
« Que votre Majesté construise le couvent et très vite elle aura une descendance, qu’elle néglige de le construire et Dieu décidera. »
…Alors Dom João V, roi du Portugal, n’écoutant que le moine décidera de construire un couvent franciscain à Mafra. Belle occasion pour José Saramago de nous entraîner dans le Portugal du XVIIIe siècle, José Saramago fidèle à son écriture, à ses longues phrases, à son style inimitable. Au fil des livres ce style est de moins en moins déroutant.
Quoique…..toujours aussi surprenant!
Un roman qui permet à l’auteur amoureux du Portugal qui l’a vu naître de nous faire découvrir deux réalités historiques, la construction de ce couvent franciscain et l’invention de l’une premières machines volantes par le moine Bartolomeu de Gusmão, la passarole, première machine qui devait permettre aux hommes de s’élever vers le ciel de leur vivant et ciel promis par les curés et les moines pour les hommes respectueux de la religion….la science faite de mécanique et d’un brin de magie d’un côté, la foi et le respect de la religion de l’autre, deux délires de l’Homme obsédé par le Ciel.
Couvent et Passarole furent toutefois deux réalités que l’auteur fait coïncider, pour les besoins du livre, alors qu’elles ne furent pas contemporaines.
L’auteur en profite pour écrire, une fois encore, un pamphlet contre la religion catholique, religion de paix si l’on en croit les textes mais également religion qui fut source de l’Inquisition, qui vit monter au bûcher des milliers de personnes accusées d’hérésie, parce qu’elles osaient s’interroger ou douter.
C’est aussi un pamphlet contre cette religion qui sacrifia la vie de milliers d’autres dans la construction de ce couvent, œuvre mégalo engloutissant des sommes faramineuses qui auraient sans aucun doute grandement amélioré le quotidien des petites gens.
Une religion qui sacrifie l’Homme afin de sanctifier un Dieu…que les hommes ont imaginé.
Outre le roi et le moine Saramago crée deux personnages clés du roman, Balthazar Sept-Soleils, soldat manchot, et Blimunda Sept-Lunes, sa compagne sorcière dotée de la capacité de voir l’invisible dans chaque homme….uniquement lorsqu’elle est à jeun.
Saramago attaque ces puissants politiques inspirés par la religion et ces Hommes d’église qui ensemble n’hésitent pas à exploiter la crédulité et la force des hommes au profit de leur pouvoir et de leur domination.
Derrière la fable picaresque sur fond politique, se cache un roman critique sur la religion, instrument au service de puissants religieux ou politiques afin de dominer et d’opprimer l’Homme…depuis toujours
Éditeur : Points – Traduction par Geneviève Leibrich – 1995 – Parution initiale en 1982 – 42 pages
Lien vers la présentation de José Saramago
Quelques lignes
- « …chacun a endossé ce qu’il avait de plus beau en sa maison, ses habits de fête pour honorer le Seigneur, lequel, après nous avoir fait nus, ne nous admet en sa présence que vêtus, allez donc comprendre pareil Dieu ou la religion qu’on a fabriquée à son intention, il est vrai que nus nous ne sommes pas toujours beaux, il n’est que de voir un visage que l’on n’a pas fardé, imaginons, c’est un exemple, le corps que montrerait Saint Georges, qui s’avance présentement, si nous lui retirions son armure d’argent et sa toque emplumée, l’on verrait un pantin à ressorts, sans un poil dans les endroits où les hommes sont pourvus de poils, l’on peut être saint et être doté de ce dont les autres hommes sont dotés, l’on ne devrait même pas pouvoir concevoir une sainteté qui ne connaîtrait pas la force inhérente à l’homme et la faiblesse que cette force parfois recèle, tout cela est bel et bon. » (P. 180)
-
« Ah, peuple de pécheurs, hommes et femmes qui dans la damnation vous obstinez à vivre vos vies éphémères, fornicant, bâfrant, buvant plus que de raison, manquant aux sacrements et à la dîme, et qui de l’enfer osez parler avec impudence et sans crainte, vous les hommes qui chaque fois que vous le pouvez palpez la croupe des femmes dans les églises, vous les femmes que seul un reste de vergogne retient de palper les parties des hommes dans les églises, regardez qui passe présentement sous le dais soutenu par huit montants, c’est moi, le patriarche, qui trône dessous, tenant la custode sacrée entre mes mains, mettez-vous à genoux, mettez-vous à genoux, pécheurs, vous devriez sur l’heure vous châtrer afin de ne plus forniquer, mieux encore, vous devriez sur-le-champ vous attacher les mâchoires afin de ne plus souiller vos âmes avec vos goinfreries et vos beuveries, vous devriez à l’instant même retourner vos poches et les vider car au paradis point ne sera besoin d’écus, en enfer non plus, quant au purgatoire, les dettes s’y remboursent sous forme d’oraisons, c’est ici-bas que les écus sont nécessaires, pour payer l’or d’une autre custode, pour fournir en monnaies sonnantes et trébuchantes tout ce monde-là, les deux chanoines qui tiennent les pans de ma chape pluviale et qui portent les mitres, les deux sous-diacres qui soulèvent l’ourlet de ma robe, les caudataires qui viennent en queue, c’est pour cela qu’ils sont caudataires, ce mien frère, qui est comte et qui porte la traîne de ma chape pluviale, les deux écuyers avec les éventails, les massiers avec les bâtons d’argent, le premier sous-diacre avec le voile de la mitre d’or, celle qui ne se peut toucher avec les mains, le Christ a été bien mal avisé de ne jamais coiffer la mitre, il est le fils de Dieu certes, je n’en doute nullement, mais c’était un rustre, car chacun sait de toute éternité qu’aucune religion ne peut vaincre sans mitre, tiare ou chapeau melon….. » (P. 186)
- « ….on ne sait jamais quand Dieu est disposé à pratiquer sa médecine, ce qui explique pourquoi les aveugles, les boiteux, les paralytiques doivent constamment aller d’un lieu de pèlerinage à un autre…… » (P. 394)