
Début d’une longue confession devant des juges, d’une confession perdue d’avance dont on connaît le dénouement…
Mais qu’avait-il donc fait pour en arriver là ?
Onze chapitres, onze jours de confession nous faisant remonter de sa naissance, de ses origines familiales au présent du procès.
Victor Renard n’a pas été gâté par la naissance. Il est né dans une famille très pauvre. Il était le fils de Johann et Pâqueline Renard. Tous le surnomment Victordu, car sa tête penche. Sa mère le hait, car il a étranglé bien involontairement son frère jumeau avec son cordon ombilical…C’est avec elle seule qu’il vécut, car son père fut éventré par sa charrue en labourant…Afin d’être présentable, devant Dieu et la famille, le corps paternel dut être préparé par un embaumeur, qui lui donna une apparence la plus convenable possible, juste le temps des obsèques puisque, après celles-ci, il fut jeté à la fosse commune…
Après quelques études sans succès, Victor entra en qualité d’apprenti au service de Joulia, maître embaumeur, celui-là même qui s’était occupé du corps de son père. Début d’une nouvelle vie, début d’un roman riche en informations, en découvertes historiques, qui nous plonge dans le Paris de la Révolution, de la guillotine – sentence de mort, et divertissement du bon peuple – mais aussi, dans les pratiques de la conservation des corps des défunts pauvres ou appartenant à de riches familles et surtout dans la conservation des corps des rois de France.
Onze jours tous fourmillant de détails sur la vie parisienne, le métier d’embaumeur, ces personnes qui préparaient les corps pour leur éternité, afin qu’ils soient les plus beaux possibles lorsqu’ils se présenteront devant Dieu
Après le décès de Joulia il prendra seul sa succession, écartelé entre deux femmes, Angélique, amie d’enfance au grand cœur, devenue prostituée, et une mère vénale, uniquement attirée par l’argent de Victor..
Car Victor devint riche, très riche..l’histoire vous l’apprendra. Et de quelle façon ! C’est bien ce que lui reproche le tribunal !
On voyage des rues sordides de Paris aux beaux appartements, des tombeaux des rois aux fosses communes des plus humbles, des maisons sordides aux pigments bruns des peintures des grands maîtres qui font la richesse actuelle de nos musées, de la dissection des cadavres puant aux parfums mettant en valeur la beauté du corps d’Angélique dont tous se servent pour leur plaisir, des corps qui saignent, exsudent et puent à celui des riches poudrés et parfumés, de la vie sordide de la mère de Victor, à sa richesse…
Et surtout on apprend que face à l’art et à l’argent, la mort n’a pas d’odeur.
Bref, on ne s’ennuie pas, on découvre des secrets d’histoire…qu’on croît inventés, tirés par les cheveux, mais dont on découvre la véracité après quelques recherches…une vérité qu’Isabelle Duquesnoy, diplômée d’histoire et de restauration d’œuvres d’art, ancienne enseignante et directrice d’une école de Beaux-Arts a du découvrir, comme nous avec stupeur
Victor achèvera sa confession ainsi : « Mon père, que l’obsession de l’argent et la jalousie envers la réussite d’autrui dévoraient, aurait profondément méprisé ma nouvelle condition. Envieux, il était à plaindre car il souffrait du bonheur des autres… Et pour être honnête, je dois vous confier que j’éprouvais un plaisir sans pareil à accumuler les preuves de ma prospérité. […] Amasser les objets rares et chers fut donc ma façon de compenser les frustrations de mon père. Non, pardon : de les surpasser.

Je suis né assassin, tordu et obstiné.
Sans le sou, haï de mes parents et peu instruit, j’ai cependant réussi bien au-delà de leurs capacités réunies »
On sourit, on rit, on est écœuré, on est surpris, on en apprend plus sur le peintre Martin Drölling et la beauté de ses tableaux
J’espère que Victor, réussira également à vous dépayser, à vous apprendre des choses.
Sa longue confession m’a diverti et comblé !
Je regarderai dorénavant les tableaux de certains grands maîtres avec un œil différent !
Quelques lignes pour découvrir
« Comme l’exigeait mon père, nous ne lavions jamais les parties du corps couvertes par les habits. Nous les cachions sous les linges blancs et fuyions les dommages provoqués par l’eau. Fidèle aux anciens, et peut-être semblable à certains d’entre vous, mon père était persuadé que les bains instillaient les maladies en ramollissant notre peau. » (P. 26)
- « Se faire engrosser par un puissant, quand on est une fille de rien, ce n’est pas un choix, mais une rente ! » (P. 84)
« La soupe de placenta est réservée aux femmes. Je vais lui servir un bol puis j’emporterai le reste à l’apothicaire. Les savants la mélangent à des toiles d’araignée et des bêtes écrasées pour en faire des remèdes. Il me l’achètera un bon prix.. » (P. 186)
- « Retiens bien cela : quatre cent vingt noms de maladies différents, dont cent vingt-huit désignent des fièvres ! Lorsque les familles et les médecins ne comprennent rien, on dénonce toujours une fièvre : fièvre maligne, fièvre lancinante, épuisante ou ardente, fièvre putride, fièvre pourprée ou miliaire. Nul n’identifie jamais la maladie par sa cause, car elle est censée venir toujours de Dieu ou de Satan, mais uniquement par ses signes : pustules aux aisselles, toux et point de côté, vomissements ou crachats glaireux. Les enfants succombent aux crampes et douleurs de ventre. Les paysans sèvrent leurs enfants à trois mois au lieu de vingt, s’amusa mon maître. Ces abrutis leur donnent du jus de pomme verte à boire. » (P. 258)
- Je suis aguerri à cette odeur pour l’avoir maintes fois flairée dans la bouche de ma mère, où les résidus de repas restent pris entre ses mauvaises dents. Il y a peu de différences entre une viande oubliée huit jours dans une bouche et un mort un peu avancé. » (P. 359)
- « « Mariage de jeunes, mariage du bon Dieu. Mariage de jeune et de vieux, mariage du diable. Mariage de vieux, mariage de merde. » » (P. 369)