« Le vélin » – Régine Detambel

Le velin
La découverte d’une auteure grâce au Salon du livre.
L’œil d’une gamine sur sa vie dans la Moselle en guerre. Une gamine qui a vu, cachée derrière une tenture, naitre et mourir son petit frère Joachim (Jochem en mosellan) au cours de la même journée; Pas de larme, on sent que la vie et la mort font partie de la vie de cette famille…le père mineur de charbon y est confronté tous les jours. Pas de larme, mais beaucoup d’émotion et d’amour, un manque permanent pour cette petite, son frère Jochem est toujours présent, tous les jours, dans les petits événements de sa vie, dans ses jeux, dans son cœur

Elle est bien seule cette petite, seule avec sa mère et ses grands parents.
Le père mineur est parti faire la guerre, la guerre toute proche. Il est soldat français, d’autres mosellans sont soldats allemands et entre mosellans on se tire dessus, on se fait la guerre, sans se détester. Non par choix, mais du fait des hasards, des occupations… ce département dont les habitants sont avant tout des mosellans avec leur propre langue, leur propre culture est tiraillé depuis toujours, tantôt allemande, tantôt française, au gré des occupations et des guerres entre la France et l’Allemagne : « J’ai compris que la France luttait contre l’invasion d’une Allemagne sans traits. L’Allemagne nous détestait, la France nous haïssait et elles voulaient toutes deux faire de nous des décombres, parce que notre haleine parlait sa propre langue, ni allemande, ni française, mais la langue de notre famille, avec la voix de la Moselle »
Et puis un jour, il faut quitter la maison familiale, avec maman et ses grands parents, quitter cette Moselle évacuée par les gendarmes français, du fait de la guerre, partir avec ses petits trésors, ses souvenirs familiaux entassés sur un pauvre chariot tiré par les chevaux de la famille…..
Des chapitres très courts, superbement écrits à mon goût
L’amour de l’auteur pour son pays de naissance qu’elle a quitté, l’amour d’une gamine pour son frère trop tôt disparu…On sent que pour toutes deux, ce manque reste permanent.
Une histoire simple et banale d’une famille, mais aussi l’Histoire de la Moselle annexée puis reprise, puis réoccupée au gré des guerres, une partie de sa population parlant français fut expulsée vers la France par les nazis..
Beaucoup d’émotions du fait de la beauté de l’écriture dans ces quelques pages
Une découverte que je ne regrette pas et que je vais poursuivre


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Extraits

  • « La frontière est une vieille clôture limée jusqu’à la corde. Elle est tombée. Et nous qui vivions en elle, nous sommes maintenant des animaux égarés. Ce matin dans la glace j’ai regardé ma langue parler allemand. Ensuite ma langue a parlé français. Et ma bouche s’est tordue différemment et parfois mes dents cliquetaient » (P. 26)
  • « J’ai compris que la France luttait contre l’invasion d’une Allemagne sans traits. L’Allemagne nous détestait, la France nous haïssait et elles voulaient toutes deux faire de nous des décombres, parce que notre haleine parlait sa propre langue, ni allemande, ni française, mais la langue de notre famille, avec la voix de la Moselle » (P. 26)
  • « La vie aérienne de la suie m’est également familière. Quand le feu l’extrait du charbon, l’éclate, l’évapore, enfin la disperse, je sais ou elle va se loger. Je connais les plis de la peau qu’elle affectionne, la fibre textile qu’elle ronge plus volontiers. Je n’ignore rien du désespoir des laveuses, et celle qui, à peine la lessive étendue, doivent la retirer par ce que le vent souffle des mines et gâchera leur linge. »(P. 48)
  • « Nous vivions sur la frontière décorative et mondaine qu’on dessinait dans les ministères. Et tour à tour nous étions allemands. Et tour à tour, on nous rendait à la France. Les balles de shrapnels et les bonbons empoisonnés on les gardait.  » (P. 101)
  • « J’avais naturellement peuplé mon passé de la présence d’un frère modulable à l’infini. Il se cachait dans les seaux du puits, il était dans tous les miroirs, il patinait sur la mare gelée, il trouait des sacs de grains pour les poules. Il s’accroupissait près des nids, cotonneux, collant aux doigts, et brisait des œufs, maltraitait leurs coquilles doublées d’une peau cirée. Dans tous les cas je vivais près de lui. » (P. 111)
  • « Le cartable, un objet d’étonnement peureux. A cause de la langue bien sur, le Français qu’il apprendrait à l’école, langue d’armistices, de fin d’annexion, de généraux, de maire et de contremaîtres qu’il refusait de prononcer. Et, tout autant, il refuserait de prononcer l’allemand, langue d’école occupée, qu’on lui enseignerait en frappant le bout des doigts . Alors nous parlions trois langues (autant de langues qu’il y a d’oiseaux sur le drapeau de Lorraine) : le français de pupitre, l’allemand quand il y avait la guerre et notre langue à nous, (celle qui nous appartient et dont l’entretien nous incombe) quand nous étions seuls et tranquilles avec les bêtes, les chansons, les contes et les champs. Nous ne savions pas demain où commencerait, où finirait notre pays. » (P. 125)
  • « Quand les allemands sont entrés et que les gendarmes français nous ont ordonné de nous sauver, de tout quitter pour nous sauver nous avons entendu claquer les fouets sur les chevaux et casser des branches sur les cuisses des bœufs qui tiraient d’énormes charrettes contenant des maisons entières » (P. 135)
  • Exode : « Ce qu’elle avait emporté avec nous, sur la route, ce que tiraient Finette et Scheck, c’était l’histoire de la famille, la geste des nouveaux mariés dont on a gardé le premier drap sans le laver, l’émotion de l’enfant qui étrenna ce mouchoir pour sa communion solennelle, les points de croix d’une jeune fille, les gants de la demoiselle d’honneur, le ruban de velours que les mineurs mettent dimanche, les langes de Jochem que ma mère n’eut jamais à blanchir, et celui qu’il avait mouillé » (P. 148)

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