« Par les routes » – Sylvain Prudhomme

Déconcertant, presque ennuyeux parfois, mais recelant de petites pépites de bonheur…

Pas facile de donner un sentiment après cette lecture de ce livre couronné de prix littéraires. Un sentiment mitigé qui passe par l’agacement et le plaisir de découvertes. Cette impression touche aussi bien la trame du livre que son écriture.

Sacha le narrateur est un écrivain d’une quarantaine d’années, dont on ne connaît pas grand chose, si ce n’est son amour des livres, de la vingtaine de livres qu’il citera…des livres qui font parfois écho à une situation, à une expérience vécue. Et parfois des titres mentionnés sans cause particulière. Un peu comme pour nous montrer, ses goûts littéraires….comme pour nous dire: « Moi, je l’ai lu ».

Sacha vient vivre, au calme, dans un petit appartement, d’une ville moyenne, afin d’écrire un nouveau livre et aussi pour se rapprocher de l’autostoppeur qu’il rencontra il y a une vingtaine d’années; un autostoppeur qui lui laissa un souvenir fort, indélibile, mais dont il se sépara…

Roman sur l’homosexualité ? Roman sur l’amitié qui se délite dans le temps? Le lecteur s’interroge. 

Il retrouvera cet autostoppeur, marié et père d’Agustin à quelques rues de celle où il vient de s’installer. L’homme vit de petits boulots, il est un touche-à-tout, à la fois électricien, plombier, carreleur, maçon, montant des salles de bains, des cuisines, et, surtout, incapable de rester en place et s’évadant en parcourant la France en stop. 

Partir est pour lui un besoin impérieux. Boulimique de noms de villes à accrocher à son tableau de chasse. 

Alors il plaque tout, femme, enfant, boulot et part vers une ville qu’il aura sélectionnée. Pourquoi elle ? Pour quelques jours ou plus ! 

Pourquoi partir? Pour son plaisir, pour découvrir des villes, à accrocher comme autant de pièces à son tableau de chasse. Des villes aux noms bizarres, des villes de France dont le nom commence par une lettre, par Z, par A, des villes ou villages portant le nom de villes étrangères, de légumes, ou rappelant des adjectifs, des parties du corps, des états d’âme…. je me suis demandé si des noms que je ne connaissaient pas étaient sortis de l’imagination de l’auteur…Et j’ai vérifié sur un atlas routier. Et non!

Des villes depuis lesquelles il enverra des cartes postales aux siens. Avis aux « amateurs de villages qui ont un beau nom. »

Richesse de la France !

Partir à la recherche de nouvelles villes et aussi, et peut-être surtout, faire de nouvelles rencontres, faire un bout de chemin avec un homme, une femme, de tout âge, de toute condition, parler avec lui, pendant qu’il conduit, de sa vie, mieux le connaître…et conserver un polaroïd de cette rencontre, une adresse. Comme autant d’autres trophées de chasse. 

Et nous ? La connaissons-nous, cette France que nous voyons derrière des glissières d’autoroute ? « Les rambardes d’autoroute et la vitesse des bagnoles comme moyen de défense le plus efficace contre l’incorrigible propension de l’homme à tout détruire. »

Un besoin de rencontres qui prend le dessus et passe avant tout autre, avant ses proches…des absences de plusieurs semaines au cours desquelles il laisse seuls son épouse et son fils.L’autostoppeur avançait, mais j’avais l’impression que le livre faisait du sur-place, un peu comme sa famille et le narrateur restant dans leur ville. 

Il est libre. Sans attache et sans moyen ou presque, il parcourt la France et ses villes, fait des rencontres, découvre des lieux, échange avec des centaines de personnes. Il a le courage et la force de s’évader de la routine du quotidien, de vivre de trois fois rien.

Faire du stop aussi pour parfois se mesurer aux autres. 

Sacha le Narrateur s’évade dans ses livres, en restant dans son appartement…

Marie, l’épouse de l’autostoppeur vit la vie de nombre d’entre nous, enfant, boulot…

Trois vies, trois caractères…chacun de nous pourra se reconnaître dans l’une d’elle.  

Un livre que j’ai pourtant eu envie de lâcher…mais un petit quelque chose me disait « N’arrête pas »! ne sommes nous pas tous un peu comme cet autostoppeur qui multiplie les rencontres de hasard de quelques heures, quand nous multiplions, certains avec boulimie, les « amis » sur les réseaux sociaux, des personnes dont, parfois, nous ne ne connaissons pas grand-chose.

Bonne journée à vous tous

Éditions : L’Arbalète – 2019 -295 pages


Présentation de Sylvain Prudhomme


Quelques lignes

  • « J’ai pensé que c’était fou. Qu’il fallait un hasard extraordinaire pour que nous nous retrouvions là tous les deux. Ou peut-être autre chose qu’un hasard. Je me suis mis à la place de l’autostoppeur. » (P. 24)
  • « Elle comparait les mots à de vieux soldats au service de la langue depuis des siècles. Elle disait qu’ils ne nous arrivaient pas tout neufs, qu’ils avaient servi dans bien des batailles avant les nôtres. Que choisir un mot plutôt qu’un autre c’était faire entrer dans son livre un vétéran avec toute une histoire, toute une mémoire, il ne fallait pas se tromper ou c’était la troupe entière des mots choisis jusque-là qui risquait de se trouver dépareillée. » (P. 84) 
  • « Un jour il faudra que tu écrives sur les habitacles de voiture, il me disait en se tournant vers moi devant son fils, comme si la répartition des tâches entre nous devait éternellement être celle-là, lui vivre, moi écrire, cela inéluctablement, sans que jamais ni l’un ni l’autre échappe à son destin. » (P. 96) 
  • « Que la France c’était ça : le trait horizontal d’une rambarde, et par-dessus la rambarde un clocher d’église qui glissait au loin, la grappe de maisons d’un village déjà disparu, mangé par les halliers et les boqueteaux d’arbres, ravalé par les courbes du relief, le brouillard, les tons pâles des collines et de la plaine. Et de nouveau alentour le vide, les champs, les sillons des labours. De nouveau cette toile semi-abstraite regardée mille fois sans y penser et pourtant infusée année après année en nous. Devenue si intime à nos sens qu’elle finissait par nous habiter, et si d’aventure nous franchissions les Pyrénées et passions en Espagne ou franchissions le Rhin pour entrer en Allemagne aussitôt nous le savions, un inexplicable dépaysement nous en avertissait, nous n’étions plus en France et tout de suite une voix nous le soufflait. » (P. 107)
  • « Autant de débuts d’amitiés dont la mise en scène disait paradoxalement qu’elles resteraient simulées, ne seraient jamais vécues. » (P. 236)

3 réflexions sur “« Par les routes » – Sylvain Prudhomme

  1. J’ai beaucoup aimé votre critique et la réflexion qu’elle suscite. Cela fait écho avec le livre que je tente de lire, « Autour du monde » de Laurent Mauvignier ; même multiplication des expériences, même éparpillement ? Mais je suis d’accord avec vous, il y a de cela dans notre rapport au monde actuel… Pas sûr que je prenne la route avec Sylvain Prudhomme même si le théâtre est réduit à l’hexagone ! Et je ne vais pas retenir ce Mauvignier là dans mon blog. Merci pour vos chroniques bien intéressantes.

  2. Pingback: Partir et revenir (Par les routes, Sylvain Prudhomme) – Pamolico, critiques romans, cinéma, séries

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