
Il devrait rentrer en Angleterre, et rejoindre le journal pour lequel il est présent dans cette Allemagne de 1945….
« Il » dont on ne connaîtra pas le nom. Il a photographié les combats et la libération des camps, l’horreur des corps gris couchés sur le sol des camps libérés. Des corps trop nombreux pour être tous cachés, dépassant des bâches, qui devraient les protéger de la pluie…
Ces images le hantent.
La guerre est finie depuis un mois, les soldats anglais sont démobilisés et rentrent en Angleterre…lui, ne peut pas..
Il lui faut rester encore, comprendre l’horreur. Connaître ces allemands qui ont vécu à proximité de la mort. Tenter de comprendre cette inhumanité, ce silence d’une population.
Alors Collins,un officier anglais, lui affecte un chauffeur et une voiture. Le photographe, dont nous ignorons le nom, pourra aller à la rencontre de ces paysans pour lesquels la vie continuait. Il conduira la voiture réquisitionnée d’un notable allemand. Comme lui le jeune chauffeur découvre l’horreur. Il n’a pas participé aux combats, il est arrivé une fois que tout ou presque était terminé. Il était dans une compagnie des transmissions et devait installer des réseaux téléphoniques entre les unités combattantes.
De ferme en ferme, il vont photographier ces familles..Leurs uniformes et le fusil du chauffeur leurs permettront d’imposer à ces familles de se poster, immobiles, dans la cour des fermes, de porter les enfants sur les bras…tous se plient, bon gré, mal gré, à ce reportage. Regards vides de couples devant une maison, de jeunes mariés sortis du lit, d’employé de garde barrière, qui voyait sans doute passer les trains, de familles d’un village voisin…
Ne cherchez pas l’action, elle est inexistante..Hubert Mingarelli a écrit un livre d’une écriture sobre. Un livre mettant en scène une atmosphère, lourde, pesante, laissant au lecteur toute liberté d’imaginer…d’interpréter ces photos, d’imaginer la vie de ces couples, de ces paysans..
En quelques lignes seulement, sans jamais s’appesantir sur des images d’horreur, l’auteur installe le silence.
Un silence qui en dit beaucoup . …Sur les secrets de chacun
Petit livre trouvé en flânant dans les rayons de ma médiathèque préférée..découverte d’un auteur. Découverte qui m’incite à lire d’autres titres, sans aucun doute.
Éditions Buchet-Chastel – 2019 – 182 pages
Présentation de Hubert Mingarelli
Quelques lignes
- « Aujourd’hui, on est venu me demander des chaussures. Moi je leur ai demandé “Vous croyez que j’ai ouvert un magasin ?” Je me suis mis à rire et je leur ai dit de s’en aller, ils sont partis, je leur ai dit “Non revenez, je me souviens où il y en a, mais prenez un camion.” Je leur ai montré sur la carte où ils pouvaient en trouver des tas hauts comme ça. » (P.13)
- « Je veux parler de tout ce qu’on vit là-bas les jours suivants et qui nous donna le même chagrin, et parler aussi de tout ce que je ne pus photographier, la fin du jour, les prières, les odeurs et le vent dans les ordures qui brûlaient le jour et la nuit. » (P. 47)
- « Les prisonniers avançaient sur la route dans l’éclat du soleil en rangs presque réglementaires et on aurait dit qu’ils respiraient d’une même voix et ils ne regardaient jamais sur le côté et ne fixaient pas la route non plus mais un point invisible à travers le dos de ceux qui les précédaient et ce qui m’avait fait penser à la rivière en crue c’étaient les centaines d’assiettes de gourdes et de quarts en fer-blanc qui s’entrechoquaient et coupaient en deux l’air brûlant. » (P. 84)