« Black Boy » – Richard Wright


Black BoyL’enfance et l’adolescence – dans les années 1910-20 – d’un « moricaud », d’un gamin « nègre » dans le sud des États Unis, le Mississipi….Deux mots terribles qui traduisent tout le racisme, toute la violence de la population de cet État des États-Unis à l’égard des hommes de couleur, deux mots que lecteur retrouvera à chaque page, à tous les âges de ce gamin devenu auteur.
Un racisme faisant partie de la vie.

Un gamin élevé avec son frère par sa mère, le père avait déserté le foyer. Une mère qui les ballotta, elle ne pouvait pas faire autrement, de logement sordide en logement sordide, qui les plaça chacun de leur coté chez des tantes, chez la grand-mère. Une mère malade paralysée que le gamin cherchera à soulager

Alors d’autres mots, d’autres violences aussi aussi terribles collent à l’enfance de ce gamin confronté à la faim qui l’obligea très tôt à exercer toutes sortes de petits boulots, à coté de l’école. A six ans il était alcoolique : en buvant dans les bars et en chantant, il faisait rire les consommateurs qui lui payaient à boire. Un gamin qui trouvait son plaisir à l’école, malgré sa violence, une école qu’il fréquenta très irrégulièrement, il ne fit pas pendant des années une année scolaire complète,. Malgré tout il appris à lire presque seul. Un gamin confronté à la religion, que ses oncles et tantes tentèrent de lui faire entrer de force dans le cœur, en le frappant, en le punissant, en le privant. Un nègre confronté comme tous les autres à la mort, la « mort blanche » qui pouvait surgir quand on regardait de travers un Blanc, aux coups si on oubliait de lui dire « Monsieur ». Mais aussi un racisme des noirs à l’égard des Juifs.
Une violence « normale » au quotidien. 
Des privations, des coups, des menaces, un danger qui construisirent la personnalité de l’auteur, un auteur qui chercha à comprendre cette ségrégation, qui cherche à nous la faire partager, à nous la faire vivre. Un déterminisme contre lequel il se battra, qu’il tentera de surmonter en quittant le Sud, accompagné de sa mère et de son frère pour chercher sa vie au Nord, là ou les nègres devenaient des Noirs.
L’amour sauva le gamin, et anima toute sa vie, l’amour pour son frère et pour sa mère, l’amour pour les livres, pour la liberté, pour les Droits de l’Homme, qu’il découvrit par hasard, dans les bibliothèques à la lecture du nom d’un auteur et de ses œuvres, un auteur presque tombé dans l’oubli de nos jours, Henry-Louis Mencken.
Roman culte qui permet de mieux connaitre une époque, un pays, roman sombre, mais pas larmoyant, roman surtout sur la combativité, l’espoir, la construction d’une personnalité qui fit de Richard Wright un auteur américain. Une personnalité qui se forgea aussi grâce aux livres et à la littérature : « J’avais soif de livres, de nouvelles façons de voir et de concevoir. L’important n’était pas de croire ou de ne pas croire à mes lectures, mais de ressentir du neuf, d’être affecté par quelque chose qui transformât l’aspect du monde. [….] « Je savais maintenant ce que représentait le fait d’être nègre. J’étais capable de supporter la faim. J’avais appris à vivre dans la haine. Mais de sentir que certains sentiments m’étaient refusés, que l’essence même de la vie était inaccessible, cela me faisait mal, me blessant par dessus tout. Une faim nouvelle était née en moi.« 

Un classique indispensable


Connaître Richard Wright


Une petite partie des extraits que j’ai enregistrés
  • « C’est dans ce taudis que je pris pour la première fois conscience de la personnalité de mon père. Il était concierge de nuit chez un droguiste de Beale Street, et ne pris d’importance et ne devient pour moi un objet de contrainte que le jour où j’appris qu’il m’était défendu de faire du bruit pendant qu’il dormait dans la journée. C’était lui qui faisait la loi dans ma famille et jamais je ne riais en sa présence. Je me glissais timidement à la porte de la cuisine et je contemplais la masse imposante de son corps à  demi affalé sur la table, à l’heure des repas. Pénétré de crainte respectueuse je le regardais lamper sa bière, à même le seau, s’empiffrer voracement, soupirer, roter, fermer les yeux et finalement s’assoupir en dodelinant de la tête sur sa panse rebondie. Il était obèse, et son ventre ballonné débordait constamment de sa ceinture. Il resta toujours pour moi un étranger, plus ou moins hostile et distant. » (P. 22)
  • « Les jours passaient, et peu à peu l’image de mon père s’associa aux affres de la faim, si bien que chaque fois que j’avais faim, je pensais à lui avec une profonde amertume biologique » (P. 30)
  • « J’ai toujours aimé me trouver dans la cuisine des blancs quand ma mère faisait la cuisine car je recevais à l’occasion des restes de pain ou de viande ; mais souvent je regrettais d’être venu, car mes narines étaient assaillies par l’odeur d’une nourriture qui ne m’appartenait pas et qu’il m’était défendu de manger » (P. 34)
  • « Les hommes peu enclins à renoncer à leur distraction favorite, s’arrangeaient quand même pour me payer à boire ou me faisaient boire à même leurs flasques, en pleine rue, tout en m’incitant à répéter des obscénités. A l’âge de six ans, avant même d’aller à l’école, j’étais un ivrogne accompli. » (P. 37)
  • « Nous nous trouvâmes enfin à la gare avec nos bagages attendant le train qui devait nous emmener en Arkensas, et pour la première fois je remarquai qu’il y avait deux files d’attente au guichet des billets, une file «blanche» et une file «noire». Au cours de ma visite chez grand-père, le sentiment de deux races était né et s’était concrétisé en moi avec une acuité qui ne devait mourir qu’avec moi. » (P. 69)
  • « – Qu’est-ce qu’il a en lui papa ?
    – Un peu de blanc, un peu de rouge et un peu de noir. 
    – Indien, blanc et nègre ? 
    – Oui
    – Alors qu’est-ce que je suis ? 
    – Quand tu seras grand, on dira de toi que tu es un homme de couleur »  (P. 72)
  • « Tous les noirs du quartier détestaient les Juifs, non parce qu’ils nous exploitaient, mais parce qu’on  nous avait appris à la maison  et à l’école du dimanche que les Juifs étaient les «assassins du Christ». Les Juifs devenaient une proie toute indiquée pour nos sarcasmes et nos railleries » (P. 88)
  • « Les nègres sentent quand ils sont en sueur. Mais les Blancs sentent tout le temps » (P. 114)
  • « A l’âge de douze ans, j’avais à l’égard de l’existence une attitude définitivement fixée, attitude qui devait me faire rechercher ces régions de la vie susceptible se la confirmer et de l’affermir en moi, qui devait me rendre sceptique à l’égard de toute chose tout en m’intéressant passionnément à tout, tolérante et cependant critique » (P. 139)
  • « C’était inutile. Je ne pouvais pas prier. Mais je me gardais bien de révéler mon échec. J’étais convaincu que si j’arrivais à prier, mes paroles rebondiraient sans bruit contre le plafond et retomberaient sur moi comme une pluie de plumes » (P. 164)
  • « La faim toujours présente, toujours une part vitale de mon être conscient. Passer à côté de mes proches dans le corridor de la maison surpeuplée et ne pas leur parler. Manger en silence à une table où on récite des prières. Ma mère se remet lentement mais elle est maintenant infirme à vie. Pourrai-je retourner à l’école en septembre ? Solitude. Lectures.  La chasse au travail. De vagues espoirs d’aller dans le nord. Mais qu’adviendrait-il de ma mère si je la laissais dans cette bizarre maison ? Et que deviendrais-je dans une ville étrangère ? Doutes. Craintes. Mes amis s’achètent des costumes a pantalons longs qui coûtent de dix-sept à vingt dollars, une somme qui me paraît aussi énorme que les Alpes. Telle était ma situation en 1924. » (P. 220)
  • « Je savais que je vivais dans un pays où les aspirations des Noirs étaient circonscrites, délimitées. Cependant, j’avais le sentiment que je devais m’en aller quelque part et faire quelque chose qui rachèterait ma vie. » (P. 230)
  • « Bob avait été pris par la mort blanche, ce fléau dont la menace était suspendue au dessus de la tête de chaque mâle vivant dans le Sud. J’avais entendu chuchoter des histoire de jeunes Noirs qui avaient eu des relations sexuelles avec des prostituées blanches dans les hôtels en ville, mais je n’y avais jamais fait attention; et maintenant ces histoires me revenaient sous la forme de la mort d’un homme que je connaissais » (P. 234)
  • « Si un Blanc avait cherché à nous empêcher d’obtenir une place ou de jouir de nos droits civiques, nous nous serions inclinés ne protester. Mais s’il avait tenté de nous frustrer de dix cents le sang aurait pu couler. De ce fait, chaque instant de notre vie quotidienne était si intimement lié à un objectif immédiat et trivial, que de capituler quand on nous provoquait équivalait à renoncer purement et simplement à l’existence. »(P. 310)
  • Je me levais, m’efforçant de discerner quelle réalité se cachait derrière les mots. Oui,,cet homme luttait, combattait avec des mots. Il employait des mots pour armes, il s’en servait comme d’une matraque. Les mots pouvaient-ils donc devenir des armes ? Oui, bien-sûr, puisque tel était le cas. Mais  alors, peut-être pourrais je moi aussi les utiliser comme des armes ? Non, cette seule idée m’effrayait. Non cette seule idée m’effrayait. Je poursuivis ma lecture et ce qui me stupéfia ce fut, non pas ce qu’il disait, mais le fait que quelqu’un eût assez de courage pour le dire. »(P. 335)

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