« Cris » -Laurent Gaudé

crisL’année du centenaire de la Guerre de 14-18 se termine….Quelques célébrations, et puis, on passe à autre chose. Oubliés ce passé, cette émotion !
L’actualité nous pousse…..on ne va pas ressasser en permanence ces horreurs. La veste bleue horizon n’est plus à la mode, elle est depuis remplacée par des gilets aux couleurs jaunes … un jaune cocu, je le crains. 
Hasard de la vie…je lisais ce premier livre écrit par Laurent Gaudé, alors que les Champs Elysées étaient mis à sac, qu’était vandalisé l’Arc de Triomphe, sous lequel repose un soldat inconnu mort au cours de l’une de ces batailles que Gaudé met en scène dans « Cris ».
Hasard qui donna encore plus de poids, encore plus d’émotions à ma lecture, encore plus de tristesse et d’indignation devant notre monde…Cette lecture de Cris faisant passer pour bien vains, pour bien mièvres et bien futiles les combats, les violences, les cris de notre XXIème siècle. 

De nos jours l’ennemi c’est le bleu du flic, les tranchées sont dorénavant des boulevards où s’étale le luxe de notre société, ou bien des ronds-points. Le mot d’ordre reste le même : « On ne passera pas ». On ne se bat plus pour quelques mètres de terre, mais pour quelques centimes…et les médias jouent sur notre émotion en présentant quelques blessés, graves certes et regrettables…Les balles sont devenues des flashballs, casques, grenades, uniformes ont évolués. De part et d’autre, les hommes courent toujours vers celui qu’il faut combattre; le Lebel est devenu matraque ou gourdin. La hargne et la violence sont toujours des moteurs intérieurs puissants. 
Gaudé nous propose de suivre quelques soldats, qui se préparent à l’assaut, Boris, Jules, Marius, qui combattent ou qui bénéficient d’une permission…Leur cadre de vie : la terre retournée, hachée par les obus, les gaz….la dernière gorgée de gnôle pour se donner du courage, les copains morts ou hachés menus par les obus. Chaque page est une page d’émotion, de peur, de détermination, de courage et d’abnégation ! Chacun sait sait que la mort, la blessure sont possibles. 
Balles et obus ne font aucune différence entre les plus vieux combattants, là depuis des semaines, voire des mois, et la relève qui arrive dans la tranchée, une relève de plus en plus jeune de soldats qui connaîtront cette peur pour la première fois, accompagnés de jeunes officiers frais émoulus de leur école militaire. Vieux briscards ou nouveaux arrivés ont la même peur, courent les même risques. Gaz et folie guettent chaque homme. Des dizaines montent à l’assaut pour reprendre ces quelques mètres perdus il y a quelques jours, peu en reviendront! Corps ennemis ou français sont mêlés dans la mort, au fond des tranchées, qu’on vient de gagner ou de perdre. Sous eux des mutilés qui attendent les brancardiers .
Banalité de la mort, de la blessure après quelques minutes ou des mois de guerre….une banalité que nous refusons aujourd’hui ! Horreur souvent et inhumanité de certains devenus fous au point d’exécuter froidement un prisonnier. Râles et délires d’un gazé qu’on entend gémir.
Nombreux sont ceux qui ont décrit ces batailles dans lesquelles les ils risquaient leur vie. Gaudé, quant à lui en parle, mais surtout pour imaginer les pensées, les émotions d’hommes qui savent qu’ils vivent peut-être leurs dernières minutes, ou qui retrouvent pour quelques heures le monde sans guerre. Un monde où les copains disparus ne vivront plus que dans leurs mémoires. 
Premier livre de Gaudé ! Et quel livre, bien qu’il soit court !
Ah ! Que j’aime Gaudé, les émotions qu’il déclenche lors de chaque lecture. J’apprécie cet auteur, son ouverture aux autres, son attention, son humanité, sa discrétion, son pacifisme, sa capacité de nous émouvoir, de nous retourner !
Èditeur : Le Livre de Poche – 2005 – Parution initiale : 2001 – 182 pages

Présentation de Laurent Gaudé


Quelques lignes
  • « Il a fallu courir vite quand ils ont sonné la retraite pour ne pas tomber aux mains des salauds d’en face. Et tant qu’à perdre un kilomètre, j’aurais préféré que ce soit eux qui chargent. Si on n’arrive pas à percer quand on se lève tous comme ça, si on ne passe pas quand on est des milliers à courir en gueulant, je me demande bien jusqu’où on reculera. » (P. 15)
  • « Ils marchent, lents et tristes, derrière le corbillard invisible de leurs compagnons morts. Il n’y a pas de salut militaire qui tienne. La seule chose qu’il faudrait faire, la seule chose qui aurait un sens, serait de se signer à leur passage. » (P. 28)
  • « Je me concentre sur ma course. Les lignes ennemies approchent. Je les vois maintenant. Je discerne des silhouettes qui dépassent des tranchées. C’est vers eux que je vais. Ce sont eux les ennemis. Eux qu’il faut tuer. Ils sont près. Je cours encore. Je ne sens aucune fatigue. Je me sens rapide comme un fauve. Je vais…. » (P. 63)
  • « Spectacle immense de la fureur des hommes. Débit d’usine. Chacun de nous sait que ce n’est que le début. Chacun de nous sait que le pire est encore à venir. Les obus finiront par se taire. Commencera alors la grande charge des hommes, baïonnette au poing. Et ils nous submergeront. Nous sommes déjà si enfoncés dans la terre, si ensevelis par les gravats et les éclats de métal, qu’ils ne nous verront peut-être même pas. Ils n’auront qu’à nous marcher dessus. » (P. 127)

2 réflexions sur “« Cris » -Laurent Gaudé

    • Vous avez sans aucun doute raison, j’aurais du écrire que ce sont ces quelques centimes qui se rajoutaient à d’autres mal-être, à l’absence de considération ou d’intérêt… En tout cas, j’ai été perturbé par cette concomitance de lecture et d’événements, notamment (et surtout) le saccage de symboles tels que l’Arc de triomphe…..

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