Beaucoup d’émotions, des sourires et de l’humour, de la tristesse, et toujours de la lucidité. Quand on a fini ce livre, que personnellement j’ai dévoré, le regard porté sur les malades mentaux, sur leurs conditions de vie, sur les conditions de leurs traitement change.
Un jeune homme de 19 ans atteint de schizophrénie jette ce qui lui passe par la tête et nous présente sa vie, depuis son enfance jusqu’à ses 19 ans; tantôt de façon désordonnée, tantôt de façon très structurée, très réfléchie…..à l’image de ses pensées. Il vit seul avec ses parents, il a perdu son frère dix ans auparavant…
Les idées viennent en vrac dans cet esprit perturbé. A nous de reconstituer ce puzzle et de reclasser les événements qu’on découvre par bribes. L’auteur nous prévient : « J’ai 19 ans, et la seule chose que je maîtrise encore un tant soit peu dans mon univers, c’est la façon de raconter cette histoire. Alors je ne compte pas déconner. Ce serait bien si vous faisiez l’effort de me faire confiance » . Cette construction peut déstabiliser, mais elle est tellement vivante! En tout cas elle m’a séduit.
Vie des malades dans les services soignants, détails insignifiants qui perturbent la journée du schizophrène, idées fixes répétitives, hallucinations, culpabilité, souffrances des malades mais aussi vie des familles impuissantes surtout quand elles ont deux enfants malades….
Et puis un jour on lui offre une machine à écrire…et l’écriture du livre change…pour encore mieux nous prendre par la main
Une phrase qui devrait changer notre regard sur ces malades « Le pire dans cette maladie, ce n’est pas ce qu’elle me fait croire, ni ce qu’elle me fait faire. Ce n’est pas l’emprise qu’elle a sur moi ni même l’emprise qu’elle autorise les autres à avoir. Le pire de tout, c’est qu’elle m’a rendu égoïste. La maladie mentale nous replie sur nous-même. C’est mon avis. elle fait de nous les prisonniers à vie de la douleur qui occupe nos têtes, tout comme la douleur d’une jambe brisée ou d’un pouce entaillé accapare l’attention et s’y cramponne au point que la jambe ou le pouce cessent d’exister. »
Un vrai message de vie et de tolérance donné par l’auteur ancien infirmier psychiatrique, qui s’est mis avec beaucoup d’humanité et de vérité dans la peau d’un de ses patients.
Un drame familial!
Impossible de rester indifférent face à ce texte. A lire
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Extraits
« Mais je m’égare, je m’égare tout le temps, je dois me concentrer parce qu’il y a plein de choses dont je veux parler.. » (P.33) « Je pense que les enfants croient ce qu’ils veulent bien croire » (P. 62) « J’ai quelques problèmes d’observance thérapeutique avec les comprimés » (P. 65) « S’il pleut dehors ou si tu piques l’épaule d’un camarade de classe avec la pointe d’un compas, sans t’arrêter jusqu’à ce que sa chemise de collège en coton blanc ressemble à du buvard, ça c’est de la météo. Mais si tu habites dans un endroit où il pleut souvent, ou si ta perception déraille et se disloque au point que tu te replies sur toi même, dans la suspicion et la peur de tes proches, ça c’est le climat. » (P. 83) « J’ai été déçu qu’il dise des gros mots à ta mère. J’ai été déçu de voir ses notes baisser sans qu’il semble s’en émouvoir. J’ai été déçu quand on l’a surpris à fumer des cigarettes et ensuite des joints. Je serais bien en peine de te citer une seule journée l’année dernière où ce garçon ne m’a pas déçu pour une raison ou pour une autre » (P. 94) « J’ai honte de mon propre fils » (P. 97) « La pitié je l’ai déjà vue dans le regard des autres, surtout chez les infirmières psychiatriques – soit les fraîchement diplômées qui ne sont pas encore endurcies soit les maternelles aux yeux humides qui, en me regardant voient ce qui aurait pu arriver à leur propre môme. Un jour une infirmière stagiaire m’a avoué que mon dossier avait failli la faire pleurer. Je lui ai dit d’aller se faire foutre. Comme ça c’était réglé. »(P. 102) « Dans la vie, il y a des jalons. des événements qui font que certains jours sont plus marquants que d’autres. Les premiers, on les plante avant même d’être assez grand pour en avoir conscience, comme le jour où on prononce son premier vrai mot ou celui où on fait ses premiers pas. La première nuit où on a pu se passer de couches. le jour où on comprend que les autres ont des sentiments, celui où les petites roues disparaissent du vélo » (P.117) « Lire c’est un peu comme halluciner » (P. 125) « On dort mieux quand on sait qu’on a un début de solution à nos problèmes » (P.128) Après son déménagement et le départ de sa mère « Je luis envoyé un baiser qui voulait dire : « Au revoir, et putain, bon débarras »…..Ces moments là font partie des points qu’on relie entre-eux quand on veut reconstituer son passé ; tout le reste n’est là que pour remplir les vides » (P.145) « Quand Jacob est parti, j’ai pensé rentrer chez mes parents moi aussi. Mais je ne l’ai jamais fait. J’étais bien trop occupé à devenir fou » (P.171) « Pour être franc, la solitude me pesait pas mal à l’époque. Du coup, quand je n’étais pas à la maison de retraite, je m’immergeais dans mon Grand Projet. En fait je n’arrêtais jamais. cette maladie a une grande conscience professionnelle. » (P.172) « Ça, ça s’appelle un génogramme. C’est un arbre généalogique mais fait par des médecins. Ça les aide à repérer les branches qui donnent des fruits pourris » (P.178) « Je crois qu’il existe une date de péremption quand il s’agit de mettre sur le dos de ses parents le fait qu’on soit abîmé par la vie » (P.313)
Très intéressant; ça me donne envie, d’autant que quelqu’un qui m’est proche est atteint de cette maladie.
Si vous le lisez, ça me ferait plaisir d’avoir votre avis. Bonne journée et bonnes lectures