« Le fils du capitaine » – Nedim Gürsel

Le fils du capitaineDeux découvertes qui valent la peine d’être connues, un auteur et la Turquie moderne…Rares sont les livres, les auteurs qui nous entraînent à la découverte de ce pays, qui pourtant est très souvent présent dans notre actualité
Le livre commence par la mort de la mère du narrateur. Et très vite on s’attache à ce gamin orphelin trop tôt, sa mère est morte d’une balle de revolver dans le cœur, accident ou suicide? Un père absent, toujours choyé par sa mère qui le suivait partout, un père qui se débarrasse du gamin en l’inscrivant comme pensionnaire pendant huit ans dans un lycée.

Huit ans de vie qui constituent la trame du livre, absence du père, la vie de potache et les soirées dans les dortoirs, la camaraderie et les surnoms, les discussions des gamins, l’éveil de la sexualité, les mères des copains, un gamin amoureux de la France et du français… Un père qui l’oublie complètement, qui confie à sa mère le soin de s’occuper de temps en temps du gamin, et à l’Etat le soin de lui accorder des bourses….Un père alcoolique notoire qui fut l’un de ces officiers auteurs du coup d’Etat  de 1960 qui envoya à la pendaison l’ancien président et deux de ses ministres.
Un homme que le gamin n’admirera jamais.  Huit ans de vie qui forgèrent le caractère rebelle du gamin et de l’homme
Des propos qui sont au fils des pages drôles, amers, sérieux et sages, émouvants..jamais lassants ni insignifiants. 
On apprendra au fil de la lecture que le texte est la retranscription d’un enregistrement au magnétophone fait par un journaliste qui, sur ses vieux jours, raconte sa vie. Il est donc normal que les pensées remontent à la surface, parfois sans suite logique, une idée en appelant une autre et ainsi de suite. La construction peut sembler parfois un peu décousue, elle peut dérouter quelques minutes, on ne sait plus trop à quelle période on se trouve, mais très vite une phrase nous permet de retrouver le fil et de situer la période : on passe du rappel de son enfance dans un lycée de Galatasaray, à des considérations sur le premier Ministre, ou des années 60 à la Turquie moderne, de l’actualité à des retours en arrière.
Des souvenirs qui reviennent à l’esprit
Un journaliste courageux qui, au soir de sa vie,  en nous livrant son regard d’homme qui a parcouru le monde, nous en apprendra plus sur les attentes de cette Turquie moderne, sur son caractère, sur ses espoirs pour intégrer l’Europe, une Europe qu’elle aime mais une Europe qui n’en veut pas, une Turquie lassée d’attendre, une Turquie qui peut basculer vers l’Islam…Mais aussi une Turquie gérée par un homme à la « moustache en amande », un premier ministre qu’il nommera « Moustache en Amande » dont il n’hésite pas à se moquer et que chacun reconnaît.
Il y a certainement une part autobiographique de Nadim Gürsel dans ce récit. En tout cas, l’homme qui raconte sa vie est un homme courageux et rebelle pour attaquer à plusieurs reprises le premier Ministre turc, l’Islam, et mettre l’Europe face à ses responsabilités, même si ces propos n’occupent qu’une part minime du livre sur cette Turquie « Je t’aime, moi non plus ».
En tout cas, derrière le roman plaisant, le massage est toujours présent.
J’ai aimé le roman et le message


Qui est Nadim Gürsel


Quelques extraits pour apprécier
  • Soit pour prouver qu’il n’avait qu’une parole, soit pour adoucir mon chagrin, mon père m’avait acheté un ballon le jour de la mort de ma mère. En shootant en direction du mur de notre logement, je ne pensais pas que je la ne verrais plus. Et si mon père m’ôtant le ballon des mains, ne m’avait pas forcé à le suivre, je ne serais pas allé à l’appartement. Je me vengeais sur ce ballon de cuir qui ricochait sur le mur jaune repeint de frais, roulait sur le sol comme un crâne, et après lequel je courais » (P. 13)
  • « La mort de ma mère ne changea pas grand-chose à notre existence. Je ne pensais pas beaucoup à elle. Mais, au fil des années, elle m’a manqué de plus en plus et quand j’ai atteint l’âge auquel elle est morte, mon chagrin est devenu insurmontable. Maintenant j’éprouve un sentiment bizarre. J’ai l’impression qu’elle est seulement aller passer la nuit chez une amie. [….] Elle va me donner tout l’amour qu’elle n’a pas pu prodiguer à mon père » (P. 26)
  • « ..on n’amenait pas les filles à la mosquée, même pour la prière du vendredi. Égrenant leur chapelet, elles priaient à la maison avec leurs grand-mères. Les hommes, eux, allaient à la mosquée et au café, mais aussi au front. » (P. 34)
  • « Dès qu’un homme politique commence à devenir autoritaire, il tombe dans l’absolutisme. Il a envie d’être partout, de se montrer à tous, de se mêler de tout. Et naturellement d’être au courant de tout. J’ai constaté que notre Premier ministre est en train d’infliger cela à notre pays, à notre «patrie paradisiaque» comme disait mon père. En ancien journaliste, je constate que la première du journal télévisé fait état de son dernier discours ; la deuxième informe l’opinion publique, c’est à dire nous tous de ce qu’il pense de tel ou tel sujet, et c’est lui, toujours lui qui fait l’objet de la troisième information. Cet homme-là sait tout, il décrète, par exemple, que telle statue est belle, que telle autre est laide et doit être détruite. Il donne son avis sur ce que nous devons manger et boire et va jusqu’à nous prescrire de ne pas manger de pain blanc, car le pain noir est meilleur pour la santé. Il va plus loin. Dépité de n’a pas avoir fait d’études, il se venge en humiliant les intellectuels. Aux tables où je fus admis jadis en tant que journaliste, il fait son propre éloge et rabaisse les diplomates , qui sont des gens beaucoup plus cultivés que lui, en leur donnant du «mon cher». Il estime avoir la compétence nécessaire pour critiquer les pièces de théâtre et la politique internationale. Et il nous inflige son avis sur l’avortement et la rupture du jeûne » (P. 112)
  • « Sur le tableau noir, quelqu’un avait écrit «Ibne de Gaule», de Gaule pédé. Je me demande encore quel potache mal embouché avait eu le culot d’écrire ça. L’autre fort embarrassé finit par dire que cela signifiait «Vive de Gaule» et crut s’en être bien tiré. Mais au terme d’une allocation entrecoupée d’applaudissements, de Gaule qui avait l’habitude de clore les discours qu’il faisait à l’étranger par une phrase ou deux en langue locale, termina par ses mots «Ibne Galatasaray», Galatasaray pédé. Toute l’assemblée en demeura pantoise. Il ne me reste plus qu’à dire «Vive Galatasaray » et a en revenir à mon premier jour d’école » (P. 123)
  • « La seule femme dont je rêvais était ma mère. » (P. 153)
  • « Mon père est marié avec la boisson, il n’a pas envie d’une autre femme » (P. 169)
  • « Ce n’est pas en 1453, c’est aujourd’hui qu’Istambul est tombé » (P. 199)
  • « Le procureur assumait le ministère public de la Haute Cour de justice et mon père était l’un des trente-huit membres du Comité d’union nationale qui, de la résidence du première Ministre dirigeait le pays » (P. 243) 
  • « Pour moi, il y a deux catégories d’individus : les morts et ceux qui vont mourir. La plupart de ceux qui ont partagé ma vie appartiennent à la première catégorie, moi je suis l’un de ceux qui vont mourir. Comme  a dit le poète, «qui sait, demain peut-être, ou même avant. » (P. 262)

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