
Quel bonheur pour elle d’abandonner son tchador noir, uniforme taillé par le gouvernement, de monter à vélo, de s’assoir à une terrasse de café et d’y commander un verre de vin…toutes chose interdites là-bas!
Pour être admis en France, pour devenir française, une fois les papiers obtenus, rapidement en ce qui la concerne, il lui faudra gagner de l’argent, trouver du travail et maîtriser notre langue.
« Chef des frites » à Mac Do et petits boulots pour subsister et surtout découverte du français, langue oh combien difficile qu’elle aime, malgré tout immédiatement. Dès qu’une difficulté est surmontée, une autre se présente. Comment assimiler le genre des mots qu’elle n’arrive pas toujours à comprendre : « Elle devint obsédée du sexe des mots, comme les fanatiques religieux l’étaient du sexe des femmes. ». Ce difficile apprentissage du français, décrit par cette jeune femme, nous fait percevoir la complexité de notre langue et la difficulté qu’a, de ce fait, tout étranger pour de s’intégrer, afin que personne ne lui demande : « Vous venez d’où ? ».
Une complexité dont nous ne nous rendons pas compte.
Secrètement amoureuse de Victor Hugo, elle va tout tenter, achats de dictionnaire, inscription à des cours, lectures des auteurs classiques…Une volonté à toute épreuve pour parler, comprendre notre langue, s’intégrer à notre pays, à notre culture, se défaire du passé qui lui colle à la peau, qu’on lui rappelle, difficile apprentissage, espoirs et désolation, regards des autres….
Parce qu’elle s’appelle Roxane, elle va écrire à Montesquieu, répondre à cette Roxane des « Lettres persanes » et à la question de l’auteur « Comment peut-on être persan ? ».
Dix-huit lettres , ayant chacune une adresse de rue différente, toutes des rues nommées à la mémoire d’auteurs français. Dix-huit lettres dans lesquelles tour à tour elle comparera entre ses deux pays de cœur, l’Iran et la France, les conditions de vie, la condition des femmes, la littérature, dans lesquelles elle évoquera pèle mêle l’arrivée des mollahs, la place des enfants dans le monde occidental, la liberté en Iran, la religion, le sport, la vie en France, la sécurité, la science, la solitude…
Dix-huit lettres qui lui reviendront : « N’habite pas à l’adresse indiquée »
On ne peut qu’admirer la persévérance de cette jeune femme, ses combats pour apprendre notre langue et s’intégrer et au travers du regard qu’elle porte sur sa nouvelle vie de réfugiée, s’interroger à notre tour sur la vie française, sur notre culture, notre perception des étrangers, l’accueil que nous leur réservons, notre police….notre regard.
Une question d’actualité.
Ce livre, qui vraisemblablement est en partie une autobiographie de l’auteur, est un petit bijou d’humour, de sensibilité et d’enthousiasme. Sourire, gravité, drame et grande tristesse alternent, pages après page..Provoquant souvent, comme le titre
J’ai déjà dans ma liste de livres à lire, d’autres ouvrages de cette auteure.
L’auteure Chahdortt Djavann
Quelques extraits
« Avant 1925, l’instauration de régime de Reza Chah Pahlavi et la modernisation du pays, personne ne déclarait la naissance de ses enfants, le nom de famille n’existait pas. Les prénoms étaient suivis de la filiation, de la profession, ou d’un titre. » (P. 8)
« Elle savait que Paris existait dans les livres, comme ces belles histoires qui n’existaient que dans les livres, comme les êtres mythiques et légendaires qui existent depuis des siècles et des siècles mais elle savait aussi que le Paris réel, c’était un rêve qui ne tenait pas debout, pas longtemps. » (P. 12)
« Comment peut-on être en démocratie. » (P. 16)
« Au Monoprix [….] elle éprouva pour la premier fois de sa vie, ce sentiment intime et irréfutable : elle était du tiers-monde, elle venait du tiers-monde. Depuis le temps qu’on en parlait, de ce tiers-monde. […..] Le terme tiers-monde s’applique à ces pays où, dans le meilleur des cas, deux épiceries et parfois une seule, chez qui manquent souvent les produits les plus élémentaires, subviennent aux besoins de la population de tout un quartier. Et une personne du tiers-monde est une personne qui, sous l’effet d’un vertige inattendu, perd la consistance même de son être la première fois qu’elle franchit la porte d’un supermarché. » (P. 24)
« Elle n’achetait que le strict nécessaire. Elle n’avait pas l’âme d’un consommateur, ni l’argent qui va avec. » (P. 26)
« Elle ressentait dans son cœur la haine des dogmes à qui l’enfant des années d’adolescence et de jeunesse lui avaient dérobé le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit au plaisir. » (P. 33)
« Le français était du chinois pour elle. » (P. 54)
« Outre les problèmes de tout genre, il y avait le problème du genre pour Roxane. Que les objets et les mots eussent un sexe, elle ne l’aurait jamais cru. Le persan est une langue sans sexe, androgyne si l’on veut [….] pas d’histoire avec la masculinité ou la féminité dans cette langue : il y en avait déjà assez avec les êtres humains, et ça suffisait largement. » (P. 65)
« Elle savait qu’elle ne serait jamais française par le sang ou par la terre ; elle voulait l’être par la langue. C’est dans la langue que tout s’enracine. Si les Français ne parlaient pas français, ils ne seraient pas des français. Sa patrie à elle serait la langue. Cette patrie qui l’excluait, la bannissait. Cette patrie qui dénonçait sans pitié sa condition d’exilés. A peine prononçait-elle un traître mot qu’on lui demandait : « D’où vient votre accent ? ». Ce qui voulait dire que cette langue n’était pas la sienne. Qu’elle venait d’une autre langue, d’un autre pays. On l’a réexpédiait au pays des mollahs. » (P. 71)
« On ne soit y pas indemne de plus de vingt ans de vie en Iran. Plus tard, elle compris qu’elle était loin d’être la seule à avoir eu ce sentiment là. » (P. 90)
« Elle s’en voulait de condamner le persan au silence, de renier le passé, de ne pas être plus forte, de ne pas mieux parler le français, de faire tant de fautes…Elle se sentait coupable de se sentir toujours coupable. » (P. 115)
« Je travaillerai, je travaillerai, je découvrirai les méandres de cette langue, je saurai m’y prendre un jour avec ses caprices. Un jour elle se donnera à moi, un jour…. » (P. 117)
« Je n’avais pas besoin de la France pour comprendre l’horreur d’un régime où j’ai grandi et qu’elle a naguère aidé à faire naître en abritant son principal instigateur. » (P. 150)
« Les femmes ne naissent toujours pas libres dans les pays musulmans. Elles restent soumises à la nécessité de leur condition, établie par les dogmes. Les fillettes sont souvent voilées des l’âge de six ans car aux yeux des religieux, il n’est jamais trop tôt pour priver les êtres de la liberté. Incapables de se dérober à la garde qui les entoure, les femmes n’existent qu’à l’image de ce qui est prescrit et ne peuvent choisir leur vie. Dès leur plus jeune âge, elles sont contraintes de feindre la bigoterie ; et, à force de la feindre, elle leur vient réellement. » (P. 157)
« Entre un système économique mondial sans aucune moralité et la montée du fanatisme religieux, on est fort embarrassé. En Iran, grâce à Allah, pour ne pas dire grâce à Dieu, on a les deux : les dogmes barbares et le marché économique barbare. Les pauvres ne sont nulle part aussi méprisés et oubliés que dans les pays musulmans. Dans le monde d’aujourd’hui, mon cher Montesquieu seul l’argent fait symbole. Seul l’argent existe et seul l’argent fait exister, et les gens n’existent que pour gagner de l’argent. Money makes World….. » (P. 229)
« Les tartufes qui font de misère vertu pensent surtout à la vertu des autres et savent quant à eux se protéger de la misère. » (P. 246)