« Les identités meurtrières » – Amin Maalouf

Les Identités meurtrièresPublié il a 18 ans, ce livre fait partie à mon avis de ces textes que chacun devrait avoir lu, de ces classiques que chaque bachelier aurait du étudier en terminale ou en 1ère. 
Tous les jours les journaux télévisés, la presse papier nous parle de ces jeunes filles de ces ados en quête d’identité, mal dans leur peau, qui quittent la France pour aller faire le djihad….Certains sont des petits fils d’immigrés et on rappelle encore leurs origines…à la troisième génération…. ou leur religion. On entend souvent dire « un jeune musulman » mais jamais « un jeune catholique » …Pourquoi? Comme s’il ne faisaient pas totalement partie de la communauté française….Comme s’ils n’étaient pas totalement français, malgré leur carte d’identité…Comme si ce trait de leur identité leur collait à la peau.
Les conflits qui ont ensanglanté la fin du XXème siècle, Guerres dans l’ex-Yougoslavie, Guerre Hutus-Tutsis au Ruanda, guerre du Liban sont tous des conflits qui ont opposé des groupes de personnes qui pendant des années semblaient vivre en bonne intelligence, des conflits qui ont tous eu une cause identitaire, religieuse.
L’actualité donne encore plus de poids à cet essai prémonitoire
Amin Maalouf, académicien français, né au Liban dans une famille de culture catholique, est arrivé en France en 1976 à la suite de la guerre du Liban. 
Il »décortique » l’identité. Oh ! Pas celle de notre carte d’identité, qui en dit bien peu de nous, mais notre identité complexe, qui fait que chacun de nous est unique ..Une identité composée notamment mais non exclusivement de notre patrimoine familial, culturel, religieux, de notre couleur de peau, de nos langues – langue de naissance et langues acquises – …de notre environnement, lieu d’habitation, sports pratiqués, etc….Nous ne pouvons donc avoir avec les autres que quelques points communs…
Cette approche humaniste et documentée, permet à chacun de comprendre que nous avons plus de points communs avec notre voisin qu’avec nos ancêtres…quels qu’ils soient.Nous devons, tous, faire un pas vers l’autre  : « J’aurais envie de dire aux uns d’abord : « Plus vous vous imprégnerez de la culture du pays d’accueil, plus vous vous pourrez l’imprégner de la vôtre » ; puis aux autres : « Plus un immigré sentira sa culture d’origine respectée, plus il s’ouvrira à la culture du pays d’accueil ». » (P. 51)….Faute de quoi, au nom d’identités non respectées non comprises, non assumées, peuvent naître des extrémistes, des tueurs…
Nous vivons également dans un monde qui a tendance à uniformiser les cultures, la culture occidentale s’imposant sur tous les continents . Cette mondialisation, gomme les différences – prééminence croissante de l’anglais sur les autres langues, perte de langues locales, abandon de traditions culturelles locales, culinaires, émergence de fast-foods, de chaines alimentaires sans âme…etc. Nous devons lutter afin de les préserver ces cultures, ces langues locales ou nationales au même titre que nous luttons pour préserver les espèces animales ou végétales en danger. 
Amin Maalouf nous dit : « L’objectif (de l’essai) est [……] : essayer de comprendre de quelle manière ladite mondialisation exacerbe les comportements identitaires, et de quelle manière elle pourrait un jour les rendre moins meurtriers ». Un danger que nous connaissons encore mieux aujourd’hui…
J’ai essayé de m’imprégner de cet essai dense et précis..J’ai aimé relire certains passages, noter ces phrases choc, et si on juge de l’intérêt d’un livre au nombre d’extraits que l’on a envie ou besoin d’enregistrer, au nombre de pages qu’on cornera, sans aucun doute « Les identités meurtrières », est sans aucun doute un livre qui ne peut laisser aucun lecteur indifférent, un livre que chacun, jeune révolté ou adulte critique et censeur, devrait lire et relire, un livre qui ouvre l’esprit, un livre dont chacun devrait s’imprégner.
Jusqu’aux derniers paragraphes, l’auteur nous pousse à réfléchir, et à agir 
« D’ordinaire, lorsqu’un auteur arrive à la dernière page, son vœu le plus cher est que son livre soit encore lu dans cent ans, dans deux cents ans. Bien entendu, on n’en sait jamais rien. Il y a des livres qu’on voudrait éternels et qui meurent le lendemain, alors qu’un autre survit qu’on croyait être un divertissement d’écolier. Mais toujours on espère. Pour ce livre, qui n’est ni un divertissement, ni une œuvre littéraire, je formulerai le voeu inverse : que mon petit-fils, devenu homme, le découvrant par hasard dans la bibliothèque familiale, le feuillette, le parcoure un peu, puis le remette aussitôt à l’endroit poussiéreux d’où il l’avait retiré, en haussant les épaules, et en s’étonnant que du temps de son grand-père, on eût encore besoin de dire ces choses là. » (P. 189)
Il appartient à chacun de nous, de faire en sorte que son petit fils, que nos petits enfants aient cette réaction d’étonnement

Un ouvrage indispensable qui doit nous permettre de nous remettre en question, de nous interroger sur nos comportements, et de les modifier éventuellement. 


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Extraits
  • En tout homme se rencontrent des appartenances multiples qui s’opposent parfois entre elles et le contraignent à des choix déchirants. Pour certains, la chose est évidente au premier coup d’œil ; pour d’autres il faut faire l’effort d’y regarder de plus près 
  • « L’humanité entière n’est faite que de cas particuliers, la vie est créatrice de différences,e t s’il y a « reproductions », ce n’est jamais à l’identique » (P. 28) 
  • « L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence » (P. 31)
  • « Au sein de chaque communauté blessée apparaissent naturellement des meneurs. Enragés ou calculateurs, ils tiennent des propos jusqu’au-boutiste qui mettent du baume sur les blessures. Ils disent qu’il ne faut pas mendier auprès des autres le respect, qui est un dû, mais qu’il faut le leur imposer. Ils promettent victoire ou vengeance, enflamment les esprits, et se servent quelquefois des moyens extrêmes dont certains de leurs frères meurtris avaient pu rêver en secret. Désormais le décor est planté, la guerre peut commencer. Quoi qu’il arrive, les « autres » l’auront mérité, « nous » avons un souvenir précis de « tout ce qu’ils nous ont fait endurer » depuis l’aube des temps. Tous les crimes, toutes les exactions, toutes les humiliations, toutes les frayeurs, des noms, des dates, des chiffres » (P. 35)
  • « Ceux qui ne pourront pas assumer leur propre diversité se retrouveront parfois parmi les plus virulents des tueurs identitaires, s’acharnant sur ceux qui représentent cette part d’eux-mêmes qu’ils voudraient faire oublier. Une « haine de soi » dont on a vu de nombreux exemples à travers l’Histoire » (P. 46)
  • « Si j’adhère à mon pays d’adoption, si je le considère comme le mien, si j’estime qu’il fait désormais partie de moi et que je fais partie de lui, et si j’agis en conséquence, alors je suis en droit de critiquer chacun de ses aspects ; parallèlement, si ce pays me respecte, s’il reconnaît mon apport, s’il me considère avec mes particularités, comme faisant désormais partie de lui, alors il est en droit de refuser certains aspects de ma culture qui pourraient être incompatibles avec son mode de vie ou avec l’esprit de ses institutions » (P. 52)
  • « Pourquoi l’Occident chrétien qui a une longue tradition d’intolérance, qui a toujours eu du mal à coexister avec l’Autre, a-t-il su produire des sociétés respectueuses de la liberté d’expression, alors que le monde musulman, qui a longtemps pratiqué la coexistence, apparaît désormais comme une citadelle du fanatisme » (P. 70)
  • « Méfiance  est sans aucun doute l’un des mots clés de notre temps. Méfiance à l’égard des idéologies, des lendemains qui chantent, méfiance à l’égard de la politique, de la science, de la raison, de la modernité. Méfiance à l’égard de l’idée de progrès, et de pratiquement tout ce à quoi nous avons pu croire tout au long du XXeme siècle – un siècle de grandes réalisations, sans aucun précédent depuis l’aube des temps, mais un siècle de crimes impardonnables et d’espérances déçues. Méfiance, aussi, à l’égard de tout ce qui apparaît comme global, mondial ou planétaire » (P. 111)
  • « Il ne peut y avoir d’un côté une charte globale des droits de l’homme, et de l’autre des chartes particulières, une charte musulmane,une charte juive, une charte chrétienne, une charte africaine, une charte asiatique » (P. 123)
  • « S’enfermer dans une mentalité d’agressé est plus dévastateur encore pour la victime que l’agression elle-même. C’est tout aussi vrai, d’ailleurs, pour les sociétés que pour les individus. On se recroqueville, on se barricade, on se protège de tout, on se ferme, on rumine, on ne cherche plus, on n’explose plus, on n’avance plus, on a peur de l’avenir et du présent et des autres » (P. 144)
  • « Il s’agit de donner à tous les hommes la possibilité de vivre pleinement dans le monde d’aujourd’hui, de profiter pleinement de toutes les avancées techniques, sociales, intellectuelles sans perdre pour autant, leur mémoire spécifique ni leur dignité » (P. 150)
  • « Partout dans le monde, bien des États forgés autour d’une langue commune ont été démantelés par les querelles religieuses, et bien d’autres États, forgés autour d’une religion commune ont été déchiquetés par des querelles linguistiques » (P. 152) 
  • « Pour qu’une personne puisse se sentir à l’aise dans le monde d’aujourd’hui, il est essentiel qu’elle ne soit pas obligée, pour y pénétrer, d’abandonner sa langue identitaire. Nul ne devrait être contraint à « s’expatrier » mentalement chaque fois qu’il ouvre un livre, chaque fois qu’il s’assied devant un écran, chaque fois qu’il discute ou réfléchit. Chacun devrait pouvoir s’approprier la modernité, au lieu d’avoir constamment l’impression de l’emprunter aux autres » (P. 160)

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