
Bob Dubois rentre chez lui, un soir, il a « les boules« , il en a marre de dépanner des chaudières pour 137 $ par semaine!
Marre au point de vouloir tout quitter.
Même Doris sa maitresse n’arrive pas à soulager son humeur…ses humeurs !
Mal au point d’oublier d’acheter des patins à glace à sa fille, marre au point de casser toutes les vitres de sa bagnole…il a craqué à cause de cette vie à la c… et ce boulot de m…. et des dettes du ménage. Sa femme lui suggère de tout liquider et de partir au soleil.
Alors pourquoi pas la Floride où son frère dirige une entreprise, dans laquelle il lui a déjà proposé de travailler. Alors tous partent, et s’installent dans un mobil-home.
Le travail est souvent fait de coups plus ou moins tordus à la demande du frangin. Mais l’argent pas toujours très net arrive.Certes pas des grosses sommes, mais que demander de plus? Il ne permet d’approcher la démesure et le luxe de la Floride, mais ça viendra tôt ou tard…ils en sont certains.
La vie en mobil-home n’est pas si idyllique que ça, loin de là. Et puis, ici en Floride, il y a plus de Noirs, ils sont à leur place ici, contrairement à Bob et son épouse. Son frère qui l’emploie et le paye en liquide, lui fournit un pistolet afin qu’il puisse défendre l’entreprise et se défendre contre ces Noirs qui volent et tuent, qui peuvent dévaliser la boutique pour dérober de quoi planer en picolant.
Malgré tout Bob s’ennuie !
Bien loin de lui, à Haïti, Vanice et tant d’autres Noirs, veulent fuir la pauvreté et les ouragans et rêvent de cette Amérique, fermée aux migrants, pas facile à atteindre. Heureusement il y a des passeurs qui semblent prendre tous les risques pour ces désespérés…pour toutes les économies de ces pauvres gens, qui font aveuglément confiance à ces inconnus dans l’espoir de débarquer clandestinement sur une plage…
Mais rien ne ressemble plus à une plage de Floride qu’une autre plage ..retour à la case départ!
Les rêves de Vanice et de Bob leur permettront cependant de se croiser.
Banks sait nous émouvoir, nous indigner, nous passionner avec ces paumés, ces rêveurs, ces escrocs, ces pauvres qui rêvent de cette Amérique..d’une Amérique qui au final n’est pas si belle que ça, loin de là. Il fait un portait dérangeant de cette Amérique, faisant bien peu de cas de ces paumés attirés par ce rêve américain.
Chaque pauvre américain de souche ou souhaitant le devenir, veut vivre ce rêve, comme attiré par un miroir aux alouettes. Chacun le sien qui s’appelle fric, liberté, éducation.
Un presque pauvre américain de naissance rêvant de fric, de beaux bateaux et une pauvre migrante qui serait si heureuse d’être ne serait-ce qu’une pauvre en Amérique sont les personnages essentiels de ce roman!
Plus dure sera leur rencontre !
Lorsque le livre parut en 1985 Reagan venait d’être élu.
Russel Banks était visionnaire.
Il dira bien plus tard : « Les réfugiés, la crise économique, la pression sur les travailleurs du Nord avec la désindustrialisation, l’avènement d’une finance de moins en moins sous contrôle, autant d’orages à l’horizon. Je les ai vus se former dès le début des années 1980, tandis que j’écrivais l’histoire de Bob Dubois et de Vanise. Aujourd’hui, ces orages sont devenus des cyclones qui balayent la terre entière… »
Je reparlerai de Russel Banks. Il me dérange. Quel bonheur !
Éditions Actes-Sud – 2016 – Première parution en 1985 – Traduction par Pierre Furlan – 442 pages
Lien vers la présentation de Russel Banks
Quelques lignes
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« Il nous faut traverser seuls des déserts et souvent périr en chemin, il nous faut aller là où nous pouvons recommencer nos vies, et quand nous y parvenons , il nous faut continuer à frapper à la porte, à crier et à cogner avec nos poings jusqu’à ceux qui se trouvent être les gardiens de cette porte soient eux aussi frappés d’admiration et nous ouvrent. Nous sommes la planète tout autant que son eau, sa terre et son feu, et si cette planète survit ce ne sera que par notre héroïsme. Pas par un héroïsme constant, systématique, érigé en principe directeur » (P. 56)
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« ….nous rêvions en attendant le moment lointain où nous pourrions descendre jusqu’aux villages de pêcheurs à l’ouest de Port-de-Paix et, là nous entendre avec les propriétaires de bateaux qui emmènent des gens jusqu’aux Bahamas et puis en Amérique où nous serions avec notre mari. » (P. 68)
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« ….les mecs qui ont le plus de thune sont toujours en train de faire au moins deux des trois seuls trucs qu’on peut faire dans cette vie, et ces trois trucs, c’est fabriquer des choses, vendre des choses et acheter des choses. » (P. 88)
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« ….voici Vanise, blottie contre la rambarde de faible hauteur, à l’avant d’un petit bateau de pêche en bois, parti d’Haïti, qui scrute l’horizon pour apercevoir l’Amérique. » (P. 136)
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« Pourquoi font-ils ça? se demande-t-il. Pourquoi se débarrassent-ils de tout de ce qu’ils connaissent, de tout ce sur quoi ils peuvent compter, quels qu’en soient les tares, pour une chose dont ils ne savent rien et sur laquelle ils ne pourront jamais compter? » (P. 370)
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« Les gens qui n’ont pas de pouvoir ou qui croient ne pas en avoir pensent aussi que tout ce qui se produit est provoqué par un agent spécifique lui-même doté de pouvoir ; les qui ont du pouvoir, qui peuvent se tranquilliser en disant que telle ou telle chose est arrivée « on ne sait comment », estiment que les autres sont superstitieux, irrationnels, ignorants, voire stupides. Pourtant, ceux qui sont véritablement dépourvus de pouvoir ne sont rien de tout cela, car il savent, et peut-être sont-ils les seuls dans ce cas que l’explication par le hasard – par la malchance autant que par la bonne fortune – est une explication de luxe. Quand on a un pouvoir, même partiel sur son destin, on est enclin à le nier parce qu’on a peur de perdre cette mainmise. » (P. 388-9)