
Rares doivent être ceux qui vivent encore, parmi ces 156 000 soldats qui ont vécu cette journée, après avoir débarqué dans l’eau froide à l’issue d’une traversée au cours de laquelle ils avaient vomi tripes et boyaux sur cette mer démontée. Près de 7 000 bateaux, depuis des croiseurs jusqu’aux péniches de débarquement, avaient du se regrouper et affronter côte à côte cette traversée à l’insu des observateurs allemands qui ne les attendaient pas. Pour eux, le temps n’était pas un temps à faire débarquer des troupes. Longtemps ils crurent que c’était une opération de diversion.
Un seul ordre qui fait froid dans le dos, avait été donné aux capitaines de ces embarcations : « Ne vous arrêtez pas pour repêcher et sauver ceux qui tomberaient à l’eau! Foncez ! » . Nombreux furent ces anonymes qui ne virent pas les côtes françaises, parce que leur char amphibie coula et se retourna sur le fond, parce que leur navire fut touché par une bombe, ou envoyé par le fond par l’une de six millions de mines posées au large des côtes.
La cour martiale était promise à tous ceux qui refuseraient de sauter
Giles Milton détaille toutes les phases d’observation préparatoires à cette journée, et toute la journée du 6 juin, plage par plage, en 8 parties qui articulent le livre, depuis la préparation en passant par les différentes parties de cette journée, de minuit à minuit.
Il s’appuie sur de très nombreux témoignages, issus d’autres ouvrages historiques mais surtout sur des écrits ou des entretiens laissés par ces soldats qui arrivèrent à atteindre la grève et à survivre à cette guerre.
Milton ne nous épargne rien, ni ces morts, pulvérisés par des mines, ou hachés par les obus ou les balles, ni ces blessés agonisant, ni ces monceaux de cadavres ballottés par les vagues, ni cette eau rougie par le sang…
Les GI, les soldats anglais ou canadiens ne sont pas les seuls à être présentés dans cet ouvrage. Miton donne aussi la parole à ces soldats allemands qui depuis leur casemates les canardait, à ces normands qui les accueillirent, qui virent leur ville bombardée, leurs maisons détruites. Les généraux et hauts gradés sont relativement peu présents, sauf dans les phases de préparation.
Des petits riens auraient pu changer le succès de cette opération et le destin du monde : les stratèges allemands ne croyait pas qu’il s’agissait du vrai débarquement, le temps étant trop mauvais. . D’autre part, pour eux, ce débarquement ne pouvait se faire que dans le Pas-de-Calais… enfin le maréchal Rommel qui commandait cette armée occupant la Normandie était parti en Allemagne afin offrir une paire de chaussures à son épouse pour son anniversaire…
Le hasard fait bien les choses, même si, au soir de cette journée les objectifs n’avaient pas été atteints, la réaction allemande fut longue à se mettre en oeuvre
J’ai été impressionné par cette organisation, par cette logistique, par l’importance du matériel et des moyens mis en oeuvre, par le courage et l’abnégation de ces hommes.
La guerre n’était pas achevée pour autant, il fallu encore 335 jours de combats et combien de morts de part et d’autre, sur ce front et celui de l’Est, qu’il ne faut pas oublier non plus, avant la capitulation allemande.
Napoléon Bonaparte aurait dit : « Les soldats généralement gagnent des batailles ; les généraux en obtiennent le crédit. »
Ce livre est écrit pour justement attribuer le crédit de cette bataille du débarquement à ces soldats.
Merci à eux et merci à Babelio et à Masse critique pour cette lecture.
Les Éditions Noir sur Blanc – Traduction : Florence Hertz – 2019 – 506 pages
Présentation de Giles Milton
Quelques lignes
- « L’opération Overlord ne pouvait être lancée qu’une nuit de pleine lune avec une marée basse au lever du jour. Ces exigences réduisaient considérablement les dates possibles pour le Débarquement. » (P. 78)
- « Un millier de camps militaires et deux-cent soixante dix neuf mille tentes [….] onze mille avions et près de trois cent cinquante mille véhicules y avaient été rassemblés, camouflés aux yeux inquisiteurs de la Luftwaffe […] des milliers d’hectares de mortiers, d’obusiers et de canons antiaériens. Une masse incroyable de matériel -vingt-trois millions de tonnes-avait traversé l’Atlantique… » (P. 83)
- « Il était «à moitié mort de peur» et très angoissé par la bataille qui les attendait, «un peu comme un condamné à mort doit se sentir le matin de l’exécution quand on le conduit de sa cellule au gibet». Il se résigna à mourir. » (P. 105)
- « Lors des premiers combats, les risques n’avaient pas été pris par les généraux bardés de médailles, ni par les chefs d’état-major, mais par les petits lieutenants, les sous-officiers héroïques, les sans-grade. «Le vrai courage se trouve chez ceux qui croient qu’il y a des choses dans la vie qui valent la peine qu’on se batte pour elles et qu’on meure pour elles. La bravoure ne s’achète pas et on ne fabrique pas les héros à la chaîne». » (P. 282)
- « Je n’avais aucune pitié, aucune compassion. Si j’ai fait des prisonniers, c’était pure coïncidence. » (P. 300)
- « Ceux qui réchappèrent à l’enfer d’Omaha furent marqués à jamais par cette vision apocalyptique. Même des années, des décennies plus tard, Wally Blanchard était encore un peu là-bas. » (P. 362)
- « Si nous ne le rejetons pas à la mer dans les premières vingt-quatre heures, nous serons perdus. Ce jour là sera le plus long et peut-être le dernier. » (Rommel quelques mois avant le débarquement – P. 492) (Selon un entretien avec un témoin)