« 2084 La fin du monde » – Boualem Sansal

2084 La Fin du Monde
Dernier roman et pas le moindre de Boualem Sansal..il s’est essayé à un genre nouveau… : le roman dystopique..dans la même veine que « Farenheit 451 », « Le meilleur des mondes », « Nous autres » ou « 1984 » de George Orwell, auquel il fait plusieurs allusions dans ce nouveau roman, mais son pari n’est pas totalement réussi.

Nous sommes en Abistan, un immense empire aux soixante provinces dirigé par Abi, le « Bigaye », prophète délégué de Yölah.
En 2084 la Grande Guerre Sainte s’est achevée par une victoire sur la Grande Mécréance. Elle fut remportée par les disciples d' »une forme gravement dégénérée d’une brillante religion »!!! Cette guerre a transformé ainsi d' »inutiles et misérables croyants en glorieux et profitables martyrs ». 2084 est la date jusqu’à laquelle on sait remonter le temps….Abiland est un pays de territoires de désolation, noir, vitrifié, aucune trace connue de civilisations antérieures, les habitants mangent par terre des bouillies infâmes, les objets usuels de notre quotidien ont disparu, rafles, prières, exécutions capitales rythment le quotidien. Une société qui impose le fanatisme des jeunes, le mariage précoce des filles, des « burniqabs » variantes des niqabs contemporains pour les femmes, des « burni » différents selon la position sociale et le rang pour les hommes. Des ghettos regroupent les opposants déclarés du système.

Une langue nouvelle a été inventée, elle doit être impérativement parlée : « Avec la langue sacrée mes adeptes seront vaillants jusqu’à la mort, ils n’auront besoin de rien de plus que les mots de Yölah pour dominer le monde. Comme ils ont fait de mes compagnons des commandeurs de génie, ils feront d’eux des soldats d’élite, la victoire sera prompte, totale et définitive ». Un « Ennemi » toujours cité, mais que personne n’a jamais vu, menace l’Abiland

Ati homme encore jeune est soigné dans un sanatorium, il doit en sortir pour regagner le monde…Mais il est fortement troublé par ce qu’il a vu, par ce qu’il a vécu, par ce que les pèlerins lui ont dit…Il n’a jamais fait ces pèlerinages imposés de milliers de personnes, visitant et priant dans ces lieux sacrés où vécut Abi, pèlerinages qui se terminent souvent par la mort de ces pèlerins devenus martyrs, des pèlerinages avec des listes d’attente de plusieurs années « En Abistan, il n’y avait d’économie que religieuse« . La mort est sanctifiée : « Allons mourir pour vivre heureux » est adopté par l’armée abistanaise comme devise sur son blason….

Ati, fait dorénavant semblant de croire et se plie aux 9 prières quotidiennes… il a croisé un l’ethnologue fonctionnaire qui a découvert un village antique totalement intact « propre à révolutionner les fondements symboliques de l’Abistan ». Son esprit est fortement troublé, et il devient aux yeux de l’Appareil un mécréant méritant la mort, à l’occasion de ces exécutions géantes dans les stades.

Il va dès lors essayer de trouver « la Frontière », on en parle à mots couverts, mais l’Appareil dit qu’elle n’existe pas.
Il voyagera dans le pays, franchira visitera la cité de Dieu, un musée du XXème siècle…rencontrera des élites vivant dans l’opulence, en contradiction totale avec les principes de la religion et du système qu’ils imposent au peuple soumis au totalitarisme.

Un livre troublant, fable et livre politique dans lequel Sansal dénonce la Religion en poussant à l’extrème les dérives de toute religion, religion qui peut priver l’homme de sa liberté, religion intégriste qu’il ne nomme jamais, mais les clins d’œil sont tellement évidents…..qu’on la reconnaît…..« La religion fait peut-être aimer Dieu, mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ». »En transmettant la religion à l’homme la langue sacrée le changeait fondamentalement, pas seulement dans ses idées, ses goûts et ses petites habitudes mais dans son corps en entier, son regard et sa façon de respirer, afin que l’humain qui était en lui disparaisse et que le croyant né de sa ruine se fonde corps et âme dans la nouvelle communauté »

Un livre dans lequel il dénonce, comme dans ses autres ouvrages, les totalitarismes, les dictatures, l’intégrisme. Il est difficile de ne pas y trouver une critique de l’Algérie, de ses clans corrompus se battant pour conquérir ou garder le pouvoir..du peuple manipulé…beaucoup de personnes parlant à mots couvert de la Democ…de la Démouc!!… Abi personnage central, personne ne le voit plus, il dirige tout, il est craint, n’est-il pas un deuxième Boutéflika?

« Yölah est grand et Abi est son Délégué » !

On pourrait se dire « C’est une fable qui ne nous concerne pas, l’Abistan et son système sont loin de chez nous! » Pas du tout… »2084 La fin du monde » et un livre qui nous interpelle directement en France…et en Occident dans l’un de ses passages! Frissons!

Un livre parfois difficile à suivre du fait du style, trop pointilleux, sur certains points, mais trop superficiel et trop fouillis sur d’autres. On s’y perd parfois, mais l’auteur l’a peut-être souhaité à l’image du système abistanais, et c’est un peu dommage.

Un livre qui toutefois ne peut laisser personne indifférent, on aimera ou on détestera.

Boualem Sansal est un auteur à connaître …et que j’aime bien malgré tout. Un auteur dont il faut saluer et respecter le courage…si certains écrivent de France contre l’intégrisme, lui le fait depuis l’Algérie….pays où des français dont des religieux ont été décapités par des intégristes!


Connaître Boualem SANSAL


Extraits

  • « Il ne se souvenait plus par quel cheminement d’idée il s’était convaincu que l’homme n’existait et ne se découvrait que dans la révolte et par la révolte et que celle-ci n’est vraie que si elle se tournait en premier contre la religion et ses troupes » (P. 81)
  • « Avec les loups il faut hurler ou faire semblant de hurler, bêler est la dernière chose à faire » (P. 93)
  • « C’est quoi un homme sans identité ? » (P. 95)
  • « La langue ne parlait pas a l’esprit, elle le désintégrait, et de ce qu’il restait (un précipité visqueux) elle faisait de bons croyants amorphes ou d’absurdes homoncules » (P. 96)
  • « Entre commerce et religion la connivence est toujours possible, l’une n’allait pas sans l’autre » (P. 108)
  • « L’homme peut vivre sans religion et mourir sans l’assistance d’un prêtre » (P. 114)
  • « Le Système n’est jamais ébranlé par la révélation d’un fait gênant, mais renforcé par la récupération de ce fait » (P. 127)
  • « Mais voilà, il y a culture et culture, celle qui additionne des connaissances, et celle plus courante qui additionne des carences » (P. 157)
  • « La vie est un questionnement, jamais une réponse » (P. 162)
  • « Les plus dangereux sont ceux qui ne rêvent pas, ils ont l’âme glacée » (P. 255)
  • « L’Abistan vit sur le mensonge, rien n’a échappé à ses falsifications, et comme il a modifié l’Histoire il a pu aussi inventer une nouvelle géographie. A des gens qui ne sortent jamais de leur quartier, tu peux faire croire et que tu veux » (P. 257)

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