« Né d’aucune femme » – Franck Bouysse

Un anonyme a demandé à Gabriel le curé de venir bénir le corps d’une femme décédée dans un asile, bénir le corps et profiter du moment où il sera seul avec la défunte pour récupérer des cahiers. 

« — Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.
— De quoi parlez-vous ?
— Les cahiers… Ceux de Rose. »
 
 

Alors le curé partira avec Charles son sacristain, bénir le corps de cette femme et récupérer sous sa robe ces cahiers que Franck Bouysse nous donne à lire. Des cahiers écrits d’une seule pièce, sans guillemets, presque sans paragraphes…Des cahiers qui bouleversent le lecteur…

Ce n’est pas Franck Bouysse qui nous régale c’est Rose. Rose une brave fille qui vient de mourir dans cet asile… Rose qui nous fait partager sa courte vie. Une vie pas rose du tout.

La vie d’une brave fille vendue comme servante à un homme, vendue comme on vend du bétail par Onésime, son père, lors d’une foire, achetée autour d’un verre dans un bistrot, après que vendeur et acheteur se soient tapé la main : la pâche auvergnate.

Elle avait 14 ans. 

Le père repartira rejoindre son épouse et ses autres filles, avec une bourse bien maigre en poche et tentera d’oublier son geste. Il affrontera l’hostilité de sa femme et de ses autres filles. Rose la gamine arrivera, quant à elle, dans la ferme de Charles, maître de forge, homme violent. Edmond, un autre serviteur la prévient : « ils vont te mener la vie dure, lui et la reine mère »

Rose la gamine arrivera, quant à elle, dans la ferme de Charles, maître de forge, homme violent. Edmond, un autre serviteur la prévient : « ils vont te mener la vie dure, lui et la reine mère »…

Le lecteur sait à quoi s’attendre…..Rose devra faire face au vice et à la violence de la mère d’Onésime, une vieille femme méchante, qui l’habillera en soubrette et ne lui laissera passer aucune faute.. Onésime et la vieille font la paire, une paire de vice, de méchanceté…qu’on voit lentement arriver. Jusqu’où?

Un roman dans la lignée de ces romans de Dickens ou de Zola lus dans mon enfance…tristes, sordides, violents…ces romans dans lesquels on entre en soupçonnant le pire. La méchanceté, le vice, la luxure, sont parties intégrantes de la vie des hommes et femmes. Ils les transforment en sordide. .

Ces romans qu’on n’arrive pas, malgré tout, à lâcher et qui restent longtemps à l’esprit. Les romans de vies qui ont dû être, dans le passé, celles de nombreuses gamines nées sous de mauvaises étoiles, nées de parents qu’on ne souhaite à personne. 

Franck Bouysse est un homme dangereux qui maîtrise parfaitement cette horreur et ces vices de l’âme humaine. Mais l’âme humaine est également faite de résistance, de ténacité et de courage. Et Rose n’en manque pas. Elle incarne, malgré son jeune âge, la droiture face au vice et à la méchanceté. 

La belle couverture, calme et reposante, couverture du bonheur est là pour nous troubler, pour nous conter que derrière la beauté de l’amour d’une mère peuvent se cacher quelques années plus tard, le vice d’hommes et de femmes, la résistance d’enfants…

Les faiblesses des uns, le silence des taiseux, la violence et le vice des autres font partie de la vie, comme la résistance et la force de caractère…les uns étant les corollaires des autres. 

Franck Bouysse sait mélanger tout ça pour nous offrir des heures de lecture, d’indignation et d’admiration….des heures de bonheur de lecture. Des heures sans paragraphe, certes, parce que c’est Rose qui écrit… mais quel beau texte !

« Inspirer la pitié à quelqu’un, c’est faire naître une souffrance pas vécue dans un cœur pas préparé à la recevoir, mais qui voudrait pourtant bien en prendre une part, sans en être vraiment capable. La pitié, c’est le pire des sentiments qu’on peut inspirer aux autres. La pitié, c’est la défaite du cœur. »

Editions La manufacture de livres – 2019 – 333 pages


Présentation de Franck Bouysse


Quelques lignes

  • « Les cahiers ne sont plus en ma possession, je les ai remis à qui de droit, il y a des années. J’ai beau savoir ce qu’ils contiennent, il me faut revenir une dernière fois à l’immonde vérité dont je sens déjà le poison sourdre en moi ; comme si je vivais une autre existence que la mienne; comme si j’avais à la revivre indéfiniment, habité par la folle illusion de donner le temps à de nouveaux mots d’imprégner le papier » (P. 37)
  • « La sanction promise, j’allais pas tarder à comprendre qu’elle dépendait pas de ma faute, qu’elle était décidée depuis que j’avais posé les pieds au château, et surement même avant que mon père m’ait vendue. En ça, pour la condition, l’histoire de l’eau et de l’huile, la vieille avait raison. » (P. 99)
  • « Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, qu’il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent ou du sang, ou même des deux à la fois et puis les lâches. » (P. 194)
  • « Je me suis mise à écrire le soir-même. Depuis ce moment, je raconte mon histoire, tout ce qui s’est produit et tout ce qui m’arrive encore. Les mots passent de ma tête à ma main avec une facilité que j’aurais jamais crue possible, même ceux que je pensais pas posséder, des mots que j’ai surement appris aux Landes, ou bien lus dans le journal du maître et d’autres que j’invente. » (P. 233)
  • « L’âme, c’est pas ce qui reste quand on est mort, c’est ce qui s’en va quand il reste plus rien à ranger. Et moi, pendant les quatorze années qui viennent de s’écouler, j’ai apprivoisé mon âme. Elle est devenue mon amie de la nuit, le cœur immobile du tourbillon qui bat au ralenti, comme le mien, comme celui de mon petit il y a quatorze ans. Des fois, le jour, je peux pas m’empêcher d’imaginer à quoi il ressemble aujourd’hui, ce qu’il fait. La nuit, jamais. La nuit, il change pas, il est mon petit à mois, avec moi, encore relié à moi, tout dégoulinant de moi. Mon petit, sorti de mon ventre, il y a quatorze ans. » (P. 290)

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