« Oran, langue morte » – Assia Djebar

oran-langue-morteCinq nouvelles, un conte, un récit : sept textes sur la condition des femmes en Algérie et dans le monde musulman, femmes menacées par les islamistes, femme française  aimée par un algérien, heureuse avec lui, enterrée comme une reine dans un cimetière musulman, femme de journaliste assassiné, fillettes enlevées …
Destins divers, heureux ou assassinés, depuis les années 40 jusqu’à nos jours en passant par les combats de la guerre d’indépendance. Des pages qui nous font voyager entre l’Algérie -Oran, Alger -, l’Europe – Paris, la Hollande, la Normandie, la Sardaigne, Verdun, l’Alsace, Monte Cassino, l’Allemagne  et le Moyen Orient Bagdad, Alep, le Kurdistan….
Un commun dénominateur : La femme, sexe faible et opprimé, sexe fort aussi. 
Une violence au quotidien.

Une écriture fouillée, précise, percutante, difficile parfois


L’auteure Assia Djebar


Quelques extraits
  • « Ma tante, enfin ma mère adoptive, quand elle me tendit ces deux plaques -66 et 67 maculées de tâches brunâtres -, venait de dérouler cette terrible nuit. Celle où, fillette de dix ans, je n’avais pas voulu les accompagner. Où j’étais restée accroupie sur mon matelas, jusqu’à l’aube. Elle m’a donné les plaques en silence. Une offrande ? Une restitution. Du doigt, j’ai touché ce sang séché sur les deux numéros qu’on leur a choisi à la morgue. J’ai emporté ces plaques, quand j’ai quitté la ville, à dix-huit ans. Je les garde sur moi, ces jours-ci, lors de mon retour. » (P. 27)
  • « Pourquoi, alors que je réussissais à l’école, mon père a juré un jour, par Dieu et son Prophète : à cause de ce serment, à quatorze ans, j’ai dû cesser d’étudier !… On me maria, six mois après ! » (P. 60) 
  • « Un jour, ils me reconnaîtront, au square ou dans un supermarché, ils m’abattront le lendemain, devant le hall de l’immeuble, quand je sortirai (car je ne laisse passer aucun jour sortir pour le soleil, pour le printemps, le désir de parler en moi, avec mon air d’anonyme vieillie mais dehors !) » (P. 78)
  • « Contre, tout le monde sait bien que je suis contre : contre la pouvoir, contre les fanatiques, contre le silence et l’immobilisme ! Moi, j’aurais voulu n’écrire que sur l’école sur ce que doit être notre école. […] Car il a mené vie quasiment clandestine une année entière, après le flot des menaces : lettres ou avertissements téléphoniques s’étaient succédé pour lui signifier qu’il était « un homme mort ». » (P. 141)
  • « Depuis la machine s’est emballée : jour après jour, la violence, les meurtres, la répression, cycle fatal. » (P. 144)
  • « Le verset 95 de la sourate IV, celle des femmes décrète : » Quiconque tuera volontairement un croyant aura la géhenne pour châtiment ». » (P. 156)
  •  « Histoire banale, sans doute à répétition entre deux pays. Un couple s’aime, se sépare. L’un d’entre eux, l’homme souvent, quelquefois aussi la femme, emporte de force l’enfant, ramène celui-ci d’autorité dans son pays. Impuissance de l’autre, et le combat commence contre le pire des moulins à vent : le temps qui fait grandir si vite, trop vite, l’enfant loin des yeux de l’autre parent dépossédé. » (P. 220)
  • « Mais tu nous vois divisés, chacun avec ses deux prénoms, ses deux pays (lequel renier, lequel adopter), ses deux religions absentes ou en creux, ses deux âges aussi (toujours enfants devant toi la mère et pourtant presque vieillis), titubant chacun différemment dans l’amertume, l’incertitude ou l’espoir. Tu vas nous quitter ; tu hésites : « Est-ce que une fois pour toute je vais être débarrassée de cette couvée ? » Tu t’interroges, tu nages tantôt dans un courant, tantôt dans l’autre : ce qu’ils appellent «le coma». » (P. 271)
  • « Ces deux-là, ils s’aimaient, ils ne se sont pas séparés un seul jour depuis leur mariage ; ils se sont disputés parce qu’ils s’aimaient, mais pour les huit enfants, ils ont eu besoin de voir leurs rejetons chacun de son côté, chacun dans sa langue, et dans chacune des deux religions – car le prénom, c’est quoi, sinon une affaire de religion ? » (P. 292)
  • « Dans la tourmente actuelle, les femmes cherchent une langue, où déposer, cacher, faire nidifier leur puissance de rébellion et de vie dans ces alentours qui vacillent « (p. 377).

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