« La petite femelle » – Philippe Jaenada

la petite femelleJ’étais encore bambin quand cette affaire éclata, je ne l’ai connue qu’avec le livre de Jean-Luc Seigle : « Je vous écris dans le noir ». J’avais besoin d’avoir un autre aperçu, beaucoup plus documenté sur cette affaire qui m’avait troublé. 
Et j’avoue que le livre de Philippe Jaenada est allé au delà de mes espérances. On en sort sonné, indigné, admiratif et interrogatif.

Sonné, indigné et admiratif, car Philippe Jaenada a lu tous les documents et procès verbaux du procès de Pauline Dubuisson, les comptes rendus d’interrogatoire, les articles de presse, tout écouté. Et a comparé ces documents avec les attendus de l’acte d’accusation et les questions du procès. Il démonte pièce par pièce le travail de la « machine à déformer », des interprétations des déclarations de Pauline. 6 ans après le fin de la guerre, cette jeune femme allait au procès avec un très lourd handicap : elle avait couché avec des officiers de l’armée allemande, et avait été tondue à la Libération. Un passé qui faisait d’elle, par principe une dépravée, un vicieuse. Elle n’avait que treize ans quand son père, chef d’entreprise, la proposa afin de faciliter ses affaires, comme interprète aux officiers allemands de Dunkerque…..un père qui lui enseignait également les vertus du suicide et lui fait lire Nietzsche à dix ans !
Aucun des instructeurs du procès ou des juges ne prit en compte « la tristesse de son enfance, la solitude et le manque d’affection, l’indifférence de sa mère et la froideur de son pére. »  Devant cet acharnement elle n’avait aucune chance d’être entendue et de s’en sortir. Le rapport d’expertise psychiatrique précisait : « Elle a dans l’ensemble un passé déplorable. [….] On constate son déséquilibre à la lecture de son curriculum-vitae ». Elle avait couché avec les nazis…un point c’est tout. Philippe Jaenada nous prouve qu’elle n’était pas aussi déséquilibrée qu’on le disait, ni aussi dépravée. Elle est dépeinte comme « coquine », « coléreuse ».. ce qu’elle n’était pas.
C’était aussi une époque machiste, au cours de laquelle les « humeurs des femmes » étaient prises en compte et il le démontre. 
Il réalise le travail que l’avocat de Pauline Dubuisson aurait du faire et n’a malheureusement pas fait.
Oui elle avait tué Félix son amant qui voulait la quitter. Désespérée, elle voulait se suicider devant lui. En tentant de l’en empêcher, Félix reçut trois balles mortelles et elle tenta de se suicider à ses côtés.  Elle expliqua cet accident, les policiers, les juges transformèrent ses propos et firent tout pour prouver la préméditation, préméditation qui entraînait le risque d’une condamnation à mort devant les tribunaux. Le jury heureusement, à une voix près, n’a pas retenu cette préméditation. Elle sera condamnée aux travaux forcés à perpétuité et en fit 7 années de prison
Non content de démonter le travail d’interprétation et de déduction foireuses des juges et policiers, l’auteur rapprocha cette affaire d’autres affaires criminelles comparables dans lesquelles les meurtrières n’eurent pas à affronter un tel acharnement.
Juges et policiers, et avocat de la partie civile avaient un allié de choix dans leur acharnement : la presse unanime présentait Pauline comme « l’infâme », « l’orgueilleuse sanguinaire » ou « la Messaline des hôpitaux »...Elle était étudiante en médecine et avait du batailler ferme pour s’inscrire en faculté et faire oublier son passé de collabo rasée à la Libération.
On ne peut dans ces conditions que s’interroger sur le travail de la justice, le rôle de la presse et frémir devant le risque que courait cette jeune femme, celui d’être guillotinée, « coupée en deux » au petit matin. La loi était claire : un condamné à mort ne pouvait faire appel de la décision qui devenait exécutoire. Il n’avait que la possibilité d’un pourvoi en cassation basé sur le droit, le condamné et son avocat devaient alors prouver que le droit n’avait pas été respecté. Ils ne pouvaient aucunement contester des faits évoqués et devaient seulement espérer que le Président de la République ne signerait pas au bas de la phrase : « Que la justice suive son cours » et ainsi le gracie.
Oui je suis né à une époque au cours de laquelle, un condamné à mort ne pouvait faire appel. Et je me souviens de matins peu glorieux pour la France, où les journaux titraient sur l’exécution d’un condamné…Abject.
J’avais 27 ans quand le dernier condamné à mort  Hamida Djandoubi a été exécuté. J’avais été, il y a bien longtemps, horrifié par le livre « Le Pull-over rouge » et l’affaire Christian Ranucci.
Un travail remarquable de la part de Philippe Jaenada, pas toujours facile à suivrla petite femellee, très documenté. Ses digressions feront sourire ou agaceront parfois. On peut toutefois regretter les pages dans lesquelles les co-détenues de Pauline Dubuisson, les affaires et conditions de leur incarcération. Elles n’apportent rien au dossier de Pauline Dubuisson et auraient pu alléger les 700 pages du livre
Fragilisée à jamais, Pauline Dubuisson se suicida en 1963. Le seul suicide qu’elle ne rata pas….Son passé sous l’Occupation l’a poursuivi et en partie tuée.


Qui est Philippe Jaenada


Quelques extraits
  • « Pauline découvre que l’on peut sortir de l’isolement et de l’enfermement, de l’immobilité, sans bouger, en se glissant dans les livres, et utilise pour cela tous ceux qu’elle trouve dans la bibliothèque de son père. […] Elle lira jusqu’à la fin de ses jours. » (P. 40)
  • « La plupart des filles frénétiquement précoces sont mal dans leur peau, il suffit de plisser les yeux pour le voir, il se dégage d’elles, toujours, une sorte de détresse, de panique face à la vie . » (P. 90)
  • « Le passé est comme un chat qui retrouve son maître à des centaines de kilomètres – en général le maître en question est heureux de le découvrir un matin sur son paillasson tout amaigri et pouilleux, le pauvre, laid dans le cas de Pauline, c’est plutôt sa hyène de compagnie qui revient gratter à sa porte. » (P. 212)
  • « Une femme qui dit non, c’est une femme qui dit oui. » (P. 264)
  • « Et elle a autant l’intention de buter Felix que Maurice Chevalier. En revanche, se buter elle-même, c’est une éventualité qui se précise dans son planning en cas de nouvel échec, qui serait celui de trop………. » (P. 330)
  • « Face à ces méthodes de déduction aussi véreuses qu’implacables, Pauline n’aura rien d’autre à opposer qu’une petite phrase qu’elle répétera lors de tous les interrogatoires suivants, dans toutes les confrontations et devant la salle comble du Palais de justice : «Je vous assure que j’ai passé la nuit avec lui .» » (P. 466)
  • « Ce qui cloche surtout dans le raisonnement de Jean Barrière, c’est que soit l’inspecteur-chef a la puissance logique d’un rideau de douche, soit il le fait exprès. » (P. 470)
  • « Pauline, pour l’instant, ne sait rien de tout cela, de ce que l’on invente de sa vie, de son caractère, de ses motivations, de ses actes. Elle n’en perçoit que certains échos lorsque le juge Grenier la convoque […..]. Elle doit se demander ce qui se passe. On ne la croit pas? » (P. 481-2)
  • « Ce n’est pas son geste qu’on exècre, c’est elle. Comment peut-elle espérer ne pas être piétinée en public, pour ne pas dire lapidée, mise en pièces sans possibilité de se défendre. » (P. 502)
  • « Elle se rassied et écoute Raymond Jadin lire sèchement l’acte d’accusation inspiré du rapport de Barrière, avec ses erreurs, ses affirmations sans preuves et ses interprétations douteuses. » (P. 528)
  • « Elle sait que ce n’est pas elle qu’on juge, mais une Pauline qu’on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux sans qu’elle puisse intervenir : pour tout le monde c’est la vraie Pauline. » (P. 549)
  • « Il suffit de quelques heures pour que la moitié de la ville soit au courant que la fille Dubuisson est revenue. Celle qui a sali toute une région, l’honneur de ses habitants et la réputation de ses femmes. Il n’y a après tout que quinze ans qu’elle a été tondue. Et sept que toute la France lui est tombée dessus. Il lui serait impossible de vivre ici, autrement que cloîtrée dans la demi pénombre de sa maison de jeunesse. » (P. 646)

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