« La cliente » – Pierre Assouline

La clienteUn auteur désirant écrire la biographie du romancier Désiré Simon, découvre que celui-ci était juif et note une phrase de ses mémoires, relative à la période de l’Occupation qui l’interpelle : « Désiré Simon n’en revenait pas : on lui demandait de prouver non ce qu’il était mais ce qu’il n’était pas ».
C’est le début d’une longue quête d’informations, pour comprendre le sens de cette phrase, les conséquences sur la vie du sujet de son livre pendant cette période. A titre exceptionnel il obtient l’autorisation de consulter les archives très confidentielles de l’Occupation, les rapports et enquêtes de police mais aussi les milliers de lettres de dénonciation, dénonciations de juifs, mais aussi de maris ou de femmes dénonçant leur conjoint pour s’en débarrasser, les maîtresses trompées dénonçant l’amant infidèle…courriers qui lui donnent la nausée. Par hasard une lettre retient son attention, elle dénonce la famille juive de son ami fourreur, cousin de sa femme. Cette famille a été exterminée à l’exception de son ami qui a pu récupérer ses biens « aryanisés » à la Libération.

Il ne lui en faut pas plus pour remonter le fil de cette dénonciation, pour en connaitre l’auteure(e), et découvrir et chercher à rencontrer  la personne.
Je ne vais pas vous dévoiler les relations de cette personne avec le fourreur, mais seulement vous dire qu’elle vit honorablement, au grand jour, mais pas forcément heureuse. Doit-il en parler à son ami juif ?
L’écrivain biographe va tenter de comprendre les motivations du dénonciateur et même rencontrer le flic qui à l’époque a reçu la dénonciation. Il a besoin de comprendre, d’expliquer, même s’il en être fortement désorienté et préoccupé. 
Un livre qui dépeint l’atmosphère de cette période, la mentalité et les motivations de ces personnes qui trahissent et dénoncent, mais aussi et surtout de ces flics au service du régime, qui ont poursuivi leur carrière sans jamais être inquiétés par la justice et qui ont vécu leur retraite paisiblement.
Un passé caché qui pourrait remonter au grand jour, si jamais ces archives confidentielles venaient à être déclassés, mais faut-il qu’il remonte au grand jour, ne faut-il pas le laisser enfoui ? Des questions qu’on se pose sinon jusqu’où irait-on? : « Tout, les voitures portant le nom de Louis Renault, les films avec Arletty ou Albert Prejean, les romans de Drieu la Rochelle, les pièces de Sacha Guitry, les grands restaurants, Maxim’s en tête, les expositions de Vlaminck, l’ordre des médecins, les fabricants de cosmétiques, la police nationale qui procédait aux arrestations, la gendarmerie qui gardait les camps d’internement, que sais-je encore. Une telle liste était sans fin. »
Immanquablement le lecteur s’interrogera. « Quelle capacité, quelle légitimité ai-je pour juger des personnes qui ont vécu dans des conditions, et à une époque que je n’ai pas connue? Puis porter un jugement moral alors que je suis bien incapable de dire ce que j’aurais fait si j’avais subi des pressions mettant en jeu des membres de ma famille ? Compte tenu de la complexité de cette période ai-je tous les éléments pour me prononcer? » 

Je suis de plus en plus inconditionnel de Pierre Assouline


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Quelques extraits pour découvrir
  • « Désiré Simon n’avait jamais cessé de mentir, en romancier pratiquant le mensonge qui dit la vérité non comme un noble art mais comme seul et unique moyen de conserver un équilibre relatif » (P. 16)
  • « J’écrivais une biographie, pas un roman. Mais c’était la biographie d’un romancier. Il avait le besoin d’instiller le doute en toutes choses. J’en étais la victime. A cause de lui, je me retrouvais dans une zone grise où les frontières s’estompaient. » (P. 19) 
  • « Les années noires menaçaient de déteindre sur moi. Mes amis me reprochaient d’être de plus en plus sombre, mais qui aurait pu comprendre que je prenais la couleur de l’Histoire ? Personne. » (P. 23)
  • « Tous les enfants juifs doivent subir le sort de leurs parents. Si les patents sont arrêtés, les enfants le sont également. Si les parents sont arrêtés, les enfants le sont également. Si les parents sont hébergés dans un camp d’internement, les enfants les suivent. Il ne peut donc plus être question d’enfants juifs à héberger, soit chez des Israélites, soit chez des Aryens » (P. 26)
  • « Jamais un historien ne pourra donner la vraie nature du phénomène. Seul un romancier y parviendrait. Ou un psychiatre. Nul besoin  de se sentir une vocation de proctologue pour fouiller ainsi le cul du monde. » (P. 29)
  • « Il n’était pas le gendarme mais son chevau-léger. Il ne s’agissait pas d’une rafle mais de son avant-goût. Ni d’une arrestation mais de son ersatz. Les Fechner auraient eu conscience d’être les acteurs malheureux d’une répétition générale s’ils avaient eu le sens de l’histoire. Mais qui l’a jamais eu dans l’urgence ? Après, quand on reconstruit, c’est toujours plus facile. » (P. 52)
  • « Sous l’Occupation, tout était possible. On y avait tout vu, tout vécu, tout entendu. Ces années furent si extraordinaires stricto sensu, si peu ordinaires qu’elle favorisèrent les attitudes les plus inouïes. Elles agirent comme le révélateur de ce que l’homme avait en lui de pire et de meilleur. » (P. 61)
  • « Sais-tu ce qu’a fait Photomaton en 1941? Cette société a proposé ses services aux autorités allemandes pour leur permettre de mieux ficher les Juifs. Elle a fait valoir son expérience, ses compétences et ses moyens pour emporter le marché. » (P. 81)
  • « De toutes parts, j’entendais : il faut pardonner, il y a un temps pour la repentance….Mais qui étais-je pour pardonner? Seules les victimes en auraient eu le pouvoir. Elles n’étaient plus là pour l’exercer. Elles ne m’avaient chargé de rien. (P. 86) 
  • « Celui par qui le scandale arrive est forcément suspect quand bien même il mettrait en lumière le scandale de la vérité.  La convention est la norme alors qu’il ne s’agit que d’une question de point de vue. Si l’humanité se penchait un peu elle constaterait qu’à Pise seule une tour se tient droite. » (P. 135)
  • « Il est bon de se débattre avec sa conscience, à condition d’avoir le dernier mot » (P. 154)
  • « Au fur et à mesure de son récit, je me rendais compte que l’on ne sait rien d’un être tant qu’on est incapable de situer la faille par laquelle tous ses secrets s’engouffrent jusqu’ à se mêler à son sang et irriguer son esprit » (P. 165)
  • « La vie est trop brève pour qu’on la gâche en remettant continuellement ses pas sur d’anciennes traces » (P. 192)
  • Un matin, j’ai eu honte d’être biographe. Honte de mon indiscrétion. Honte de me servir du crédit acquis par mes livres pour m’introduire chez des témoins et leur soutirer des souvenirs qu’ils s’étaient bien juré de ne jamais dévoiler. Honte de trahir leurs confidences, fût-ce pour la cause d’une vérité supérieure. Honte de cette technique éprouvée, mélange de patience et de diplomatie, qui me permettait de m’immiscer dans les archives de particuliers et de m’insinuer dans les moindres replis de leur vie privée. Honte de partager des secrets de famille sans demander l’avis des intéressés. Honte de cette discipline de flic et d’indicateur. Honte de vérifier à chaque fois que l’esprit fouille-merde était la vertu cachée des meilleurs biographes. Honte de trouver quelque volupté à plonger les bras dans les poubelles pour en extirper de misérables indices. Honte de lire des ordonnances de médecins qui détaillaient d’intimes maladies, des relevés de banque qui contredisaient des postures de miséreux, des lettres d’amour qui auraient dû être détruites, des brouillons destinés à n’être jamais déchiffrés. Honte que tout cela parût être une méthode qui portât ses fruits. Honte de toujours raconter le passé des gens pour n’avoir pas à révéler le mien. Honte de gagner ma vie avec celle des autres. Honte de moi.
 

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