« L’oeil le plus bleu » – Toni Morrison

1941 : Pecola est sur le point d’accoucher…

Beau début pour un roman…une naissance….quoi de plus beau ….oui mais…!

Pecola est une gamine placée dans une famille d’accueil. Son père Cholly Breedlove a été mis à la rue par son propriétaire. Pecola a onze ans…Son père, un salaud d’ivrogne est incapable de faire vivre sa famille, incapable de l’aimer…

Salaud, vous saurez pourquoi.  Je n’ai pas d’autre mot

Pecola est placée à la suite d’un incendie de la maison, placée pour quelques temps, dans la famille de Claudia, principale narratrice.

Pecola est une gamine malheureuse, malheureuse parce que tout le monde la trouve laide. Avec ses cheveux crépus, sa peau noire, elle ne fait rêver personne. Toutes les autres gamines se moquent d’elle. Seules les gamines à la peau blanche, aux beaux habits sont regardées avec admiration. Seules les poupées blondes font rêver les enfants…Qui aimerait avoir des yeux noirs alors que Dieu offre à certaines gamines à la fois des cheveux blonds et des yeux bleus…

Le monde est bien mal fait, les riches, les pauvres, les noires, les blondes, les parents aimants, les pères alcooliques et bien plus, les familles riches, les familles pauvres, les gamines qu’on admire et celles qu’on frappe, qu’on moque, qu’on harcèle. 

Il y a des poupées blondes, mais pas de poupée noire….les poupées blanches modèles de perfection et rêves de beauté. Quelle gamine jouerait avec une poupée noire ? 

Shirley Temple est l’idole de beauté des gamines et de l’Amérique !

Un racisme quotidien pratiqué même par certains métis qui se trouvent bien supérieurs à ces noirs.

Avoir la peau noire est déjà être coupable! Mais pourquoi ce Bon Dieu qu’on prie a-t-il pris soin de créer des Blancs et des nègres, des belles gamines blanches aux cheveux blonds jouant avec des poupées aux yeux bleus et des noires qu’on moque et que personne ne regarde avec admiration?

« Les insultes faisaient partie des ennuis de l’existence, comme les poux. »

A côté de Claudia, d’autres personnes prennent la parole, ses parents, d’autres enfants, d’autres habitants de tous âges issus d’autres milieux sociaux. Ces points de vue divers, permettent de tracer un portrait de cette Amérique qui admire la beauté blonde d’une gamine devenue actrice idole d’un pays, d’une Amérique qui méprise encore ses Noirs nombreux à vivre dans des taudis, regroupés dans des quartiers qui leur sont réservés.

Premier roman de Toni Morrison, sans doute pas le plus connu, mais on y retrouve tout son combat, tous les thèmes qu’elle évoquera dans ses autres titres.

Tout ceci est parti non pas d’un scénario imaginé par l’auteure, mais d’un expérience vécue qu’elle raconte quelques temps avant sa disparition : 

  « J’avais une très bonne amie, lorsque j’avais environ huit ans, qui était très noire de peau et absolument ravissante. Un jour, nous nous sommes disputées sur l’existence de Dieu. J’y croyais. Pas elle. – « Pourquoi ne crois-tu pas en Dieu ? « , lui ai-je demandé ? Elle m’a répondu ceci : « Parce que cela fait deux ans que je prie Dieu pour avoir les yeux bleus et il ne me les a toujours pas donnés. »

Un titre à (re)découvrir

Éditeur Christian Bourgeois – Edition en 2008 – Traduction : Jean Guiloineau – Première parution en 1970 – 217 pages


Présentation de Toni Morrison


Quelques lignes

  • « Être mis à la rue par un propriétaire était une chose, malheureuse, mais il s’agissait d’un aspect de l’existence sur lequel on n’avait aucun contrôle, puisqu’on ne pouvait pas contrôler ce qu’on gagnait. Mais être flemmard au point de se mettre soi-même à la rue, ou être sans cœur au point de mettre sa propre famille à la rue, c’était criminel. » (P. 23)
  • « Elle restait assise de longues heures à se regarder dans la glace, en essayant de découvrir le secret de la laideur, cette laideur qui faisait qu’à l’école, les professeurs et ses camarades l’ignoraient ou la méprisaient. Il n’y avait qu’elle dans la classe à être seule à une table de deux. » (p. 52) 
  • « C’était le mépris qu’ils éprouvaient pour leur propre couleur qui donnait son mordant à l’insulte. Ils semblaient avoir réuni toute leur ignorance doucement cultivée, leur haine de soi si bien apprise, leur désespoir minutieusement mis au point, pour en faire un paquet de violence et de mépris qui brûlait depuis toujours au plus profond de leur esprit – refroidi – et qui débordait de leurs lèvres d’outrage en consumant tout ce qui était sur son chemin. Ils dansaient un ballet macabre autour de leur victime, qu’ils s’apprêtaient à sacrifier dans les flammes. » (P. 73) 
  • « « Je suis mignonne ! Vous êtes laides ! Noires et laides et noires de peau. Moi, je suis mignonne ! ». » (P. 81) 
  • « L’amour ne vaut jamais mieux que celui qui aime. Les gens méchants aiment méchamment, les gens violents aiment violemment, les gens faibles aiment faiblement, les gens bêtes aiment bêtement, mais l’amour d’un homme libre n’est jamais sûr. Il n’y a pas de cadeau pour l’être aimé. Seul celui qui aime possède son don d’amour. Celui qui est aimé est dépouillé, neutralisé, figé dans l’éclat de l’œil intérieur de celui qui aime. » (P. 217)

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