« Gros-Câlin » – Emile Ajar-Romain Gary

Gros CâlinMichel Cousin, est un « vieux garçon » de trente-sept ans. Il travaille en qualité d’employé isolé dans le bureau dans un institut de statistiques, et n’a d’yeux que pour Melle Dreyfus, une de ses collègues de travail..Ah qu’est-ce qu’il est heureux, le jour où il arrive à prendre l’ascenseur en sa compagnie. La sentir près de lui, même s’il ne lui parle pas ! Quelle belle journée ! Un travail follement passionnant sans aucun doute : « je suis dans les statistiques et il n’y a rien de plus mauvais pour la solitude. »
« Statistiques »…. « Solitude » : des mots qui reviennent souvent dans le discours de Michel Cousin
Et elle…toujours impassible…proche de lui uniquement dans l’ascenseur !

Aussi il n’hésite pas à multiplier les occasions pour attirer son regard, susciter un début de commencement d’intérêt …Si seulement elle pouvait faire attention à lui, une fois, une fois seulement. 
Il faut dire aussi que Michel Cousin passe le reste de ses journées seul dans son appartement, seul en compagnie d’un python, de plus de deux mètres, Gros Câlin auquel il parle….
Melle Dreyfus, Irénée est quant à elle une jeune femme noire originaire de la Guyane, une jeune femme qu’il rêve d’épouser, une jeune femme à laquelle il parlera demain. Une jeune femme inaccessible. …? 
Mais « les femmes aujourd’hui refuseraient de vivre en appartement avec un python de deux mètres vingt qui n’aime rien tant que de s’enrouler affectueusement autour de vous, des pieds à la tête. »
Romain Gary, a choisi de nous faire rire, un rire jaune, de nous émouvoir par le sourire, cruel parfois, pour son premier titre sous le nom d’Emile Ajar. Il a choisi ce couple du benêt, crevant de solitude, et du serpent animal n’ayant aucune empathie pour son maître, pour mettre en scène ces vieux garçons, ces vieilles filles, ces veufs et veuves, qui n’ont qu’un animal pour seule distraction, pour seule compagnie, ces personnes seules n’ayant pour vie amoureuse, que la possibilité de quelques instants avec une prostituée… Ces personnes que chacun de nous pourra identifier, dans sa rue, dans son entreprise, dans son entourage… 
Le roman est cruel, blessant parfois. Il met l’accent sur les incohérences de notre société, la difficulté de vivre que rencontrent certains de nos compatriotes, la difficulté de se lier aux autres, de s’intégrer quand on est différent, timide, seul, âgé, handicapé…Angoissant parfois. L’humour féroce pour ridiculiser et moquer non pas ces êtres seuls incapables de communiquer – ce serait prendre le roman au premier degré – mais au contraire ceux qui passent à côté sans les considérer, vous, moi, nous qui vivons à coté d’eux, sans aucun geste d’empathie à leur égard, sans les voir, aussi froids et aussi peu chaleureux que des serpents. Et même prêts à mordre pour certains. 
L’humour caustique, déjanté de Romain Gary et les surprises sont présents jusqu’aux dernières pages inattendues. Il pouvait tout se permettre, c’était le premier roman d’un inconnu Emile Ajar. Il dira : « Ce fut seulement après avoir terminé Gros Câlin que je pris la décision de publier le livre sous un pseudonyme, à l’insu de l’éditeur. Je sentais qu’il y avait incompatibilité entre la notoriété, les poids et mesures selon lesquels on jugeait mon œuvre, « la gueule qu’on m’avait faite », et la nature même du livre. »
Difficulté de vivre et d’être aimé, difficulté pour être reconnu, pour être considéré….Ah, que notre société est cruelle et impassible en face de ces détresses! A chacun de l’être…..à sa façon !
Un autre aspect de Romain Gary qui nous propose deux fins…à chacun de choisir celle qu’il préfère.
Éditions Folio – Mercure de France – 2012 – Première parution : 1974 – 290 pages

Présentation de Romain Gary-Emile Ajar


Quelques lignes

  • « La vie est une affaire sérieuse à cause de sa futilité. » (P. 67)
  • « D’ailleurs, mon problème principal n’est pas tellement mon chez-moi mais mon chez-les-autres. La rue. Ainsi qu’on l’a remarqué sans cesse dans ce texte, il y a dix millions d’usagés dans la région parisienne et on les sent bien, qui ne sont pas là, mais moi, j’ai parfois l’impression qu’ils sont cent millions qui ne sont pas là, et c’est l’angoisse, une telle quantité d’absence. J’en attrape des sueurs d’inexistence mais mon médecin me dit que ce n’est rien, la peur du vide, ça fait partie des grands nombres, c’est pour ça qu’on cherche à y habituer les petits, c’est les maths modernes. Mlle Dreyfus doit en souffrir particulièrement, en tant que Noire. Nous sommes faits l’un pour l’autre mais elle hésite, à cause de mon amitié avec Gros-Câlin. Elle doit se dire qu’un homme qui s’entoure d’un python recherche des êtres exceptionnels. Elle manque de confiance en elle-même. Pourtant, peu de temps après notre rencontre sur les Champs-Élysées, je tentai de lui venir en aide. Je me suis rendu au bureau un peu plus tôt que d’habitude et j’ai attendu Mlle Dreyfus devant l’ascenseur pour voyager avec elle. Il fallait quand même nous connaître un peu mieux, avant de nous décider. Lorsqu’on voyage ensemble, on apprend des tas de choses les uns sur les autres, on se découvre. Il est vrai que la plupart des gens restent debout dans l’ascenseur, sans se regarder, verticalement et raides, pour ne pas avoir l’air d’envahir le territoire des autres. C’est des clubs anglais, les ascenseurs, sauf que c’est debout, avec les arrêts aux étages. Celui de la STAT met une bonne minute dix pour arriver chez nous et si on fait ça tous les jours, même sans se parler, on finit malgré tout par faire une petite bande d’amis, d’habitués de l’ascenseur. Les lieux de rencontres, c’est capital.. » (P. 75)
  • « ….la société se défend. Par exemple, elle ferme les bordels, pour fermer les yeux. C’est ce qu’on appelle morale, bonnes mœurs et suppression de la prostitution par voies urinaires, afin que la prostitution authentique et noble, celle qui ne se sert pas du cul mais des principes, des idées, du parlement, de la grandeur, de l’espoir, du peuple, puisse continuer par des voies officielles. Il vient donc un moment où vous n’en pouvez plus et où vous êtes dévoré par le besoin de vérité et d’authenticité, de poser des questions et de recevoir des réponses, bref, de communiquer – de communiquer avec tout, avec le tout, et c’est là qu’il convient de faire appel à l’art. C’est là que le ventriloque entre enjeu et rend la création possible. Je suis reconnu d’utilité publique par monsieur Marcellin, notre ancien Ministre de l’intérieur, et Monsieur Druon, notre ancien Ministre de la Culture et j’ai reçu l’autorisation d’exercer de l’Ordre des Médecins, car il n’y a aucun risque. Tout demeure comme avant, mais on se sent mieux. Vous vivez seul, naturellement ?. » (P. 109)

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