
Cette histoire est en effet la leur, dévastée par la surdité ou plus exactement par l’obstination d’un père à vouloir réparer cette inadmissible erreur de la loterie génétique : une absurdité, assurément. » (P. 19)
Yves et Marie-Claude Laporte découvrent que Julien leur gamin est sourd. Le père est imprimeur, son affaire est prospère, mais il y a cette tache, ce gamin sourd. Personne n’a jamais été sourd dans la famille, tensions entre le père qui veut à tout prix faire parler son fils et le gamin qui quittera la maison pour faire sa vie.
Roman? Certes en partie, mais surtout coup de gueule, Oh combien intelligent! d’un auteur, père lui-même d’un enfant sourd, enfant sourd que tous, Éducation Nationale en premier, veulent à tout prix faire parler…on doit les entendre, comme on nous entend, vous ou moi…alors qu’ils sont sourds ou comme on dit « non entendants »….c’est à dire incapable de nous entendre, nous qui avons les oreilles qui fonctionnent…oui!
Certes il y a la langue des signes, mais qui la comprend parmi nous, les non-sourds, nous, les entendants. Qui comprend ces gesticulations des mains, ces mimiques de la bouche, du visage,. …interdites par l’Education Nationale jusque dans les années 60 ! « …au début des années 1960, la langue des signes était toujours interdite dans l’éducation des enfants sourds, en France. Elle devait le rester encore plus de vingt ans, et de fait il n’y avait pas d’alternative à l’oralisme que les éducateurs avaient imposé partout. » (P. 125)
Ne parlons pas de l’Eglise qui proclamait alors »…nous devons bannir les signes qui ne serviront jamais qu’à détruire la langue. Vive la méthode orale qui améliore le sort de la malheureuse et grande famille des sourds-muets en pourvoyant au progrès de l’art, art sublime de sagesse et de charité, la grande et sainte entreprise que nous appelons la rédemption du sourd-muet »
Eglise droite dans ses bottes face à un Islam qui, quant à lui porte « un respect religieux » à ces sourds
Il n’y a pas si longtemps que ça, chez nous, à tout prix ces gamins devaient parler, il le fallait. Ils devaient être comme chacun de nous, s’intégrer à notre monde…au monde. » Rien de bon à chercher là dedans » disait le père de Julien, qui voulait faire de lui un ouvrier dans l’imprimerie familiale.
Julien, découvre après l’abandon du foyer familial que des sourds ont pu, ailleurs, obtenir des responsabilités et également ce qui se fait à l’étranger.. Il évoque Bell, inventeur du téléphone, certes un génie, mais un être bien peu honorable face aux sourds…
Et l’auteur renverse notre langue…
Nous parlons des malentendants pour évoquer les sourds, incapables de nous entendre…Lui nous parle des « malentendus »…ceux que nous ne sommes pas capables d’entendre, cette minorité qui doit faire des efforts…et qui a tant de choses à nous dire!
Et que nous ne sommes pas capables de reconnaître « Les sourds, malheureusement n’ont pas de canne blanche » (P. 115)
Mais les temps changent..La langue des signes est dorénavant une langue, admise par l’Education nationale qui l’ignorait, il y a quelques années encore. Dorénavant, tout étudiant, sourd ou non, peut passer les épreuves orales du baccalauréat en langue des signes…
Mais encore la majorité d’entre nous est bien incapable d’entendre ce qu’ils ont à nous dire!
« Qu’importe la surdité de l’oreille, quand l’esprit entend? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c’est celle de l’intelligence » (Victor Hugo)
Éditeur : Actes-Sud – 2013- 256 pages
Lien vers la présentation de Bertrand Leclair
Quelques lignes
- « Cette histoire est en effet la leur, dévastée par la surdité ou plus exactement par l’obstination d’un père à vouloir réparer cette inadmissible erreur le la loterie génétique : une absurdité, assurément. » (P. 19)
- « ….Bell avait été professeur d’enfants sourds. Le prototype du téléphone avait émergé de cette vie-là, alors qu’il réfléchissait à la manière d’amplifier considérablement le son à destination des sourds, et donc à l’hypothèse des tout premiers appareils auditifs. » (P. 64-5)
- « Julien les connaît, certainement, tous ces gens qui se battent pour rendre à la langue des signes son droit de cité, au sens propre, et sa noblesse aussi, pour illustrer sa beauté dans les théâtres, pour démontrer son caractère de langue à part entière dans les université où se multiplient les travaux linguistiques, sociologiques, où de jeunes sourds, désormais, soutiennent des thèses en langue des signes, se réappropriant pleinement l’héritage de Ferdinand Berthier » (P. 105)
- « …au début des années 1960, la langue des signes était toujours interdite dans l’éducation des enfants sourds, en France. Elle devait le rester encore plus de vingt ans, et de fait il n’y avait pas d’alternative à l’oralisme que les éducateurs avaient imposé partout. » (P. 125)
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« Il a réussi dans l’univers de la langue des signes parce qu’il y mais autant d’énergie, autant de bon vouloir qu’il en mettait autrefois dans les salles d’orthophonie pour satisfaire aux exigences de son père, ce père qu’il a si longtemps admiré, amis qu’il n’aimait pas, comment pourrait-on aimer ce qui vous terrorise. » (P. 160)
- « …cacher les enfants sourds parce que leur existence désigne et dénonce un péché qui leur préexiste, l’islam a plutôt tendance à les considérer avec un respect religieux, qui ne rend pas forcément les choses plus faciles à vivre, tant on tient les sourds à distance, au Maghreb, préférant courber la tête au passage de ces êtres différents, qui risqueraient de vous deviner, d’en savoir long sur vos pensées les plus intimes, ces êtres un rien sorciers peut-être à qui chacun prête la capacité d’entendre ce que les entendants n’entendent pas, qui sauraient des choses du monde que ceux qui entendent ne savent pas, parce que les sourds les voient et les perçoivent avec tout le corps, pas seulement les yeux. » (P. 223-4)
- « Comment, comment me priver d’une telle histoire, la sienne, celle d’un intellectuel sourd qui n’a pu le devenir, intellectuel, qu’après avoir échappé à l’éducation d’un père sûr de lui et autoritaire, qui n’a pu le devenir qu’au prix d’une rupture violente et courageuse, alors qu’il avait fui le domicile familial pour gagner Paris, y conquérir la langue des signes et s’affirmer bientôt l’un des plus ardents défenseurs, l’un des plus exemplaires, aussi, de cette langue dont son père, vingt ans durant, avait tout fait pour le garder ? Et y parvenir avec la même détermination, le même volontarisme que lui, cependant. » (P. 255)