« Reine de coeur » – Akira Mizubayashi

« Mais là, ça vient, je crois, de la manière dont la musique fonctionne chez le personnage principal. Quand il entend de la musique, il voit des choses ; et, inversement, il entend de la musique quand il est en présence de certaines scènes… C’est très frappant » (P. 88)

J’avais été troublé par ma découverte d’Akira Mizubayashi, il y a quelques semaines, troublé par cet auteur japonais, maitrisant si bien notre langue, lui donnant une musicalité que bien d’autres ne parviennent pas à traduire. Je venais d’achever « Âme brisée », et j’avais besoin de retrouver ce plaisir de lecture.

Je suis bien incapable de lire une partition musicale, incapable de reconnaître une note de musique, sauf le « la » donné par le diapason, mais toutefois je reste envoûté par un concerto, par un concert, et par certaines musiques même religieuses….et par l’écriture d’Akira Mizubayashi, qui me rappellent tant ces complexités musicales, ces bonheurs, ces constructions, ces mouvements.

Sans aucun doute parce que j’admire la maîtrise du français de cet auteur, sa clarté, sa concision. Nous sommes certainement bien peu nombreux, à être capables de mémoriser la signification de quelques idéogrammes japonais….lui au contraire,  parvient à nous captiver par son écriture….par sa maîtrise du français.

Le roman débute dans le sang et la violence, un officier demande à un soldat de couper la tête d’un prisonnier avec un sabre.

Au même moment, la France voit, sur les routes, des files d’hommes et de femmes, de voitures, fuir l’avancée allemande, des foules apeurées par les bombardiers hitlériens, les tirs des Stukas volant sirènes hurlantes au ras du sol. 

Quelques pages après, nous rencontrons en novembre 2007 une jeune  femme, musicienne de l’Orchestre Philharmonique de Paris, portant sur le dos un étui d’alto, une jeune femme qui quitte le Théâtre des Champs-Elysées…

Quels sont les liens qui unissent ces scènes, ces périodes ?

Comme lors de ma précédente lecture, alors que je découvrais Akira Mizubayashi, je comprends alors que musique, guerre, Histoire et Amour, vont me faire vibrer…Avec les mêmes lettres, avec les mêmes notes de musique, avec les mêmes thème d’amour, de violence, etc…un nouveau concert littéraire m’est proposé. Un concert organisé en mouvements, et en chapitres…avec la maitrise d’un magicien des mots, un peu comme une nouvelle symphonie.

Une symphonie sur le bonheur, l’amour

Deuxième roman que je lis de cet auteur, deuxième roman que je ferme presque à regret…c’est certain, je reparlerai de lui.

Editeur Gallimard – 2022


Lien vers la présentation d’Akira Mizubayashi


Quelques lignes

  • « C’est ainsi que commença, à l’automne 1939, l’interminable voyage de retour de Jun Mizukami vers son pays natal. Un pays en proie à la folie belliciste, au désir d’expansion coloniale, à la politique fanatique d’un État militarisé obligeant tout un chacun à suivre corps et âme la « voie des sujets » désignée par l’empereur, forçant ainsi toute raison et tout esprit critique à s’effacer, à se taire complètement et durablement. » (P. 68)
  • La lamentation déchirante par laquelle débute le troisième mouvement en adagio, intitulé « Mémoire éternelle », ce chant en pianissimo lancinant assuré par les altos à l’unisson lui revenait à l’esprit. Comme il était émouvant, ce passage qu’on jouait avec la sourdine sur fond de murmures de violoncelles et de contrebasses ! Mizuné sentait les larmes lui monter aux yeux, alors qu’elle avait réussi à se retenir pendant le concert sous le regard extasié du chef d’orchestre. Puis lui revint le début prodigieux de la symphonie, ce moment inaugural où la musique efface le silence pour en souligner toute la profondeur : les quatre harpes qui donnent le signal de départ et qui vous plongent d’emblée dans le grand calme matinal régnant sur la place du Palais à Saint-Pétersbourg ; les cordes en sourdine qui avancent lentement, et qui créent ainsi une atmosphère tendue et inquiétante ; la trompette esquissant cet air nostalgique que le cor reprend quelques instants plus tard dans une tonalité sombre ; les deux flûtes qui introduisent le deuxième chant plus épanoui ; les contrebasses qui reprennent le même motif, comme pour annoncer la présence souterraine des violences en préparation ; les violons qui, en le saisissant, le transforment en une complainte déchirante ; enfin, et surtout, les petits coups de timbales obsessionnellement répétés, qui renforcent l’inquiétante prémonition d’un drame sanglant  » (P. 77)
  • Maman, ton père, c’était qui, déjà ? Tu peux me redire ce que tu sais de lui ?

Un musicien japonais, un altiste de surcroît, que Nanou avait connu pendant la guerre. Il était élève au Conservatoire de Paris, quand elle l’a rencontré. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre, mais ils ont dû se séparer en trente-neuf parce qu’il devait rentrer dans son pays… parce que c’était la guerre, tu vois… Je crois qu’il s’appelait Jun… Ils s’étaient promis de se retrouver après la guerre… Nanou a attendu le retour de l’homme qu’elle aimait. Ils se sont écrit, je crois. Mais, à partir d’un certain moment, il n’a plus donné de signe de vie… C’est tout ce que je sais. » (P. 90)

  • « Mais là, ça vient, je crois, de la manière dont la musique fonctionne chez le personnage principal. Quand il entend de la musique, il voit des choses ; et, inversement, il entend de la musique quand il est en présence de certaines scènes… C’est très frappant » (P. 88)

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