
« C’était la première fois que je me tenais si calmement posté, dans l’espérance d’une rencontre
« …. Je ne me reconnaissais pas ! Jusqu’alors, j’avais couru de la Yakoutie à la Seine-et-Oise, obéissant à trois principes :
-L’imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout.
-Le mouvement féconde l’inspiration.
-L’ennui court moins vite qu’un homme pressé. »
Sylvain Tesson vient en Moselle de passer ses premières heures d’affût aux cotés de Vincent Munier, photographe animalier…ce dernier lui propose de partir à ses côtés, dans l’Himalaya, pour photographier la panthère des neiges, l’une de ces nombreuses espèces que notre monde aura bientôt éradiquée de la terre…
Alors même quand on est handicapé à la suite de la chute d’un toit, même quand on a des difficultés à porter de lourdes charges…Quand on s’appelle Sylvain Tesson, le goût de l’aventure, le goût des grandes espaces prend le dessus…..Oui, mille fois oui…et le voilà parti, et nous heureux de faire partie de ses bagages, nous l’accompagnons, sans aucune peine, dans le bonheur de son écriture, dans le bonheur de cette découverte, dans le chaud de notre fauteuil de lecture…Chacun de nous est le cinquième larron de ce voyage. A nos cotés, outre Sylvain et Vincent, nous serons accompagnés de Leo, qui portera une grande partie du matériel et par Marie, amie de Vincent Munier, également photographe animalière.
Nous passerons des nuits glacées dans des grottes ou des cabanes par moins 30 °, protégés tant bien que mal par nos duvets polaires, nous marcherons longtemps sur des névés en contemplant les loups qui chassent les Yacks, ces bovidés aux longs poils, et surtout nous apprendrons à nous taire, à ne pas dévoiler notre présence par la vapeur de notre respiration. De longs affûts sans bruit, qui nous laisserons le temps d’admirer cette nature sauvage et presque inviolée…Presque car les Chinois ont commencé à la tailler en pièce à la domestiquer, à la détruire…ce sont des hommes, comme nous tous, agissant au nom des Dieux Développement et Aménagement…
Et le soir, au bivouac, après avoir contemplé cette nature presque originelle, nous écouterons Sylvain nous parler de nous, de nous les hommes – j’allais mettre un grand H, mais nous ne le méritons pas- nous les hommes qui détruisons, depuis nos villes, depuis notre Occident, cette nature, de nous, dont les bagnoles font reculer les neiges éternelles, et toute la vie qu’elles abritent…Ah si seulement nous étions nombreux à écouter et lire les coups de gueule de Sylvain, nombreux à recevoir et à réagir aux coups de pieds au c… qu’l nous envoie..
Et s’il est des hommes qu’il déteste ce sont bien les chasseurs…il m’a bien fait rire en ridiculisant leurs arguments. Imparable plaidoyer !
.Et puis un jour, miracle,il faut La deviner, ombre parmi les rochers, Elle apparaît, Elle et ses petits, dont plusieurs mourront sans connaître l’âge adulte, Elle l’une des dernières…Alors profitons en !
Quelle beau voyage vous m’avez offert ! Puissent vos coups de gueule, vos indignations contre le je-m’en-foutisme de l’humanité face à destruction de notre monde être entendus et suivis d’effet…!
Merci, un grand merci, pour cette aventure. C’est avec plaisir que je vous ai suivi, comme d’autres fois..Vous savez nous transporter dans vos bagages, vous savez nous prêter vos yeux, nous offrir ce bonheur d’être seuls dans une nature encore vierge, nous émouvoir..
Il me reste maintenant à commander au Père Noël le livre de photos de Vincent Munier…..je suis certain qu’il me motivera encore plus pour préserver cette nature…si nous les Hommes ne voulons pas devenir la dernière espèce disparaissant de notre Terre…..Ce que nous promet le Père Fouettard.
Éditions Gallimard – 2019 – 167 pages
Présentation de Sylvain Tesson
Quelques lignes (tant d’autres m’ont plu et remué !)
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« Tragédie de la vie en groupe : n’être jamais tranquille. » (P. 38)
- « Pourquoi détruire une bête plus puissante, et mieux adaptée que soi ? Le chasseur fait coup double. Il détruit un être et tue en lui-même le dépit de n’être point aussi viril que le loup ou aussi découplé que l’antilope. Pan ! Le coup part. « Enfin », dit la femme du chasseur. » (P. 42)
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« Définition de l’homme : créature la plus prospère de l’histoire du vivant. En tant qu’espèce, rien ne le menace : il défriche, bâtit, se répand. Après s’être étendu, il s’entasse. Ses villes montent vers le ciel. » (P. 79)
- « L’homme s’était autoproclamé chef du politburo du vivant, s’était propulsé au sommet de l’échelle et avait imaginé une flopée de dogmes pour légitimer sa domination. » (P. 91)
- « J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s’asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l’homme à ce qui était donné. » (P. 162)