« Le Serpent d’étoiles » – Jean Giono

Le-Serpent-dEtoiles_8348Jamais l’idée m’est venue d’acheter un livre audio…Le livre est avant tout, pour moi, un objet papier.
Quand Babelio m’a proposé ce titre à l’occasion d’une opération Masse critique, je n’avais pas prêté attention au format du livre…
Surprise lors de la réception…et à l’occasion de l’écoute. 
Une écoute qui devient plaisir, si elle accompagne une ballade dans la solitude d’une nature sauvage…dans un lieu perdu, ravitaillé par les corbeaux, comparable à celui dans lequel  Giono transporte le lecteur.
Un lieu où seuls des bergers et des moutons peuvent vivre tout un été de transhumance. Là ou la poésie et les mots de Giono prennent encore plus de sens. 
La Provence rurale non détruite par le tourisme!

Je ne conçoit pas qu’on puisse l’écouter dans une voiture, sur l’autoroute, ou sur les trottoirs d’une ville….Non, il faut le calme, pour qu’opère la magie des mots de Giono, sentir le vent, imaginer les agneaux, l’eau des sources, fouler l’herbe….se mettre en condition pour se laisser bercer par la voix de Pierre-François Garel.
Un soir de la Saint-Jean, sous les étoiles, « deux cents hommes et cent mille bêtes » sont rassemblés sur une « aire de jeu »… délimitée par quatre grands feux. Les bêtes sont montées depuis la vallée. Giono nous raconte cette transhumance, ces milliers de brebis suivant Bouscarle, le chef des bergers, ces brebis quittant les étables et se joignant aux autres, venues d’autres villages, d’autres étables :  « le métier de chefs de bêtes est une chose qui coule comme de l’eau entre les doigts et qu’on ne peut saisir »
Bêtes et bergers sont réunis sur le plateau de Mallefougasse où le narrateur les rejoint, Giono sans doute, accompagné par Césaire Escoffier. On lui fait place. Il sort son cahier…
Au son des harpes éoliennes, des timpons, des gargoulettes à eau, au son du vent qu’on perçoit quelques bergers vont se lancer dans des joutes oratoires, jouant successivement le ciel, la terre, la mer, la montagne, le fleuve, le vent, l’herbe…la pluie…etc. 
Des hommes, des poètes mettant en mots la nature, une nature qui déjà, dans leur esprit, dans celui de Giono, est dominée par l’homme « si l’homme devient le chef des bêtes, elle, la Terre, est perdue : Je le vois, déjà, devant le grand troupeau. Il marchera de son pas tranquille et derrière lui, tous vous serez. Alors, le maître ce sera lui. Il commandera aux forêts. Il vous fera camper sur les montagnes, Il vous fera boire les fleuves. Il fera s’avancer ou reculer la mer, rien qu’en bougeant de haut en bas »
La voix grave, souvent monocorde de Pierre-François Garel accentue l’effet théâtral de la cérémonie des joutes oratoires des bergers.
C’est certain que le ton de cette voix fait ressortir la gravité du texte. La perception en aurait été différente, si le texte avait été lu par un comédien à l’accent méridional.
Une fois écouté pendant une ballade en nature, j’ai éprouvé le besoin de le lire en format ebook. Le plaisir fut différent, un plaisir difficile toutefois.
Giono joue avec les  mots, torture son texte et le rend parfois insolite, n’hésite pas à désorienter le lecteur par des phrases tourmentées, graves, étranges parfois. 
A mon adolescence, j’avais approché Giono avec Regain, dont je ne garde que peu de souvenirs…ce titre fait dorénavant partie des livres que je dois relire.
Livre audio – Éditions Thélème – 2019 – 3 h – Publication initiale en 1930

Qui est Jean Giono ?


Quelques extraits
  • « Tout est venu de Césaire Escoffier. Tout est venu de ce jour de mai : le ciel était lisse comme une pierre de lavoir ; le mistral y écrasait du bleu à pleine main ; le soleil giclait de tous les côtés ; les choses n’avaient plus d’ombre, le mystère était là, contre la peau ; ce vent de perdition arrachait les mots aux lèvres et les emportait dans les autres mondes. Malgré tout ça, on « faisait foire ». On ne peut guère abandonner une foire de mai : si la pluie menace, on prend le parapluie en bandoulière. S’il fait ce vent, on se jette là-dedans à la nage, on patauge à moulin de bras, on gueule des prix, on vit tout le jour les yeux fermés, les oreilles rompues, comme dans une mer, mais, quand même, on fait les affaires et, le soir, à l’abri des murs, on ouvre les paupières brûlées par le sel et le vent : le sac des sous, comme une chose arrachée à un fond marin, est plein de débris d’herbe et de sable. » (Début du roman)
  • « Le berger, un homme d’une cinquantaine d’années, gros de gros os, sans grande chair, sans rien qu’une sèche peau cuite sur des muscles cuits, un homme de colline, fait de soleil, de poussière et de feuilles mortes, le berger, durement assis, face à la nuit s’amusait des doigts sur une grosse flûte à neuf canons ; il y pianotait un petit air en griffant les tuyaux sensibles du bout de l’ongle. »
  • « De Crau à l’Alpe il n’y a que des rivières sèches, des torrents qui charrient des cigales et des lézards ; les troupeaux montent dans les épines et les brasiers de la poussière ; oui, mais, ce flux qui va râpant le sol de son ventre, cette laine, ce bruit monotone et profond, tout cela fait aux bergers des âmes qui ont le mouvement sonore et le poids de la mer. »
  • « C’est donc une musique qu’il faut doser, ne pas trop se servir des cordes sourdes, ou bien s’en servir pour partir de là comme d’un palier et s’envoler sur les ailes des notes claires. Les notes sourdes ont la tristesse des chants de colombe ; le vent, qui n’est pas d’un rond égal comme une barre de fer, mais fait de vagues et d’ondulations, roucoule et module, et si pour les notes aimables cela fait l’appel des oiseaux, pour les notes sourdes le cœur vous pèse et les nuages semblent de gros pigeons. »
  • « Il y a cinq harpes ; elles sont travaillées par cinq bergers et commandées par un sixième qui reste là à la scène et qui siffle dans ses doigts : une fois pour le silence, deux fois pour le bruit.
    Tout le long du drame donc, cette musique des harpes à vent se déroule. Elle ne suit pas les courbes de l’action ; elle est lointaine et monotone comme la voix du monde.Le timpon est cette flûte à neuf tuyaux : flûte de jeux et de détresse. Elle donne une gamme et deux do profonds, très graves : un devant la gamme ; l’autre derrière. Ces notes sombres sont là toujours prêtes à sonner l’alarme à chaque bout de la chanson. »

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