
« La passion ne donne pas la patte, elle te la met dans la gueule. » (P. 31)
Il a été convoqué par une bourgeoise financièrement à l’aise, Madame Jeanne Joplain..
Lui, le narrateur, est pensionné de guerre, une guerre au cours de laquelle il a perdu une main dès les premiers combats …une main emportée par un éclat d’obus. Ce n’est pas pour autant qu’il fut renvoyé dans ses foyers. Non, l’armée lui bricola une prothèse grace à laquelle il put contribuer à l’effort de guerre attendu de chacun, en conduisant un camion sur la route reliant Bar le Duc à Verdun…La Voie Sacré, une voie par laquelle étaient acheminés, hommes en renfort, matériels et munitions dans un sens, blessés et corps dans l’autre…Voie encore matérialisée de nos jours par des bornes en béton


Sa pension est maigre et il vit de ses enquêtes pas toujours très rémunératrices. « Je n’avais pas trop les moyens de me formaliser » dira-t-il. Alors il recherche, pour les familles, les fiancées ou les épouses les dernières traces des hommes qui ne sont pas revenus.
Jeanne Joplain lui demande de retrouver les traces de son fils Emile disparu lors la guerre qui vient s’achever quelques mois plus tôt. Un fils de bonne famille qui eut la folie de s’amouracher d’une « prussienne » Lucie Himmel ….Une liaison inconcevable, car le père d’Emile est un riche industriel, et Lucie quant à elle, n’était que la fille d’une famille modeste.
La « Prussienne » n’est en fait qu’une jeune Alsacienne, l’Alsace et la Lorraine, pour lesquelles des millions d’hommes en uniforme français ou allemand se sont battus pendant 4 ans. Des millions d’entre eux sont morts, des villages ont été définitivement rayés de la carte. Une visite des lieux des batailles, de l’ossuaire de Douaumont, donne une idée terrifiante de la violence des combats, de la vie de ces hommes morts pour quelques mêtres de terrain gagné, puis perdu, puis regagné…un ossuaire dans lequel sont déposés, aujourd’hui encore des os, des débrits d’os, non idetifiables, os de soldats français ou allemands réunis pour l’éternité. Cette visite de ces lieux de mémoire, dont mon épouse est originaire, a conforté mon sentiment de rejet de la Guerre, de toute guerre.
Amours de deux jeunes gens de conditions si éloignées, amours contrariées par la guerre, et par les familles, description de ces tranchées, de ces combats, de cette peur, de cette boue qui ensevelissait tout.
Un livre qui est aussi, et peut-être avant tout une belle et bien dérangeante réflexion sur la guerre, sur toute guerre, sur cette similitude qui réunit les soldats, sur cette absurdité.. « Si on avait su qu’un boche c’était rien qu’un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus. » (p.38)
Malheureusement, aujourd’hui encore on l’oublie trop souvent et nombreux sont les conflits pour lesquels il suffit de changer les mots, les lieux, pour les décrire sans rien changer d’autre .
Quel plaisir aujourd’hui, cependant, de visiter ces lieux, de rencontrer des allemands de tous âges, de se parler, en toute sérénité, sans saucune animosité.
Éditeur : Aux forges de Vulcain – Parution en 2022 – 205 pages
Lien vers la présentation de Gilles Marchand
Quelques lignes
- « La terre, c’est pas pareil, c’est plus complexe, c’est vivant. Là, elle est gorgée de ferraille, de poudre, elle a respiré les gaz, elle a bu trop de sang, elle a touché la mort. Tellement de corps qu’on n’a jamais retrouvés. Se sont pas envolés. Sont toujours là. En dessous. Et on veut replanter par-dessus? Ca sera sans moi. C’est un cimetière géant, brûlé. » (P. 26)
- « Les ordres, les offensives inutiles, les plans immmanquables. La Somme, le chemin des dames. Pourquoi tout cela n’avait pas fonctionné? La faute à la météo, la faute au matériel, la faute aux soldats mal entraînés, la faute à pas de chence. Des semaines, des mois, des morts par centainesde milliers pour avancer de dix mètres ici, reculer de cinquante là. » (P. 37)
- « On assassine un archiduc, on envahit un pays, on rétorque que ça ne se fait pas mais alors vraiment pas, on déclare la guerre, on met en branle le jeu des alliances, on crie, on s’exclame, on bombe le torse, on mobilise et on part soi-disant la fleur au fusil. Hop, hop, hop, plus vite que ça, agitez les mouchoirs et souriez pour la photo, vous serez gentils. (P. 51)
- « On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.» (p 204) - « C’est pas un endroit pour les femmes, le front. Déjà que ce n’est pas un endroit pour les hommes…c’est un endroit pour personne d’autre que les soldats qu’ont pas le choix d’être là. […] C’est un endroit pour le diable. C’est lui qui nous a envoyé là. » (P. 117)