
Шедевр! Un chef-d’oeuvre !……comme seuls (ou presque) les russes savent en écrire.
Cela fait des années que je souhaitais approcher ce texte, mais ses presque 1200 pages m’effrayaient…et puis la guerre mondiale …encore un livre pour ressasser les même choses….bref! une envie de culture et de découverte contrariée par ma paresse.
L’été, saison des romans légers pour certains, fut pour moi au contraire l’occasion de me plonger dans ces pages. Comment ignorer un auteur majeur de la littérature, et surtout un auteur dont ce titre fut saisi et interdit par la KGB…
Tout ce qui gêne les sbires bas de plafond, quel que soit les lieux où ils exercent leurs activités de censure, mérite d’être lu.
Une rapide recherche sur Babelio des livres qui furent interdits ici où là prouve si besoin était que tous ont passé le temps, et en sortis grandis… Certains même, interdits ici ou là, font le bonheur de nos gamins et le nôtre et bâtissent notre culture littéraire.
Oui, « Vie est destin » est un livre superlatif, par les thèmes développés, par sa taille, par le courage de l’écriture et des propos de l’auteur qui fut un temps journaliste. Il couvrit la bataille de Stalingrad et accompagna les soldats russes jusqu’à Tréblinka.
Des pages courageuses pour nous décrire, au ras du terrain, et des trous de bombes, la vie de ces soldats russes dans le froid de Stalingrad, leurs privations, leur faim, mais aussi ces commissaires politiques qui les surveillaient, qui demandaient leur exécution parce qu’ils avaient reculé de quelques mètres, ces commissaires politiques qui à leur tour connurent plus tard l’exécution sommaire, la balle dans la tête…
La guerre vue au travers de morceaux de vie de nombreux personnages..
Difficile de tous les enregistrer. Et il en fallut du courage, pour décrire d’une part les conditions d’extermination des juifs dans les camps de la mort, il nous en faut aussi à nous lecteurs, pour lire ces pages froides, presque mécaniques, sans accroc, bien huilées, ces pages décrivant l’arrivée des gamins, des femmes et des vieux, le tri de ces juifs inutiles pour le travail forcé, éliminés, leurs derniers voyages depuis leurs wagons jusqu’aux fours, tout ça lu des dizaines de fois. Mais la mécanique bien rodée de ces camps, décrite par Grossman, fait froid dans le dos….témoigner en souvenir de sa mère, juive comme lui donc, une mère qui fut exterminée.
« Il existe un droit plus grand que celui d’envoyer les hommes à la mort sans se poser de questions, c’est celui de se poser des questions en envoyant les hommes à la mort« ….Beau sujet de dissertation!
Mais un personnage central mérite toute notre attention, et mobilise Grossman : Staline…
Staline comparé à Hitler, dans leur politique de répression, et d’élimination des juifs. Staline était mort depuis presque 10 ans quand Grossman publia ce texte, mais il gouvernait encore la Russie, par des sbires attentionnés poursuivant sa pensée. Son idéal de violence et de répression imposait le mutisme à la population. Courageux, Grossman multiplie les critiques, les comparaisons entre nazisme et stalinisme. On frémit de certaines paroles de ses personnages:
« Au nom de la morale, la cause révolutionnaire nous avait délivrés de la morale, au nom de l’avenir elle justifiait les pharisiens d’aujourd’hui, les délateurs, les hypocrites, elle expliquait pourquoi, au nom du bonheur du peuple, l’homme devait pousser à la fosse des innocents. Au nom de la révolution, cette force permettait de se détourner des enfants dont les parents étaient en camp. Elle expliquait pourquoi la révolution exigeait que l’épouse qui n’avait pas dénoncé son mari innocent fût arrachée à ses enfants et envoyée pour dix ans en camp de concentration. » ….
« …il faut haïr Staline et sa dictature !Mais non, non, bien plus ! Il faut condamner Lénine.«
….ou encore
« Ce qui se jouait, c’était le sort des Juifs, que l’Armée Rouge avait sauvés, et sur la tête desquels Staline s’apprêtait à abattre le glaive qu’il avait repris des mains de Hitler, commémorant ainsi le dixième anniversaire de la victoire du peuple à Stalingrad. »
Camps nazis ou Goulag stalinien étaient comparables…il le clamait haut et fort. L’enfer en miroir.
Il dénonce également les chercheurs devant faire leur autocritique, imposée par le Parti, parce que leurs découvertes n’étaient pas conformes à l’orthodoxie du Petit-Père, lespourquoi et comment briser les hommes, l’utilité économique des camps…
Alors le KGB saisit son livre, Grossman rejoignit la liste des auteurs interdits de publication.
Diverses parties du livres furent retrouvées, mais certaines pages manquent encore à jamais. Le lecteur doit alors se contenter à plusieurs reprises de=========== et imaginer ce que ces signes cachaient.
Vassili Grossman eut le courage d’écrire ce texte, prit le temps de nous informer, de partager ses douleurs…Alors, cela valut le coup pour moi, de prendre le temps de vivre par pages interposées cette douleur et ces témoignages….des pages qui m’apprirent que l’armée russe utilisait à Stalingrad des armes et des avions américains, qui m’apprirent ce qu’était le Lend-Lease.
S’il est des pages que chacun devrait lire, et relire, ce sont celles nous alertant sur l’antisémitisme et ses causes, des pages qu’on devrait extraire et partager, des pages qui malgré leur âge n’ont pas pris une ride.
Oui, j’ai passé une très bonne semaine estivale de lecture, pas toujours facile toutefois, mais tellement instructive et passionnante.
Un très grand merci à vous, Vassili Grossman.
Là-haut, au paradis des hommes de cœur, vous êtes certain de ne pas rencontrer les sinistres personnages de votre roman.
Éditeur : Le Livre de Poche – Traduction Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard – 2005 – Parution initial en 1962 – 1173 pages
Présentation de Vassili Grossmann
Quelques lignes
- « Il était évident que, au XXe siècle, la physique était déterminante… De même qu’en 1942, Stalingrad était devenu déterminant pour tous les fronts de la guerre mondiale. » (P. 109)
- « ….j’ai constaté que les hommes qui appellent à libérer la Russie des Juifs, sont aussi ceux qui s’humilient devant les Allemands, serviles et pitoyables, ces hommes sont prêts à vendre la Russie pour trente deniers allemands. Et pendant ce temps les êtres frustes venus des faubourgs s’emparent des appartements, des couvertures, des robes ; ce sont leurs semblables, sûrement, qui tuaient les médecins pendant les révoltes du choléra. Il y a aussi des êtres à la morale atrophiée, ils sont prêts à approuver tous les crimes pourvu qu’on ne les soupçonne pas de désaccord avec les autorités.. » (P. 112)
- « Dans l’appartement, vivaient la famille d’un docker parti au front, un gynécologue, un ingénieur d’une usine d’armement, une mère célibataire qui travaillait comme caissière dans un centre de ravitaillement, la veuve d’un coiffeur tué au front, enfin, dans la plus grande pièce, l’ancien salon, vivait le directeur d’une polyclinique. » (P. 155)
- « De même, quand on procède à un abattage de masse d’êtres humains, la population n’éprouve pas de haine sanguinaire contre les femmes, vieillards et enfants qu’il convient d’exterminer. Aussi est-il indispensable de préparer une campagne d’abattage d’êtres humains d’une façon particulière. L’instinct de conservation, dans ce cas, ne suffit plus, et il est indispensable de faire naître la répulsion et la haine dans la population. » (P. 278)
- « ….Il ne faut pas chercher ressemblances et différences dans les débris, les ordures, il faut les chercher dans l’idée, le projet du bâtisseur. » (P. 536)
- « L’histoire des hommes n’est pas le combat du bien cherchant à vaincre le mal. L’histoire de l’homme c’est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d’humanité. Mais si même maintenant l’humain n’a pas été tué en l’homme, alors jamais le mal ne vaincra. » (P. 550)
- « Au nom de la morale, la cause révolutionnaire nous avait délivrés de la morale, au nom de l’avenir elle justifiait les pharisiens d’aujourd’hui, les délateurs, les hypocrites, elle expliquait pourquoi, au nom du bonheur du peuple, l’homme devait pousser à la fosse des innocents. Au nom de la révolution, cette force permettait de se détourner des enfants dont les parents étaient en camp. Elle expliquait pourquoi la révolution exigeait que l’épouse qui n’avait pas dénoncé son mari innocent fût arrachée à ses enfants et envoyée pour dix ans en camp de concentration. » (P. 714)
- « Pourquoi la révolution était-elle aussi cruelle envers ceux qui s’étaient montrés sans pitié pour les ennemis de la révolution? » (P. 1057)
- « Staline ! Le grand Staline ! Il avait probablement une volonté de fer, mais il était le plus faible de tous. Un esclave du temps et des circonstances, serviteur humble et résigné du jour présent, ouvrant tout grand la porte aux temps nouveaux.. » ( P. 1136)