« Désorientale » – Négar Djavadi

desorientaleUne jeune femme, Kimiâ Sadr patiente dans la salle d’attente du service de procréation médicalement assistée de l’hôpital Cochin à Paris. Sur ses genoux une petite éprouvette contenant les paillettes du papa……Elle observe les autres femmes, venues en couple, et dans l’attente du médecin, remontent à son esprit tout ce passé, tous ces événements qui l’ont amené ici …une longue histoire qui nous fera voyager sur quatre générations, entre la Perse, qui n’était pas encore l’Iran, la Turquie, l’Allemagne et Paris.

Son arrière-grand-père Montazemolmolk, était un riche propriétaire terrien de Mandazaran. Ses 52 épouses se disputaient ses faveurs et se jalousaient. En 1896, il appris qu’il était papa pour la 30e fois..Père de jumelles, Nour, la plus belle sera gardée, sa sœur sera écartée..la maman de quinze ans quant à elle, est morte en couche.
« Je suis la petite-fille d’une femme née au harem » dira Kimiâ. Cette grand-mère n’eut que des fils dont Darius, farouchement célibataire, qui tomba sous le charme à 38 ans de Sarah, la maman de Kimiâ.
Des générations familiales qui connurent l’avènement au pouvoir de la famille du Shah d’Iran, son régime policier, sa sinistre police la Savak…la répression et la torture des opposants, puis l’arrivée de Komeini. Nour, cette grand mère, mourut le jour où naissait Kimiâ. 
Darius, papa de Kimiâ était un homme libre, un journaliste contraint de se cacher afin de fuir la répression de ces dictatures…
Les souvenirs de Kimiâ remontent à son esprit sans ordre chronologique…et parmi eux un souvenir particulièrement marquant pour Kimiâ : l’EVENEMENT …le 11 mars 1994. Il nous faudra patienter presque la fin du livre pour découvrir cet événement.
Désorientale nous permet de mieux connaître l’histoire de l’Iran, une histoire qui aurait été certainement beaucoup plus simple, et bien moins violente si l’Iran n’avait pas possédé d’immenses champs de pétrole. Un pétrole sur lequel les États-Unis mirent la main en soutenant grâce à la CIA le pouvoir de leur marionnette le Shah d’Iran.
Mais Désorientale n’est pas seulement un livre ayant pour toile de fond l’histoire de l’Iran.
C’est aussi le Roman de Kimia, jeune femme qui connu l’exil, le passage des frontières, la traversée de la Turquie…Une jeune femme qui maintenant mixe du Rock alternatif, mais avant d’en arriver là son chemin fut semé d’embuches et connut bien des expériences..
Un roman qui évoquera aussi le machisme oriental, la sexualité, la maternité et le désir d’enfant, le rejet familial, la solitude de l’exil, le déracinement, l’intégration des émigrés….!
Roman aux multiples facettes, dense, pas toujours facile à suivre puisque les époques se télescopent, Désorientale est malgré tout captivant et nous fait passer par toute la gamme des émotions, du sourire à l’indignation face à la violence.
Un premier roman peut-être inspiré par le vécu de Négar Djavadi…..?
Prometteur !

Qui est Négar Djavadi


Quelques lignes
  • « Mais la vérité de la mémoire est singulière. La mémoire sélectionne, élimine, exagère, minimise, glorifie, dénigre. Elle façonne sa propre version des événements, livre sa propre réalité. Hétérogène mais cohérente. Imparfaite, mais sincère. Quoi qu’il en soit, la mienne charrie tant d’histoires, de mensonges, de langues, d’illusions, de vies rythmées par des exils et des morts, des morts et des exils, que je ne sais trop comment en démêler les fils. » (P. 11)
  • « L’iranien n’aime ni la solitude ni le silence – tout autre bruit que la voix humaine, même le vacarme d’un embouteillage étant considéré comme silence.[…..] Raconter, conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c’est rester vivant. C’est déjouer la peur, prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l’autre. C’est aussi l’amadouer, le désarmer, l’empêcher de nuire. Tandis que le silence, eh bien, c’est fermer les yeux, se coucher dans sa tombe et fermer le couvercle . » (P. 53)
  • « Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre. Un être qui s’est traduit dans d’autres codes culturels. D’abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n’est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire place à ce que nous sommes devenus. » (P.54)
    « Darius, je pense, détestait son père pour lui-même. Parce qu’il incarnait l’aveuglement et la crainte, la ruine de ce bien précieux qu’est la pensée. Il le haïssait tout autant qu’il haïssait la religion dont Mirza-Ali etait le premier des représentants. Toute sa vie, d’abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui, des figures autoritaires / conservatrices dont l’action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant es peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l’ignorance absolue d’un autre monde possible. À plusieurs reprises je l’ai entendu dire que la religion comme la tyrannie asséchait la capacité d’analyse dans le but d’imposer un unique sentiment : la peur. «La peur est leur seule arme et la révolution consiste à la retourner contre eux» insistait-il avec conviction. » (P. 63)
  • « J’ai toujours préféré traverser seule les moments charnières de la vie (le mot « épreuve » me parait soudain très pompeux, même si c’est sans doute celui qui convient). Sentir de la sollicitude ou de la compassion me gêne au plus haut point. J’ai l’impression, peut-être à tort, d’être obligée de donner le change, ressentir des émotions que je ne ressens pas. C’est une des raisons qui rend le mariage au dessus de mes forces. » (P. 85)
  • « Pour s’intégrer à une culture, il faut se désintégrer d’abord, du moins partiellement de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. Tous ceux qui appellent les immigrés à faire des « efforts d’intégration » n’osent pas les regarder en face pour leur demander de commencer par faire ces nécessaires « efforts de désintégration ». Ils exigent d’eux d’arriver en haut de la montagne sans passer par l’ascension. » (P. 114)
  • « S’il existe un Dieu du Mensonge, de l’ Entourloupe et de l’Hypocrisie, il doit être à tous les coups persan et drôlement résistant, caché dans un coin de notre cerveau, prêt à bondir pour Rien ne ressemble plus à l’exil que la naissance. S’arracher par instinct de survie ou par nécessité, avec violence et espoir à sa demeure première, a sa coque protectrice, pour être propulsée dans un monde inconnu où il faut s’accommoder sans cesse des regards curieux. Aucun exil n’est coupé du chemin qui y mène, du canal utérin, sombre trait d’union entre le passé et l’avenir, qui une fois franchi se referme et condamne à l’errance. rappeler qui nous sommes et d’où nous venons au cas où nous aurions l’idée sournoise de l’oublier. » (P.115)
  • « Rien ne ressemble plus à l’exil que la naissance. S’arracher par instinct de survie ou par nécessité, avec violence et espoir à sa demeure première, a sa coque protectrice, pour être propulsée dans un monde inconnu où il faut s’accommoder sans cesse des regards curieux. Aucun exil n’est coupé du chemin qui y mène, du canal utérin, sombre trait d’union entre le passé et l’avenir, qui une fois franchi se referme et condamne à l’errance. » (P. 144)
  • « J’ai mis du temps à comprendre que dans n’importe quel pays du monde, le couple culpabilité-répulsion engendré par l’homosexualité était plus insupportable pour les parents que n’importe quelle maladie. » (P. 221)
    « Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n’est pas vrai de l’exil. La survie est une affaire personnelle. » (P. 273)
  • « La différence entre deux individus du même sexe peut être aussi grande et troublante qu’entre un homme et une femme. » (P. 299)
  • « Quand je vois dans les journaux télévisés les enfants de la guerre ou de la misère, réfugiés dans des camps ou jetés sur les routes, je me dis aussitôt qu’ils ont atteints de la même maladie d’amour que moi. » (P. 325)

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