
« Je suis revenue à la fin, pour l’embrasser avant qu’il ne soit trop tard. » (P. 21)
Isabelle parcourt les mers, les océans afin de réaliser des documentaires, de filmer les abysses des océans qui perdent, petit à petit, leur vie. Son frère quinquagénaire, quant à lui vit avec leur père Marc, un père qu’elle a quitté il y a plusieurs années, un père difficile à vivre, taciturne et solitaire,.
Marc, quant à lui arpentait d’autres espaces vierges, ses montagnes qu’il ne voulait pas quitter et qu’il faisait découvrir à d’autres passionnés. Il était guide.
« Les symptômes sont modérés pour l’instant, je te rassure. Ce sont des oublis, des confusions, quelques trous. Parfois anodins, plus sévères. C’est imprévisibles, très déconcertant. Mais c’est là, et le meilleur n’est pas à venir, tu t’en doutes. » Ces mots d’Olivier l’avaient perturbée…Qui ne le serait pas par ces mots que chacun de nous a peur d’entendre un jour. Ce père, elle le connaît bien, elle l’avait fui, elle avait fui ses colères, son caractère taciturne et solitaire. Elle avait toujours eu des difficutés à communiquer avec lui…
Olivier est kiné, il connaît les corps.
Isabelle arrive, mais « à reculons » . Les relations avec ce père n’ont jamais été très bonnes. Il lui avait dit : « Tu ne seras jamais aimée de personne » et même « Tu vas rater ta vie« . Elle était partie. et depuis, elle avait dû affronter un autre drame, dont elle se sent responsable, et qu’elle ne peut évacuer, je n’en dirai pas plus. Un drame qui la hante en permanence et qui bouscule sa vie.
Gaelle Josse sait décrire avec pudeur ces relations familiales perturbées par la hantise de ces pertes de mémoire, ces tensions familiales et détresses qu’elles génèrent, toutes ces tensions provoquées, mais involontaires dues à ces caractères bien trempés qui s’opposent, à ces deuils qui mettent des années à s’atténuer sans jamais s’effacer. Ces tensions imprévisibles qui peuvent éclater à tout moment….et qui sans aucun doute perturbent également ceux dont la mémoire s’effiloche, et ceux qui, de temps en temps ont des oublis…et si jamais ça m’arrivait ?
Quel bonheur de retrouver Gaëlle Josse et ce huis clos dérangeant…Merci
Éditeur : Notabilia – 2022 – 173 pages
Lien vers la présentation de Gaëlle JOSSE
Quelques lignes
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« Et maintenant, mon père, mon père terrible, te voilà qui entres dans la brume, à petits pas et sans retour. Tu arrives au temps des sables mouvants. Te voilà à l’orée de l’oubli, de tous les oublis, te voilà au seuil de la pénombre, je suis ta fille absente, ta fille invisible et pourtant je termble à l’idée qu’un jour tu ne reconnaîtras plus ni mon nom ni mon visage. Aurais-je traversé toute ta vie comme une ombre? » (P. 35)
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« J’ai pleuré sur le crépuscule qui tombe sur les pères, sur le temps qui ronge la mémoire, sur ce que la vie m’avait offert de plus beau avec Vincent et sur ce qui m’avait été repris. » (P. 60)
- « Du jour où j’ai découvert l’eau, l’apesanteur du corps, même dans l’effort, j’ai su que j’étais dans mon élément. Je me suis toujours méfiée de ta montagne, enfant, une terreur obscure, que cette masse nous anéantisse, nous perde ou nous détruise. Qu’elle se réveille. » (P. 75)
- « J’ai aimé la transparence de l’eau, j’ai aimé pénétrer, flotter, plonger, remonter, descendre, toujours plus loin.M’y fondre, m’y dissoudre. Echanger mes poumons contre des branchies, ma peau contre des écailles, peut-être. Voir. Voir encore, toujours plus loin, toujours plus profond. » (P. 75)
- « La maladie de l’oubli est bien là, capricieuse, tapie, sournoise,. Patiente et sûre de gagner, un jour ou l’autre. » (P. 77)
- « Ta mémoire s’effiloche comme ces écharpes de brume arrochées à ta montagne au matin froid, cet insaisissable duvet qui s’efface à la montée du jour en emportant les couleurs de ta mémoire. C’est une eau qui ruisselle et que tu ne peux retenir, un torrent qui gonfle et pousse devant lui tout ce que tu ne peux plus agripper, le nom des choses, l’instant à peine passé, je sais que tu trembles, mon père, et je tremble avec toi devant tout ce qui chavire et qui sombre. Des planètes qui s’éloignent jusqu’à se fondre dans une nuit sans lumière qui t’appelle. En toi les mots qui chutent et se fissurent, les visages s’évanouissent, le temps se décolore, tu sais ta déroute et tu sais qu’elle est sans retour. » (P. 110)
- « J’ai aimé, et puis le temps a effiloché une histoire qui n’était pas armée pour faire face. Il faut beaucoup d’amour pour résister à toutes les érosions, je n’en ai pas assez donné, c’est tout. Isabelle aussi a aimé, et cet amour lui a été repris. À l’heure où les ombres s’allongent, nous avançons tous les deux comme nous pouvons. » (P. 157)
Oui un roman très réussi !