« La dénonciation » – Bandi

Le hasard fait bien les choses…vous cherchez un livre dans des rayons d’une librairie ou d’une bibliothèque, et un livre inconnu attire votre regard et votre main…et vous découvrez alors des heures de lecture insoupçonnée…ce fut le cas…Une ballade en Corée du Nord, sans visa et sans crainte de ne pas en revenir, ne se refuse pas…surtout quand le prologue vous harponne :

« J’ai écrit ces histoires, 
Poussé non par le talent, 
Mais par l’indignation,
Et je ne me suis pas servi d’une plume et d’encre
Mais de mes os et de mes larmes de sang
Elles sont aussi arides que le désert,
Aussi brutes que la prairie sauvage,
Aussi pitoyables qu’un malade,
Aussi maladroites qu’un grossier outil en pierre, 
Mais, cher lecteur, 
Je t’en prie, lis-les »

Comment refuser d’écouter ceux qui sont condamnés à se taire, condamnés à vivre, ou plutôt à survivre dans un monde d’interdits, de répression, de violence, du secret, de faim et de froid…Un monde absurde, brisant les hommes, comme surent en créer d’autres malades tels que Staline, Hitler, Mao… Délations, répressions, violences, déportations, disparitions, obéissance aveugle aux ordres, sont les constantes de ces régimes aux ordres de fous furieux qui trouvent des serviteurs d’un jour qui seront les bannis de demain…des serviteurs zélés qui confirment la cruauté, la servilité, face à la force de l’espérance du genre humain. 

Servilité de certains, volonté de parler des autres, passivité imposée du plus grand nombre. 

Tous condamnés à se taire, à obéir, à défiler, à honorer le dirigeant-dieu… condamnés à se comporter en spectres ..l’une des nouvelles de l’ouvrage

On l’a lu mille fois, rien n’est nouveau sous ces latitudes, chacun de ces fous-dirigeants réinvente à sa sauce les brimades, les interdits, le culte de la personnalité, les grands défilés à sa gloire, ses hommes de main, le mensonge, les brimades,….le mot est faible…la faim, le froid

Et dans chacun de ces royaumes où l’absurde et le silence sont les règles, des hommes se lèvent pour dire au monde ce qui doit être tu, des hommes arrivent à transmettre au monde la souffrance de leurs concitoyens, la disparition d’innocents…Alors il est bon de les écouter, de les lire….de découvrir ce sinistre article 149 qui permet de persécuter une famille de génération en génération.

D’autres se couchent en espérant devenir des seigneurs. Le régime, quant à lui fonctionne selon trois règles principales, interdire, punir et condamner au silence…

On retrouve ce que d’autres ont écrit, dans d’autres temps, sous d’autres cieux. Le texte n’a pas toujours la qualité littéraire de ceux de Grossman, Soljénitsyne, Kafka, ou Remarque, mais qu’importe…Il faut le lire. 

Face au courage de parler, il faut avoir le courage de lire. 

Quel autre auteur nous parle depuis la Corée du Nord? 

Bandi, est le pseudonyme de l’auteur, un écrivain opposé au régime, un l’inconnu qui nous parle. Il a pu, on ne sait comment, faire passer ces sept nouvelles à notre monde.

Certains s’interrogent quant à la véracité de ces écrits, tous relatifs à des événements des années 90, alors que Kim Il-sung régnait, s’interrogent quant à l’existence de Bandi…d’autres l’ont également fait dans les années 30 et 40. A une époque où les bombes n’étaient pas les mêmes. 

Deux fous se faisaient face. On sait comment ces face à face se terminèrent. Alors, oui, il est important de lire ces messages d’un autre monde, on apprécie encore plus le nôtre, et nos petites contraintes. Oui, il est important de découvrir Bandi…..cette petite luciole qui nous éclaire

« Ce barbu européen
A affirmé que le capitalisme est un monde d’obscurité
Tandis que le communisme est un monde de lumière
Moi, Bandi, qui vis dans le monde de lumière
Mon destin est de ne briller que dans l’obscurité
Et je dénonce haut et fort que
Si cette obscurité est une nuit sans lune
Le monde de lumière de ce barbu est un abîme
Où il fait un noir d’encre »  

Éditeur: Picquier poche – Traduction : Lim Yeong-hee et Mélanie Basnel – 2018 – 295 pages


Présentation de Bandi


Quelques lignes

  • « L’enfant avait beau n’avoir que deux ans, si on apprenait que le fils d’un jidowon du service de propagande se sentait mal rien qu’en voyant le portrait de Marx, les conséquences risquaient d’être dramatiques pour toute la famille. » (P. 48)
  • « Un million de ces lièvres observaient la famille de Kyeong-hui, la peur au ventre, et se disait surement que si l’ordre de l’Eobi tombait à nouveau, ils se précipiteraient tous sans tergiverser sur la place, quelle que soit l’heure, et parviendraient à se rassembler même si on leur donnait moins de quarante-cinq minutes pour le faire. » (P. 75)
  • « Même si tous les corbeaux du pays croassent, toi camarade, tu la fermes ! Tu mérites carrément la prison, toi ! La prison ! Tu m’entends ?. » (P. 106)
  • « Tu sais, mon mari m’a dit que si jamais on découvre qu’il a photocopié ça, ce sera la fin pour lui, surtout à cause du numéro 149. Ça signifie que la famille a été déportée par décision du cabinet répondant à la clause 149, parce que ses membres sont considérés par le Parti comme des insurgés et des traîtres, ce qui leur vaudra d’être persécutés de génération en génération. » (P. 143)
  •  » Ce pays devait être sous le coup d’un sort maléfique, sinon comment expliquer que les hurlements de supplice de tous ces gens du petit peuple se soient transformés en « éclats de rire heureux » » (P. 182)
  • « Bien sûr, j’ai envie de recevoir cette récompense et de récupérer mon poste précédent, mais je suis tout à fait conscient que ce que j’accomplis ici n’est pas suffisant pour que je le mérite. » (P. 253)

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