« My Absolute Darling » – Gabriel Tallent

my absolute darling« Dérangeante » est sans aucun doute le terme qui convient, selon moi, le mieux à cette lecture…
Oui cette lecture m’a dérangé, dans tous les sens du terme…Mais attention, « dérangé » ne veut pas dire « désintéressé ». Loin de là ! 
Julia Alveston est une gamine de quatorze qui a poussé tout en longueur. Martin, son père et ses copains de classe préfèrent l’appeler « Turtle » ou « Croquette ». Elle vit seule avec lui, dans une baraque semblant faite de bric et de broc en forêt, un peu loin de tout, en Californie, la Californie sauvage, loin du bling-bling. Sa mère a disparu de façon étrange en mer lors d’une plongée en mer.  

L’école c’est pas trop son truc. Anna son institutrice, se désespère des résultats de la gamine, mais elle seule se rend compte de ses capacités et fait tout pour la motiver. Son c…de père, dont on ne sait pas trop de quoi il vit, ne la soutient que très peu à la maison. Alcoolique, il va même jusqu’à la traiter de « pauvre petite moule illettrée » après une rencontre avec Anna son institutrice qui lui a fait part de ses résultats…. Ne parlons pas de son vocabulaire, qui « ne fait pas dans la dentelle ». Leurs seules passions communes sont les armes …ils en possèdent plusieurs, du pistolet au fusil à répétition. Tous deux savent les trafiquer, améliorer leurs performances. J’ai compté au moins 6 armes, puis je m’en suis lassé.
Julia tire non pas sur tout ce qui bouge, mais fait des cartons y compris à l’intérieur de la maison, sur les portes….elle sait tenir compte de la force du vent, de la chaleur afin de viser juste, son père est derrière elle pour lui enseigner ses trucs…derrière elle pour lui donner des cours de tir et des conseils pour maîtriser sa peur, cette peur qui interdit de bien viser…et derrière aussi car c’est aussi un gros salaud méprisable qui viole sa fille, au risque de la rendre enceinte. Dérangeant.
Absolute Darling pour les armes et Turtle…
La fascination familiale pour ces joujoux les pousse même à organiser leurs petits concours. Le père est malgré tout un ardent défenseur de la nature. Il ne s’imaginerait pas vivre en ville, loin de son gros pick-up et de sa solitude dans les bois
Heureusement la gamine est très proche de son grand-père paternel, qui l’aime mais qui disparaîtra trop tôt. Lui était plutôt fan des couteaux et d’un en particulier qui lui permit de s’illustrer lors de la guerre de Corée. Violence quand tu nous tiens !
Par hasard, un jour d’orage elle se liera d’amitié avec deux gamins perdus dans les bois, qu’elle ramènera à bon port…des copains de son âge qu’elle va revoir, et qui vont attiser la jalousie de Martin son père…Oui, sa fille est sa propriété personnelle, il est jaloux de Brett et Jacob qui ont l’âge de sa fille…Ils pourraient lui la voler, il irait même jusqu’à tuer pour garder son bien…Eux seuls se rendent compte du malaise de la gamine, des coups qui marquent son corps. Une « pauvre petite conne » pour son père.
Avec un tel père sociopathe, on ne peut qu’admirer cette gamine
On découvrira d’autres aspects de la perversité du père avec une autre gamine arrivée par hasard dans leur vie .
Ne parlons pas de certains points assez invraisemblables faisant de la gamine une « superwoman en puissance » indestructible, ne craignant ni la douleur ni les éléments…Un côté Mc Giver parfois. 
Quand on connait la fascination de nombres d’Américains pour les armes, pour les gros pick-up, quand on connait les scénarios des séries dont nous abreuvent certaines chaines télé, quand on connait le genre de type qu’ils sont prêts à porter au pouvoir, on comprend mieux pourquoi ce livre violent a été un « livre phénomène aux Etats-Unis », si l’on en croit la 4 ème de couverture. On comprend également la contradiction, entre leur désir de nature et leur amour des gros pick-up. J’espère qu’eux aussi ont été dérangés par la personnalité de Martin. C’est pour toutes ces raisons que ce livre m’a dérangé et intéressé. Pour cela que j’ai eu envie de le lâcher et que malgré tout j’ai poursuivi cette lecture.
Quant au final……il est digne de ces films américains dans lesquels on ne compte pas les pan-pans.
Caricature de la vie américaine ou fascination pour un monde bien éloigné du nôtre… roman sur l’inceste, et sur la dignité et la force de caractère d’une gamine, « My Absolute Darling » présente un aspect dérangeant et intéressant d’une forme d » »Américan way of life ». 
Stephen King l’a qualifié de « chef d’oeuvre ». Je n’irai pas jusque là, sauf si on considère ce qu’il nous enseigne ce qui fascine les Américains.
Entre une ou quatre étoiles (sur cinq)…J’hésite!
Éditions Gallmeister – Traduction : Laura Derajinski – 2018 – Parution initiale aux USA : 2017

Qui est Gabriel Tallent


Quelques lignes

  • « Elle est grande, à quatorze ans, une carrure maigrichonne et dégingandée, des jambes et des bras longs, des hanches et des épaules larges mais délicates, un cou long et nerveux. Ses yeux sont l’atout physique le plus frappant, bleus et en amande sur son visage trop mince, ses pommettes hautes et saillantes, sa mâchoire aux larges dents tordues – un visage laid, elle le sait, et inhabituel. Ses cheveux sont épais et blonds, des mèches entières pâlies par le soleil. Sa peau est constellée de taches de rousseur cuivrées. Ses paumes, la peau lisse de ses avant-bras et l’intérieur de ses cuisses sont veinés de bleu. » (P. 11)
  • « Turtle, ton père est un immense, un titanesque, un colossal enfoiré, un des pires qui aient jamais vogué sur les mers de verveine citron, un enfoiré de première dont les profondeurs et l’ampleur de l’enfoiritude dépassent l’entendement et défient l’imagination. Même si, bien sûr, Marc Aurèle a dit qu’il ne faut pas détester ceux qui nous ont blessés. Il dit qu’on doit comprendre qu’ils agissent par ignorance, contre leur propre volonté, presque, et que vous serez tous les deux morts d’ici peu, et que cette personne ne t’a pas vraiment blessée parce qu’elle ne t’a pas privée de ta liberté de choix. Et je crois qu’il a raison. Tu n’es pas obligée de le détester. Mais tu devrais véritablement, franchement, envisager de partir d’ici. Je veux dire, aller à l’hôpital pour commencer. Parce que seul un sociopathe narcissique t’empêcherait d’aller voir un docteur, dans la situation actuelle. Une personne qui se préoccuperait de toi, ce serait sa priorité numéro un si elle voyait ce que je vois en ce moment. » (P. 280)
  • « Ton père a grandi dans une haine absolue de lui-même, dans un sentiment de rejet total et dévastateur, et c’est comme ça qu’il vit aujourd’hui. Mais il t’a aimée. Il t’a foutument aimée. Comment a-t-il pu trouver les ressources en lui, tu ne le sauras sans doute jamais. Toute cette force en toi, elle vient de lui. L’étincelle en toi, la moindre foi que tu portes à toi-même, tout ce qui, en toi, résiste à la pourriture, tout ça vient de lui. Il n’a jamais eu ça pour lui, mais il l’a trouvé pour toi. Et il devait pressentir ce monde pour lequel il te préparait, ce à quoi il allait devoir renoncer. Elle tremble. Et peut-être, pense-t-elle. Peut-être que tout ira bien. Et si c’est le cas, pense-t-elle, c’est parce qu’il t’aura tout donné. C’est ce qu’il a de meilleur. » (P. 321)

Une réflexion sur “« My Absolute Darling » – Gabriel Tallent

  1. Un livre qui suscite autant de questionnement et de malaise mérite sans doute que l’on s’y attarde… J’attends sa sortie poche, mais je le lirai, tous les avis lus à son sujet m’ont rendu très curieuse !

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