les souvenirs, les expressions, les traits, les phrases à venir, les solutions. Dans l’imagination, qui est parfois un projecteur d’expériences vécues. Dans les pas qui nous restent à accomplir, dans ce qu’il y a devant nous, les regards, les histoires, l’invention, le goût. Les chansons sont faites de passé. Il n’existe pas de chansons futuristes, c’est un art sans science-fiction. Il y a du passé dans les passions, le malheur, les rêves. Dans l’avenir, les plans du futur, et même les hypothèques. Il y a du passé dans nos enfants, nos petits-enfants, dans leurs mimiques, leur nom. Il y a du passé dans la rue de notre ville et aux alentours, dans chaque personne, y compris celles qui ne sont pas encore nées. » (P. 251)
« « Ce serait beau de rentrer à la maison ». Avec une interprétation opposée aux raisons qui étaient les miennes quand je l’avais écrite. Je n’avais alors plus de maison où rentrer, c’était ça que je voulais exprimer, pas le désir nostalgique de retourner dans des lieux familiers, ce mal souterrain du pays dont je ne souffre pas. Ce serait beau de rentrer à la maison. Un endroit à bâtir. Le curé a évoqué, en un court répons, le royaume des cieux et la résurrection des morts. Au loin s’est élevé un tapis de poussière avec un souffle de vent. Nous étions arrivés en une caravane lente, présidée par le corbillard jusqu’au cimetière. J’ai pensé que mon père aurait adoré cette mise en scène, le chemin aride, le cercueil porté, l’atmosphère âpre à cause de la poussière soulevée par la brise un jour sec de juillet. » (P. 258)
- « J’ai eu des doutes sur l’honnêteté de continuer à composer des chansons d’amour si je ne croyais plus en l’amour. Je surfais sur internet et ne trouvais pas de justifications pour composer de nouvelles chansons, encore moins d’amour. J’ai commencé à écrire des paroles sur un cimetière de chansons, où finissaient celles que plus personne n’écoutait, transformées en ferraille sonore, en vélos cassés, et j’ai aimé fabriquer pendant plusieurs après-midi avec Martin une série de sons métalliques, comme des chansons étouffées, plongées dans du formol et hors d’atteinte de l’oreille. C’était déprimant de calculer les millions de chansons accumulées depuis l’invention du phonographe. Et ce calcul ne me redonnait pas envie de composer à nouveau, ça me paraissait comme arroser des plantes un jour de pluie. » (P. 375)