« J’étais médecin dans les tranchées » – Louis Maufrais

J'étais médecin dans les tranchéesRares sont les documents écrits par les médecins sur cette grande guerre. La médiathèque qui m’approvisionne mit en évidence cet ouvrage et d’autres, dans le cadre du centenaire de la fin de cette guerre. Une chance !
On apprend dès les premières pages que plus de 6000 médecins furent engagés, seulement une vingtaine d’entre eux prirent la peine d’écrire afin de partager…Il avait tout noté sur ses carnets, et à la veille de sa mort, soixante ans plus tard, alors qu’il était presque aveugle, il pris la peine d’enregistrer sur magnétophone son témoignage extrait de ses carnets. Sa petite fille en fit ce livre. 
Jeune externe en médecine, pas encore médecin diplômé donc, il est affecté dans le personnel soignant dès les premiers jours de la guerre, en août 1914. Il fit toutes les campagnes de France, fut affecté sur tous les fronts, l’Argonne, la Somme, Verdun…d’abord comme médecin auxiliaire, puis termina la guerre en qualité d’officier, responsable. Et fut démobilisé en 1919.

Son témoignage écrit est illustré de photos qu’il prit ou que d’autres prirent avec son appareil, photos qu’il développa dans une chambre noire qu’il conçut, photos de groupe, où on l’aperçoit parfois, et photos de tranchées, des photos toutes de très grande qualité historiques et photographiques. Certaines sont difficilement soutenables et illustrent les propos du médecin, qui voyait disparaître, corps et âme des sections entières de jeunes hommes de son âge dans le souffle d’un obus, des hommes dont on ne trouvait qu’une main, des mains portant une alliance ou une chevalière permettant d’identifier le soldat. Des obus qui déshabillaient des hommes par leur souffle ou les coupaient deux. Terribles photos ! Ces obus ou ces mines accompagnaient ces attaques pour quelques mètres de terrain, qu’on perdrait le lendemain. Des attaques déjà lues et relues dans tous les témoignages des poilus qui prirent la peine de les écrire. Impossible de faire dans l’originalité.
Des milliers d’hommes, français ou allemands passèrent entre ses mains. Sa fonction de médecin, lui imposait, en effet, une stricte neutralité. Il les soignait dans la boue, les pieds dans l’eau, faisait le tri entre ceux qui devaient être rapatriés vers l’arrière car ils avaient une petite chance de s’en sortir, et ceux qui, sans espoir, n’en avaient que pour quelques heures. Et il nous en apprend beaucoup sur ces soldats, courageux, dont on ne parle jamais, ces brancardiers qui sous les balles et les obus allaient chercher ces blessés. Et y laissaient aussi la vie.
Son témoignage donne offre un point de vue intéressant quant à cette guerre. Il n’était pas combattant, il peut donc porter sur ces soldats qu’il voyait courir vers les lignes ennemies sous les balles et les obus, un regard différent de ceux précédemment lus, sans être ni juge ni partie.
Bien que rare, son témoignage est d’une page à l’autre, répétitif…. obus, boue, sang, blessures soignables ou mortelles….On change de campagne, on change d’année, les pages se ressemblent, il prend des galons, la technique de soin s’améliore… c’est l’un des « bienfaits » des guerres…améliorer les compétences du corps médical, arriver à sauver des hommes qui quelques années auparavant étaient condamnés. Rares sont ceux qui mobilisés en 14 connurent l’armistice, y compris dans le personnel non combattant…Il ne faut pas oublier que ces médecins n’étaient pas des planqués de l’arrière. Ils étaient sur les champs de batailles, certes sans fusils, et nombre d’entre eux furent tués, sous les yeux de Louis Maufrais parfois.
Il nous en apprend beaucoup sur les états d’âme et l’abnégation et le courage des poilus, et nous fait aussi sourire lorsqu’il nous raconte, ce que je n’avais lu auparavant, que les soldats urinaient parfois dans des boites de conserve, qu’il jetaient dans les tranchées allemandes distantes de quelques mètres parfois. 
Un témoignage qui m’a personnellement touché …il fait référence notamment aux combats du Mort-Homme, proche de Verdun, combat que fit mon grand-père, où il fut blessé et dont il me parlait en quelques mots…des paroles rares pour me parler de l’horreur, de ses blessures…les larmes aux yeux. Ils se sont peut-être rencontrés, Louis a peut-être sauvé Antonin. 
Merci à Louis pour son livre, qui couvre toute la période de guerre, du 3 août 1914 jusqu’au 14 juillet 1919, un livre d’un grand intérêt, tant pour la qualité des observations précises et du texte, que pour la qualité de ses photos. Il dût être hanté toute sa vie par cette expérience, par ces jeunes hommes de son âge, morts entre ses mains malgré son acharnement. Dans les dernières pages du livre il dira :  « J’ai la chance de survivre, mais aujourd’hui, je me sens seul »
Il fut l’un des rares pour lesquels la guerre dura depuis le tocsin jusqu’aux trompettes de la victoire ! 
Editions Robert Laffont – 2008 – 325 pages

Présentation de Louis Maufrais

Un site pour en savoir plus :http://www.crid1418.org/agenda/


Quelques lignes
  • « Nos sleepings étaient de modèle courant : les célèbres 36-40, c’est-à-dire des wagons à bestiaux. Il fallait voir les barbouillages à la craie qu’il y avait dans ces wagons. Partout on lisait : « À Berlin, mort aux Boches ! » Dans le nôtre, une tête de Guillaume II était dessinée, avec son casque et ses moustaches pointées à la verticale, assortie d’une inscription inattendue : « Guillaume cocu ». » (P. 29) 
  • « Des noms pittoresques et un joli bois vallonné qui respirent la joie de vivre… On y ramassera cent mille morts. » (P. 66)
  • « C’est un paysage lunaire, où se dressent quelques troncs d’arbres dénudés ressemblant à des bouts de poteaux télégraphiques. Mais, de chaque côté, la futaie est là, tout près, intacte. En somme, nous nous battons dans un champ de bataille dévasté encerclé de verdure. » (P. 86)
  • « …….les totos sont tellement lourds que, quelquefois, ils tombent tout seuls. Après je brosse, je savonne, et je mets tout cela dans l’eau bouillante. Seulement huit jours plus tard, vous en aurez autant parce qu’on ne peut pas avoir les œufs. Il faudra qu’un jour, quand on sera tout à fait à l’arrière, je vous repasse toutes vos doublures avec un fer bien chaud, alors on entend tic, tic, tic. Ce sont tous les œufs qui pètent ! » (P. 118)
  • « Aucun d’eux n’est équipé, pas plus les Allemands que les Français. Les hommes se croisent, ils ne se parlent pas. Tous, ils sont brisés. Plus bons à rien. Dégoûtés de tout. De la guerre en particulier. Les Allemands comme les Français, ils sont à chercher quelque chose, des blessés, des morts, ou rien. » (P. 236)
  • « Malheureusement, le sang manquait. La connaissance des groupes sanguins en était à ses débuts ; on ne connaissait pas les groupes Rhésus. On prenait cent cinquante grammes de sang à des volontaires de l’ambulance, pas plus, pour ne pas les claquer trop. Ce n’était pas assez. Par ailleurs, on ne connaissait ni les sulfamides ni les antibiotiques. Le plasma injectable non plus n’était pas inventé. » (P. 291)
  • « J’avais déjà remarqué bien des fois que les plaies souillées d’asticots évoluaient admirablement. Ces observations furent faites par quantité de médecins du front. Elles servirent, après la guerre, à la mise au point d’un procédé de cicatrisation par broyage d’asticots. » (P. 302)

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