
« La cocaïne c’est le diable dans un flacon. »
Le docteur Bomgard sait de quoi il parle, il est médecin de campagne.
Il a été muté là, dans un district perdu après avoir travaillé sur le front où il amputait. Il n’est plus jamais dérangé la nuit.
Pour combien de temps est-il là? Il n’en sait rien, il a obéi, en bon militaire, en cet hiver 1917 aux ordres de la Révolution.
Il reçoit une lettre de Poliakov, son ami, lui demandant de venir le voir…trop tard ! quand il arrive il apprend que son ami s’est tiré une balle dans la tête, lui laissant un cahier, son journal intime. Ennui et solitude, tristesse et douleur de cette perte…heureusement un de ses flacons de médecin lui tend les bras, et lui permet d’oublier ses idées noires, cette solitude, cette tristesse.
« Je ne peux m’empêcher de faire mes compliments à celui qui, le premier a extrait de la morphine d’une fleur de pavot. Un authentique bienfaiteur de l’humanité. »
Oublier pour un temps, car, les idées noires, la solitude, viennent à nouveau l’agresser. Alors il reprend quelques cristaux…cercle infernal…
Quelle est la part de roman, quelle est la part de journal intime ? Médecin lui-même, Boulgakov, a fait des centaines d’amputations entre 1916 et 1919 On ne peut s’empêcher de s’interroger face à cette douleur, à cette dépendance et à cette solitude, et surtout face à cette précision des mots.
Dans tous les cas, je reparlerai de cet auteur. C’est certain.
Éditeur: Mille et une nuits – 1997 – Traduction par Joëlle Roche – Parution initiale en 1927
Lien vers la présentation de Mikhaïl Boulgakov
Quelques lignes
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« Le bonheur, c’est comme la santé : quand on l’a, on ne le remarque pas ; du reste, il y a beau temps que les gens d’esprit l’ont dit. Mais voilà, les années passent et vient un jour où l’on s’en souvient ! » (Première phrase du livre)
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« À côté de la lettre du suicidé, un cahier ordinaire avec une couverture cirée noire. Les pages de la première moitié en sont arrachées. Dans la partie restante, ce sont de courtes annotations, au début rédigées d’une petite écriture bien nette au crayon noir ou à l’encre, à la fin au contraire avec un crayon chimique et un gros crayon rouge, d’une écriture négligée, d’une écriture qui s’en va dans tous les sens, avec quantité d’abréviations. » (P. 28)
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« Mais une légère habitude, ce n’est tout de même pas de la morphinomanie. » (P. 42)
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« Non, moi qui suis atteint de cette horrible maladie, je mets en garde les médecins afin qu’ils soient plus charitables avec leurs patients. Ce n’est pas un « état mélancolique» mais une mort lente qui s’empare du morphinomane si seulement vous le privez une heure ou deux de morphine. L’air n’est plus comestible, on ne peut l’avaler….dans le corps il n’y a pas une cellule qui ne soit assoiffée…De quoi? Impossible de le déterminer, ni de l’expliquer. Bref, l’être humain n’existe plus. Il est hors circuit. C’est un cadavre qui s’agite, languit, souffre. Qui ne veut rien, ne pense à rien, sauf à la morphine. De la morphine ! » (P. 47)
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« Je ne peux pas me séparer de mon petit dieu en cristaux solubles. » (P. 59)
Intriguant. J’ai été subjuguée par Le Maître et Marguerite (comment ne pas l’être ?), mais ce roman me paraît bien différent.