"L'imprudence" – Loo Hui Phang

Comment résister à ce regard, à cette belle jeune femme langoureusement allongée?….

La jeune photographe a 23 ans, elle collectionne les aventures, ou plutôt les rencontres amoureuses…Elle aime les hommes, elle aime faire l’amour. 

D’origine laotienne par sa mère, chinoise par son père, elle ne ne connait contrairement à son frère que la France, où elle arriva en 1975, bébé dans les bras de ses parents…Elle ne connaît de sa fuite et de son pays d’origine que ce que lui ont raconté ses parents ou son frère. Elle n’en a aucun souvenir.

Elle aime la vie. Lui, ce frère plus vieux de sept ans a quelques souvenirs de ce Laos et de la fuite de nuit vers ce Vietnam. Un frère totalement différent d’elle. Sans ambition et sans passion, il passe ses journées à attendre que le temps s’écoule ; il a récupéré la chambre familiale de sa sœur et n’a pour seul loisir ses shits …Il avait pourtant toutes les opportunités pour vivre une autre vie, s’il s’en était donné la peine. Champion régional de tennis de table, il aurait pu accéder à des niveaux supérieurs. 

Ses parents quant à eux ont des difficultés totalement s’intégrer : « Nouveaux colons en terre barbare, vous vous gardez bien de soumettre votre pureté à la souillure environnante. Vous imitez, geste pour geste, l’arrogance des étrangers qui avaient colonisé nos terres, repliés sur leurs statuts, leurs préjugés. »

Elle au contraire croque la vie à pleines dents. La vie occidentale, une vie bien éloignée de la rigueur familiale. 

Trop française, pas assez vietnamienne, selon ses parents….seul son visage trahit ses origines.

Le décès de sa grand-mère, Wàipó restée au Vietnam lui donne l’occasion de rejoindre son pays d’origine, de connaître son grand-père et de vivre quelques jours en total dépaysement.

Les périodes se télescopent, sans dérouter le lecteur, qui effectue ces voyages dans le temps, à partir des propos entendus par la jeune femme, tenus par ses parents ou son frère, jusqu’à nos jours en passant par cette fuite de nuit et cette arrivée en France. Trois temps.

La rencontre avec son grand-père, la complicité de promenades sur le porte bagage du vieux vélo, lui permettra de mieux connaître, de la voix de cet homme, ses origines. De mieux se connaître et se comprendre. Là-bas, sa mère perdra son autorité, elle redeviendra la fille de son père et lui obéira.

Rencontre émouvante également avec une jeune femme vietnamienne de son âge. Deux vies différentes et pourtant complices

Roman sur les origines, l’intégration dans une culture différente, la mémoire, la filiation.

Un bon moment de lecture!  

Éditions Actes-Sud – 2019 – 139 pages


Lien vers la présentation de Loo Hui Phang


Quelques lignes

  • « Je me disais que la vie était joyeuse, que c’était bon d’avoir vingt-trois ans, un appétit immense et un corps pour l’assouvir. » (P. 8)
  • « Depuis que notre père ne travaille plus à l’usine de papeterie, il est assigné à résidence aux côtés de notre mère. Il occupe sa retraite par un patient combat contre la déchéance physique, entrecoupé par de copieuses séances de de réconfort. » (P. 13) 
  • « Votre intimité me rejette à la lisière de cette scène dont je deviens l’indécente observatrice. Et comme vous vous entretenez dans un vietnamien limpide, avec une aisance qui me sera à jamais inaccessible, je me sens définitivement hors jeu. La famille idéale, c’est vous? Moi je suis une anomalie de l’histoire. » (P. 42)
  • « Quant aux avantages à vivre en France lorsqu’on est d’origine vietnamienne, ils ne se révèlent que par rebonds. Car les caresses sont aussi suspectes que les uppercuts. On doit tirer leçon de chaque coup. Ce précepte vaut deux fois plus pour moi que pour n’importe qui. Rien ne s’offre. » (P. 101)

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