
« …Ô Reine de douleur »…Athées ou croyants, rares sans doute, sont ceux qui sont restés insensibles à la destruction d’une partie de Notre-Dame de Paris.
La douleur de voir partir en fumée une flèche, une charpente cette forêt « mikado de châtaigniers » comme le rappelle Sylvain tesson, réalisée sans un clou, sans une cheville…douleur de voir une oeuvre d’art détruite à jamais. Peut-être à cause d’une négligence. On est en droit de s’interroger !
4 petits textes pour nous faire partager sa peine et ses souvenirs, des souvenirs de bonheurs.
Certains événements resteront gravés à jamais dans nos mémoires…Chacun se souvient de ce qu’il faisait quand il apprit la destruction des Twin-Towers à New-York, chacun saura dire « Quand Notre-Dame de Paris a brûlé, je faisais…ou j’étais… »…l’impensable restera à jamais inscrit dans un coin de notre tête.
« Ce feu dévorant est aussi un jugement sur ce que nous faisons de nos vieilles pierres : nous les abandonnons comme les personnes âgées en ce siècle XXI. Misérables que nous sommes »…Que rajouter ? Un point de vue de Sylvain Tesson en début d’ouvrage sans doute partagé par nombre d’entre nous.
J’ai été élevé dans cette foi catholique. Je suis maintenant devenu un « dubitatif profond », et au fil des ans, de plus en plus profond. Je ne me souviens plus qui employa ces mots, Desproges je crois, mais j’ai conservé les valeurs d’humanité, les valeurs d’écoute des autres qui me furent inculquées, des valeurs d’attachement et d’intérêt pour le travail et la peine d’autrui.
Né d’un père artisan menuisier, j’ai un attachement tout particulier pour le bois, pour ces escaliers biscornus, pour ces fenêtres que mon père réalisait en réfection de monuments anciens et historiques pour certains. Les fenêtres industrielles étaient encore inconnues !
C’est sans doute pourquoi cette nuit du 15 avril fut une nuit blanche, une nuit ou j’ai pleuré. Certaines émotions sont impossibles à retenir. Surtout quand elles vous renvoient à d’autres émotions personnelles.
Des hommes bâtirent, générations après générations, Notre-Dame et toutes ces cathédrales, mûs par un idéal et une foi, bien plus forts que nos engins modernes hydrauliques. Ils nous renvoient d’une certaine façon à une certaine forme de notre faiblesse, à la superficialité de notre siècle…à la vitesse qui guide notre vie, aux cinq ans qu’il faudra pour réparer…le temps seule valeur en réponse à ce drame. Ne parlons pas des capitaux…
Cinq ans qui sans doute verront s’affronter bien des conceptions techniques sorties comme autant de projets de nos ordinateurs…de nos logiciels experts. »Ce bluff technologique » mots repris par Sylvain Tesson à Jacques Ellul.
Ce petit livre est avant tout un livre d’amour de Sylvain Tesson pour Notre-Dame…Et comme tout bon livre d’amour il évite toute niaiserie, toute superficialité. Blessé par une chute il eut la possibilité de se reconstruire et se rééduquer en montant au petit matin, avec autorisation et laisser-passer, chaque jour, les 450 marches des tours de la cathédrale…Il découvrit également avec d’autres ses toitures et gargouilles en escaladant le toit de plomb.
« Grimper sur le dos d’une cathédrale, c’est avancer dans une terra encore un peu incognita »…écrira-t-il!
Lui, le grand voyageur nous fait partager ses émotions face à un inconnu que nous n’approcherons jamais, des émotions comparables à celles qu’il connues quand il partit en Mongolie, en Sibérie.
Un petit livre, avant tout d’émotions et d’informations également, sur cette cathédrale, sa conception, sa toiture, ses gargouilles….toutes choses que nous ne pouvions contempler que de loin, que nous ne pouvons pas connaître depuis le plancher des vaches que nous arpentons… Et que jamais plus personne ne verra non plus.
7 € de papier, quelques heures de lecture, 7 € dont les bénéfices iront à cette reconstruction.
Une goutte d’eau sans doute, mais indubitablement, un signe fort d’intérêt et de passion pour ces vieilles pierres, pour notre passé, pour le travail effectué par ces anonymes il y a plusieurs siècles.
« Peut-être un peuple va-t-il se porter au chevet de sa reine ? Peut-être va-t-il se souvenir qu’il n’est pas né hier ? Mais peut-être rien ne changera-t-il et continuerons-nous à nous espionner les uns les autres, à nous haïr, à nous conspuer. Alors, on se dira que la flèche a bien fait de se retirer. »
Éditions Équateurs – 2019 – 95 pages
Présentation de Sylvain Tesson
Quelques lignes
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« …il ne faudrait pas trop faire attendre les tour-operators. Déjà, sous les lambris administratifs, les commis de l’Etat songent à une réponse contemporaine adressée à notre immense peine. Il faudrait leur rappeler que l’incendie du 15 avril était déjà, en lui-même, un geste contemporain. » (P. 18)
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« Nous n’appartenons à aucune ligue (sinon à celle des chats de gouttière qui préfèrent la nuit au jour, le bord de l’abîme au socle des plaines, la corniche à la niche). Nous grimpions parce que c’était beau et plus utile à nos âmes que de reposer nos corps dans un lit. » P. 34)
- « Une église gothique est un accélérateur d’énergie : chaque contrefort de soutien exerce une pression sur les pas de murs. Chaque niveau s’élève en appentis, telles les marches d’un escalier. Plus les murs prennent de la hauteur, plus ils s’écartent les uns des autres : ils voudraient basculer en arrière comme les quartiers d’une orange ouverte, mais les arcs-boutants corrigent l’accrétion en les repoussant l’un vers l’autre. Le forces ainsi contrariées sont détournées vers le haut et fusent par les veines de l’édifice (Colonnes et voussures), pour se rejoindre au sommet de l’oeuvre, jaillissant à la croisée des transepts dans le giclement de la flèche. » (P. 36)
- « Tous prenaient des photos, des millions de photos, sans discontinuer. Pas un ne regardait Paris de son œil. Ils brandissaient un écran entre le monde et eux; Y avait-il encore de la place pour l’éclosion d’un souvenir, d’une pensée ? Ces gens devaient gober les discours sur « la réalité augmentée » ânonnés par les marchand de gadgets. Ce bluff technologique, comme le disait Jacques Ellul, me rendait triste. Il siphonnait la joie de vivre, il asséchait la fantaisie, le mystère de l’homme et sa poésie vive. De quoi avaient-ils peur, ces braves visiteurs, pour s’abriter derrière leurs blindages portatifs. Ils ne parlaient pas. ils ne riaient pas. Ils faisaient sagement fonctionner leurs trucs. La technique avait été inventée pour servir l’homme. La technologie le disciplinait, le mettait au service des appareils. L’homme était devenu l’employé de ses propres outils. » (P. 78-9)