
Azad, le Grand-frère est chauffeur Uber, il conduit 11 heures par jour une grosse berline étrangère, noire. Il aime conduire, c’est d’ailleurs pour cela qu’il fait ce boulot. Conduire vite, c’est pour ça qu’il n’a presque plus de points sur son permis et que Le Guen, un flic l’a dans le collimateur.
Hakim, Petit frère est quant à lui infirmier à l’hôpital Pompidou à Paris.
Maman, bretonne d’origine, est partie rejoindre les anges, et Papa quant à lui guérit sa solitude en conduisant un taxi depuis qu’il est arrivé en France. Il râle contre ce fils qui, avec sa grosse voiture noire, lui prend le travail…Le sien et celui de tous ses collègues.
Une famille banale de banlieue. Papa est venu de Syrie il y a longtemps, pour fuir Assad qu’il ne porte pas dans son cœur.
Petit-frère s’ennuie. Idéaliste et le cœur sur la main, il trouve peu d’intérêt dans son travail parisien. Il y a tant à faire pour aider le peuple syrien, calmer et soigner les souffrances dues à la guerre….alors il s’engage dans une organisation humanitaire musulmane et part vers cette Syrie qu’il ne connaît pas.
Il ne sait pas ce qui l’attend…on s’en doute un peu.
Grand frère est superficiel, il veut « tout niquer », ne se pose pas de questions. Sa bagnole est son monde, rouler, rouler, faire des heures..là est son plaisir. Cravate et mocassins sont de mise, bien éloignés de la casquette des copains de banlieue.
Opposition apparente de deux personnalités, des deux personnages.
Début d’un roman, qui bouscule le lecteur, à la fois par l’écriture et l’histoire. Ce premier roman fut couronné de prix littéraires. Et pourtant des puristes n’apprécieront peut-être pas l’écriture, regretteront d’avoir à consulter le glossaire pour comprendre les mots des personnages de banlieue. Mais comment raconter ce monde de banlieue, ce monde d’immigrés de la première et de la deuxième génération autrement, sans en adopter les mots et les codes.
Cette vérité de la langue donne vie au roman, et plaisir au lecteur.
On s’en doute. On sait que Mahir Guven va nous bousculer, nous émouvoir. Mais comment ?
Chacun des trois personnages, le père, Grand frère, Petit frère m’a ému, même s’ils ne sont pas tous des anges, loin de là. Impossible de rester indifférent face à leurs histoires, face au drame.
Je pense avoir compris le destin de chacun des deux frères, ce qui ne veut pas dire excuser, loin de là. Ni pardonner.
Tous deux traversent la vie « hors des clous », chacun à leur façon.
Solitude et mal-être dans notre société, intégration, racisme…On se pose des questions sur le comportement des deux frères.
La faute à qui ? Peut-on espérer pardonner sans expliquer, sans tenter de comprendre ? Peut-on simplement pardonner ?
Tout l’intérêt de ce roman !
Nous retourner, nous bousculer…
« Qu’est-ce que c’est, grandir ? Faire des choix, en tirer les conséquences ? Qu’est-ce que c’est, vieillir ? Comprendre que c’était que des choix. On prend une route, ou une autre, peu importe, à la fin on finit de la même façon, on tend la main aux anges. » (P. 234).
Éditeur : Philippe Rey – 2017 – 264 pages
Présentation de Mahir Guven
Quelques lignes
- « La vie, c’est complexe. Les choix que l’on fait, les routes que l’on emprunte dépendent du boy caché au fond de notre cerveau. De la manière dont il se construit. Dont il s’enrichit jour après jour. Et de l’état d’esprit du moment. Y a des routes où tu peux faire demi-tour et d’autres où, quand tu y mets le pied, c’est fini. Et encore d’autres, où tu sais pas ce qu’il y aura au bout. La peur de rater quelque chose t’attire comme un aimant. Dans le doute, tu y vas. » (P. 15)
- « Personne ne conduit comme moi, je suis chauffeur, livreur, conducteur, aujourd’hui je transporte des gens, et hier j’ai transporté de la marchandise. Que de la pelouse, jamais de la blanche. Un jour, il faudrait que je calcule le nombre de joints qui ont été fumés grâce à mes courses. Un gramme, c’est trois joints. Donc un kilo, c’est trois mille joints… Et deux cents kilos, c’est six cent mille alors, non ? Bref… le volant et la pédale, c’est mon affaire. C’est pas tant la bicrave que la vitesse et le risque qui me font du charme, parce que l’oseille, c’est vraiment pas mon truc. » (P. 43)
- « Les racines d’un arbre, ça pousse où y a de la place. S’il a l’eau et le soleil, il aura l’énergie nécessaire pour pousser, donner des fleurs et des feuilles, et ses racines iront où elles pourront. Les plantes en pot ? Elles grandissent jamais, résistent à rien, et il faut s’en occuper beaucoup plus. C’est pas pour rien que le rap est né en banlieue, le terreau y est propice. Les lois existent, mais on fait abstraction de certaines règles pour élargir notre champ des possibles. On s’interdit rien, et on explore le monde. Forcément, ça crée des choses, du bon comme du moins bon, mais ça crée. En trente ans, les rappeurs sont devenus les premiers vendeurs de disques dans ce pays. À une époque où on dit que les jeunes ne lisent plus, ce sont les seuls qui écrivent. » (P. 188)