Barnabas Krane a quitté l’Irlande pour partir faire fortune aux États-Unis en construisant au péril de sa vie des gratte-ciel…Souffrant du mal du pays il revient, avec Eskra son épouse américaine et leur fils Billy, se réinstaller en Irlande dans le comté de Donegal qui l’a vu naître. Avec l’argent qu’il a gagné il a pu acquérir une ferme, des terres et du bétail…En quelques années il a pu ainsi être à la tête d’une exploitation que tout irlandais aurait mis 3 générations à construire….Sa vie de travail est prospère et heureuse, alors que la deuxième guerre mondiale fait rage en Europe.Jusqu’au jour où un incendie, peut-être criminel, met fin à ce rêve. Il perd dans ce drame son bâtiment, son bétail brulé vif et un ouvrier agricole et ami Mathews Peoples. Par rancœur, la famille de celui-ci refusera qu’il assiste à ses obsèques…
C’est le début de la suspicion, des regards méfiants à l’égard des voisins, une longue descente aux enfers « Le silence absolu du matin a la profondeur d’un abîme pour celui qui s’éveillait autrefois avec les animaux, et qui n’entend désormais que l’écho plus strident de ses propres pensées. Il perçoit aussi ce silence qu’a laissé derrière lui le coq disparu depuis l’incendie, un vieil oiseau dépenaillé au plumage rouille que rompait un croissant de plumes noires. Il se peut que de pareilles choses bouleversent aussi les coqs ». Le bonheur conjugal se lézarde, son épouse qui a quitté les Etats-Unis n’était peut être pas faite pour vivre en Irlande.
En tentant, sans argent, de reconstruire son bâtiment, de récréer ce bonheur, et en sollicitant ses voisins pour quelques pierres ou pour une poutre, il se rendra vite compte qu’en quittant l’Irlande, il est devenu un « faux-pays », un étranger, qui a perdu toute notion de la culture locale . « Les gens d’ici sont habités par la crainte de Dieu, mais ils n’ont de chrétien que le nom »
Ayant volé les pierres d’une ruine, il s’attire la haine d’un voisin: « Ces pierres, ce sont nos ossements [ ….] prendre ces pierres, c’est profiter du malheur d’autrui. Elles font partie de la terre, ce sont nos antiques reliques qui doivent rester dans nos mémoires ».
Jalousies, secrets et soupçons vont miner les relations familiales et les relations de voisinage…Ce serait tellement plus simple s’il ne s’entêtait pas et s’il acceptait de vendre des terres…. « Mettre la maison et les terres en vente, et puis retourner en Amérique. Admettre que ça a marché un temps, qu’on en a bien profité, mais que rien ne dure et qu’on n’a pas le choix. Que la fin est arrivée plus tôt que prévu et que la fortune ne sourit pas éternellement aux courageux. Et que, peut être nous n’étions pas faits pour vivre ici. ».
Mais Barnabas s’entête… un vrai irlandais
Une longue descente avec de fragiles moments d’espoirs.
Une écriture qui permet de créer, petit à petit, une ambiance pesante dans un pays au contraire lumineux..Un grand roman, un grand auteur
Je ne souhaite pas en dire plus…découvrez-le. Je vous souhaite autant de plaisir que celui que j’ai eu
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Extraits
- « Le feu grondait si fort dans son avidité qu’il ressemblait à une puissance colossale lâchée sur la terre, une force épique dont la brutalité possédait l’énergie féroce d’une mer qui déferle » (P. 26)
- « L’étable a brûlé sans qu’ils puissent rien y changer, mais le vent a décidé de tourner avant que les flammes ne gagnent la maison » (P. 33)
« Le silence absolu du matin a la profondeur d’un abîme pour celui qui s’éveillait autrefois avec les animaux, et qui n’entend désormais que l’écho plus strident de ses propres pensées. Il perçoit aussi ce silence qu’a laissé derrière lui le coq disparu depuis l’incendie, un vieil oiseau dépenaillé au plumage rouille que rompait un croissant de plumes noires. Il se peut que de pareilles choses bouleversent aussi les coqs » (P. 37)
« Sur cette terre il n’y a pas d’autre jugement que le nôtre » (P. 23)
« Quand même , c’est bizarre. Au moment où ils t’ont transporte dans la cuisine, t’aurais pu être mort tout pareil, vu que tu te rappelles rien. Moi aussi quand tu m’as sorti des flammes, j’ai passé une minute ou j’étais plus qu’un tas de chiffons, merde. C’est ça qui court tout le temps dans la tête. Que j’aie été à moitié mort, que je sois revenu, et que je me sois rendu compte de rien. Que j’en aie rien su du tout. Je me demande si ça doit me consoler, l’idée que j’ai plus ou moins fait l’expérience de la mort. » (P. 77)
« Avec les rationnements d’essence, les voitures se font rares sur les routes »(P. 84)
« Elle guettait dans l’escalier le tonnerre de ses chaussures cloutées et l’obligeait à danser en chaussettes. L’odeur de tes pieds ! Tu es dans un état ! Un homme qui pouvait travailler des journées entières posé sur une étroite poutrelle, sans rien au dessous de lui que le danger d’une chute mortelle, et ses entrailles à elles qui chaviraient à cette pensée. Et voilà qu’il trébuchait maintenant entre ses bras, tout tendu, comme s’il craignait de tomber. Dans le ciel un danseur, disait-elle, mais sur la terre tu n’es qu’un empoté. Ces grosses mains de brute. (P. 104)
« Elle maudit les vues obstinées qui les ont conduit jusqu’ici, la misère d’une région qui ne semble pas avoir évolué en l’espace d’un siècle, ces gens qui se contentent de trois fois rien, heureux de vivre comme si le monde n’avait pas changé, à peine quelques voitures et une poignée de camions, et cette pauvreté qui persiste, pareille à une réticence qui rayonnerait d’eux, un tempérament aussi intraitable que le roc. Et puis il y a chez eux cette expression qui semble incrustée sur le visage, les regards insistants de la suspicion, comme un jugement biblique qui vous déclare absolument étranger si vous n’êtes pas né sur ce sol. La tête sous l’eau, elle voit apparaître sa famille. Leur arrivée à Canavarn, l’argent de Barnabas dépensé sans lésiner. En deux ans, ils avaient acquis ce que les autres mettent trois générations à accumuler. Elle sentait toujours planer autour d’elle quelque chose que personne ne nommait, mais qu’elle même prenait pour du ressentiment. Nous ne méritons pas cela après tant d’efforts. » (P. 125-6)
« Il semble cependant, Mr Kane, que vous possédez beaucoup de terres. Vendez-les. Remboursez la banque. Après ça vous pourrez revenir me voir. Concernant votre grange, je ne vous réclamerai dans l’immédiat que les intérêts. Mettez vos terres en vente, Barnabas. Ensuite nous pourrons discuter. C’est la position la plus rationnelle. » (P. 133)
« Le policier ne bouge pas, les bras ballants, le visage sans expression, comme si la vérité s’exposait devant eux dans toute son évidence, attendant que Barnabas en prenne conscience. Son regard se porte alors vers les champs, là où le soleil couchant étale sa lumière. Sur le poêle de cet animal, il y a des traces de sang qui datent d’un jour ou deux. Des petits grumeaux de sang séché, Barnabas. Il est clair qu’elles n’appartiennent pas à votre chien. En tant que fermier, vous devinez certainement ce qu’il en est. Je suppose que vous vous imaginez bien à quoi s’est occupé ce chien. » (P. 232)
« Il se rend compte auquel point ces lieux lui ont paru étrangers, quand elle est arrivée ici, elle ne pouvait pas s’y sentir chez elle. Elle a résisté malgré l’aversion qu’ils lui inspiraient tandis qu’elle refusait d’admettre que la vaste et mythique contrée que lui présentait son imagination n’était rien d’autre qu’une chimère, que ce pays était froid, misérable, sauvage et qu’il ne se souciait nullement d’eux. Son amour pour elle. Son amour. » (P. 286)