« Un autre :… » est un livre de réflexions et d’interrogations de l’auteur, presque un livre testament de l’homme, qui, s’appuyant sur ses expériences de vie – fascisme et communisme, chute du Mur de Berlin- jette un regard lucide sur notre monde passé, puis sur celui de 1997, date de parution du texte et sur le monde qui se préparait. Une analyse qui se confirme vingt-ans après : violence, racisme, antisémitisme, sont toujours, et de plus en plus d’actualité.
Être Juif est toujours un sujet d’interrogation et de définition : On est français, hongrois et…..Juif et souvent Juif d’abord dans l’esprit de beaucoup, y compris dans l’esprit des Juifs eux-même, qui développent de plus en plus, en leur sein une « conscience juive ». Cette judéité est un « marqueur » trop souvent mis en avant de part et d’autre.
Un livre qui traduit toute la détresse de l’homme marqué à jamais par son passé de déporté
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Des extraits pour apprécier :
« On ne peut pas vivre sa liberté là où on a vécu sa captivité. » (P. 11)
« Il ne s’agit pas d’oublier une époque comme on oublie un cauchemar : car ce cauchemar c’était eux ; s’ils veulent vivre, ils devraient s’oublier eux-mêmes. » (P. 13)
« Je n’ai jamais participé à un mouvement d’opposition, mon dégoût des mouvements le disputait à mon dégoût du système. Je vivais comme un chien, enchaîné à mes fausses idées solitaires tout au plus hurlant à la lune de temps en temps. Je croyais que personne ne lisait ce que j’écrivais, que personne ne connaissait mon existence. » (P. 30)
« Comme le dit un de mes personnages : « Pourquoi le liquider ? Il finira bien par crever tout seul » – oui, voilà ce qu’ils devaient penser de moi. » (P. 30)
« Être marqué est ma maladie, mais c’est aussi l’aiguillon de ma vitalité, son dopant, c’est là que je puise mon inspiration quand en hurlant comme si j’avais une attaque, je passe soudain de mon existence à l’expression. Être marqué est ma misère et mon capital et à présent il est à craindre que je ne puisse guère me passer de ma marque. » (P. 31)
« Je vois, je vis l’effroyable dégradation de ce pays, son naufrage suicidaire dans la paranoïa. Chaque jour, les champions nationaux de la haine et mes propres souvenirs m’en éloignent. Comme grandit mon indifférence envers lui. (P. 34)
« A Feldafing, je n’écris pas. Je ne travaille pas, je ne sais pas si je travaillerai encore un jour, je ne sais plus comment il faut travailler, je ne connais plus le Kaddish, ce roman, dont je lis partout des extraits en allemand, je ne sais plus si c’est moi qui l’ai écrit, et si oui, comment j’ai fait – je ne sais plus écrire. » (P. 42)
« Je ne veux plus convaincre personne de rien. Je veux seulement écrire tant que je pourrai le faire, parce que j’aime cela, j’aime la langue, j’aime quand une comparaison surgit dans mon esprit, etc. Tout le monde me pose des questions sur Auschwitz : alors que je devrais leur parler des plaisirs infâmes de l’écriture – comparé à cela Auschwitz est une transcendance étrangère et inabordable » (P. 64)
« Si Auschwitz n’a servi à rien, Dieu a fait faillite ; et si nous faisons faillir Dieu nous ne comprendrons jamais Auschwitz. » (P. 64)
« Vous n’attendez quand même pas de moi que je conceptualise mon appartenance nationale, religieuse et raciale? Vous ne voulez quand même pas que j’ai une identité ? Je vais donc vous l’avouer, je n’ai qu’une seule identité, l’écriture » (P. 67)
Si ton existence n’est pas incroyable, alors elle ne vaut pas la peine qu’on en parle. » (P. 109)
« Dieu a créé le monde, l’homme a créé Auschwitz » (P. 118)
« À la question idiote : »voyez-vous une différence entre le fascisme et le communisme ? », on pourrait donner cette brève réponse : le communisme est une utopie, le fascisme est une pratique – le parti et le pouvoir sont ce qui les unit et font du communisme une pratique fasciste » (P. 125)