
Grande victoire napoléonienne …..combien de personnes peuvent se vanter d’avoir ce patronyme pas banal ?
Des personnes au destin hors du commun sans doute…on comprendrait mal que de tels personnes restent dans l’ombre…
Jacques Austerlitz, personnage principal de ce livre de W.G Sebald est l’un de ceux-là, un érudit, un passionné, un philosophe, un homme à la recherche de son passé, de celui de sa famille…Quelle a été sa vie avant l’âge de 4 ans 1/2? ….S’est-il toujours appelé Austerlitz? A t-il toujours vécu au Pays de Galles, dans une famille de pasteur?.
Un homme qui page après page reconstruit sa mémoire, cherche à comprendre son passé et celui de ses parents, depuis le Pays de Galles, jusqu’à la Tchécoslovaquie, en passant par l’Allemagne, Paris, Londres….et d’autres encore…une mémoire qui se construit par la visite de lieux, de bibliothèques, de villes, de fortifications, par des rencontres avec d’autres passionnés, par des croisements entre l’Histoire et l’actualité du moment, entre ses connaissance et celles de ses interlocuteurs, par des lectures, par un travail d’enquête.
Le narrateur qui eu Jacques Austerlitz comme instituteur, s’entretient avec lui. Jacques est maintenant chargé de cours dans un institut d’histoire de l’art londonien….mais il a eu tant d’autres centres d’intérêts, tant d’autres passions, tant d’autres vies, tant d’autres métiers
Un livre passionnant, qui « se mérite », pas facile à lire et à suivre…déstabilisant parfois..les narrateurs se croisent, leurs propos se suivent,…les connaissances de Jacques, se mêlent à celles du narrateur, ou de personnes rencontrées.
Aucune des personnes que rencontrera Jacques n’est banale. Toutes ont une foule de connaissances, sont passionnées, par un lieu, une ville, une fortification …elles ont une histoire, une vie à raconter…elles sont presque obsédées chacune dans leur coin par des insectes ou des papillons, des perroquets, l’histoire de villes, des gare, de cimetières, d’immeubles tranquilles aujourd’hui mais qui ont été des lieux de torture, de déportation…
Austerlitz nous force à réfléchir quant à la vanité de l’homme et de certaines constructions humaines, des forteresses obsolètes et dépassées par le progrès quand elles sont achevées, construites pour défendre et utilisées finalement pour tuer des innocents, des bibliothèques modernes construites pour promouvoir la culture…et laisser la trace dans l’histoire de leur initiateur, et finalement inadaptées pour la promotion de la culture…un livre fait pour rappeler un passé qu’on cherche à laisser de côté, l’importance des traces du passé à ne pas oublier…message d’un auteur allemand anti-nazi
Chaque mot est pesé, chaque description de lieu, chaque référence historique ou culturelle est un plaisir…Que de connaissances accumulées, mises à la disposition du lecteur …peut-être un peu trop complexes, parfois semblant inutilement accumulées.
Une construction du livre pas banale et qui peut être rebutante, certains refermeront ce livre après 20 pages…l’auteur l’a construit sans aucun chapitre, sans paragraphe, sans guillemet..mais on ne lit pas la poésie, la mélancolie, les références culturelles et historiques, les réflexions philosophiques ou sociologiques, la construction de la mémoire « en diagonale »…. Non ! on s’accroche!.
Extraits pour découvrir
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« Personne ne saurait expliquer exactement ce qui se passe en nous lorsque brusquement s’ouvre la porte derrière laquelle sont enfouies les terreurs de la petite enfance » (P. 34)
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« Austerlitz a été, en dehors de mon instituteur, le seul enseignant que j’ai été capable d’écouter. J’ai encore aujourd’hui en mémoire la facilite avec laquelle je suivais ce qu’il nommait ses pistes de réflexion, quand il dissertait sur le sujet qui était le sien depuis qu’il était étudiant, l’architecture de l’ère capitaliste, et en particulier l’impératif d’ordonnance et la tendance au monumental à l’œuvre dans les cours de justice et les établissements pénitentiaires, les bourses et les gares mais aussi les cités ouvrières construites sur le plan orthogonal » (P. 43)
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« La tête plaquée contre le mur, et respirant à fond quand la nausée montait en moi, j’observais depuis un certain temps déjà les travailleurs des mines d’or de la City qui se retrouvaient ici, en cette première heure de la soirée, debout à leur place habituelle, tous semblables dans leurs costumes bleu nuit, avec leurs plastrons à rayures et leurs cravates criardes et tandis que j’essayais de comprendre les mystérieuses coutumes de cette espèce animale absente des bestiaires, leur promiscuité, leur comportement mi-mondain, mi-agressif, leur coups de glotte quand ils vidaient leurs verres, l’excitation montante du brouhaha, le départ précipité de l’un ou l’autre, j’avisais soudain, en bordure de cette horde déjà chancelante, un individu isolé dont je prenais en cet instant conscience qu’il ne pouvait être que celui perdu de vue depuis près de vingt ans » (P. 51)
- « Dès la première semaine, j’avais compris qu’en dépit des vexations qu’on y subissait cette école était pour moi la seule issue, et c’est pourquoi j’ai d’emblée tout fait pour m’accommoder de cette étrange pétaudière où la multitude de règles non écrites faisait souvent place à une anarchie frisant le carnavalesque » (P. 75)
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« Plus Hilary prononçait devant la classe le mot d’Austerlitz et plus je me l’appropriais, plus je croyais discerner nettement que ce nom que j’avais d’abord ressenti comme une marque d’infamie se transformait en un point lumineux flottant constamment devant moi, aussi prometteur que le soleil d’Austerlitz se levant au-dessus des brumes de décembre. » (P. 90)
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« Je me rappelle les nouveaux vêtements qui me rendirent très malheureux, la disparition inexplicable de mon petit sac à dos vert, et pour finir je m’imagine avoir encore perdu le lent effacement de ma langue natale, de mois en mois le dépérissement de sa clameur, dont je pense que je gardai au moins encore un temps la trace, comme on garde en tête les raclements et les coups d’une présence captive qui d’effroi s’interrompent et se taisent pour peu qu’on leur prête attention » (P. 166)
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« Et ne serait-il pas pensable que nous ayons aussi des rendez-vous dans le passé, dans ce qui a été et qui est déjà en grande partie effacé et que nous allions retrouver des lieux et des personnes qui, au-delà du temps d’une certaine manière, gardent un lien avec nous? » (P. 305-6)
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« J’en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille la taille et le degré de complexité des systèmes d’information et de contrôle qu’on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu’en conséquence la perfection exhaustive été absolue du concept peut tout à fait aller et même pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. » (P. 331)