« Je vous écris dans le noir » – Jean-Luc Seigle

je-vous-ecris-dans-le-noirPauline Dubuisson écrit une longue lettre qu’elle envisage de remettre à Jean qui la demande en mariage, une lettre pour lui expliquer qui elle a été. Jean a, en effet, aimé le film « La Vérité » de Clouzot, dans lequel Brigitte Bardot incarnait Pauline, jeune femme jugée pour un crime…Une longue lettre écrite à la première personne pour expliquer qu’elle n’est pas le monstre contre laquelle une condamnation à mort a été requise, à la suite du crime d’un ancien amant.
Elle a échappé à deux condamnations à mort demandées par les juges, la première étant à la Libération. Encore gamine elle avait eu le tort d’aimer un médecin allemand. Elle fut tondue, marquée de croix gammées et violée à de multiples reprises, par ces salauds se proclamant résistants, mais seulement de la dernière heure, ces bourreaux bien pensant de jeunes femmes. Elle trouva son salut en partie grâce aux livres et à la lecture.

Un texte qui nous replonge dans les années 40 à 60, ces années au cours desquelles la peine de mort était votée, et appliquée. Hommes et femmes pouvaient être condamnés. Une fois votée par les jurés ni  l’accusé,  ni le ministère public ne pouvaient faire appel de la décision prise. Seul le pourvoi en cassation basé sur le droit et non sur les faits était possible.
Elle fut libérée après neuf années de prison, la peine de mort requise par le procureur n’ayant pas été votée par les jurés.
Ayant quitté la France et vivant à Essaouira au Maroc, elle ne peut rester avec Jean son ami et accepter de l’épouser, sans lui dire, avec honnêteté qu’elle ne se prénomme pas Andrée mais Pauline, sans lui dire qui elle a été…
Jean-Luc Seigle s’est identifié à cette jeune femme, qu’on ne peut mépriser, une jeune femme ballottée par la vie, injuste avec elle, adorant son père, qui l’a manipulée, traumatisée à jamais lors de la Libération…Il écrit cette cette biographie poignante empreinte de sensibilité et de réalisme parfois effroyable.
Je ne souhaite pas raconter le livre, dévoiler les étapes de la vie de Pauline…vous la faire connaître.

J’avais été ému par  « En vieillissant les hommes pleurent ». « Je vous écris dans le noir », nous transporte également aux cotés de ces personnes simples, ayant réellement existé, qu’il sait si bien mettre en lumière. J’ai également été ému et enthousiasmé par ce texte.


Quelques mots sur Jean-Luc Seigle


Quelques extraits
  •  » Après presque dix ans d’emprisonnement j’ai fini par comprendre , en partie grâce à Dostoievski, et aussi à mes études de médecine, que le mot -cellule- désignait aussi l’origine de la vie. C’est donc en moi, durant ces interminables années d’incarcération, que j’ai appris à trouver l’espace et l’air indispensables à mon équilibre, même si cela s’apparentait parfois à une forme de vide intérieur, nécessaire. » (P. 32)
  • « Je n’avais pas encore compris que ce n’était pas l’amour, ni le désir, ni la sexualité qui faisait une femme mais sa prodigieuse capacité à affronter et à transformer la vie comme aucun homme ne serait capable de le faire. » (P. 48)
  • « A Felix j’avais du révéler que j’avais été tondue à la Libération ; À Jean je dois dire que j’ai été condamnée pour le meurtre de Felix. » (P. 50)
  • « L’histoire de ma vie est aussi une longue histoire des morts que je ne veux pas déranger, ni mettre en colère, même si j’espère, au plus profond de moi, réussir à leur arracher ces morceaux de moi, de moi et d’eux qu’ils ont emportés dans leur tombe, sans savoir lesquels. » (P. 57)
  • « Le calcul est simple. Neuf ans enfermée : j’avais passé plus de temps de ma vie de femme en prison qu’en liberté. J’y étais entrée à l’âge de vingt et un ans pour en sortir à l’âge de trente ans. En prison, le temps se casse pour nous faire entendre l’écho de chaque minute brisée, alors que dans la forêt le temps s’arrête et s’accorde sur le temps silencieux des bêtes, il va de la nuit à une autre nuit, abandonnant le jour aux hommes. En prison la nuit et le jour appartiennent aux gardiens. » (P. 82)
  • Je ne voulais pas être jugée en meurtrière, en écervelée, guidée par la faiblesse de ses sentiments, en démente, en jeune fille idiote qui court en jupe serrée, jetant ses pieds sur le côté alors que j’ai toujours couru comme les garçons, en longues foulées. » (P.89)
  • « Rien de tout ce que nous apprenons en prison ne nous sert, cela ouvre des perspectives d’une humanité affolante, sans la possibilité de la partager avec le reste du monde puisque le monde ordinaire nous a rejetés. » (P.105)
  • « Je me demande si l’on écrit autrement que dans le noir, dans cette opacité qui ne révèle ce qu’elle cache qu’au fur et à mesure de l’écriture, comme l’œil finit par s’habituer à l’obscurité et à redessiner les contours des obstacles qui pourraient nous faire trébucher. » (P.108)
  • « Dès le verdict prononcé j’eus l’impression qu’une main puissante me bâillonnait puis se retirait régulièrement pour ne pas me faire mourir trop vite. Comment tenir quarante ans maltraitée sans répit, privée de tout ? Une lutte qui mettait en jeu mon corps tout entier jusqu’à me briser les os. Seuls les livres me permettaient de respirer à nouveau normalement, et je me suis jetée dans la lecture pour m’échapper de cette obscurité qui me compressait le cœur jusqu’à l’âme. » (P.108)
  • « Personne durant mon procès, ne savait que j’avais déjà été condamnée à mort, ni victime de cette série de viols.Mes juges ne savaient qu’une seule chose : La femme coupable avait été tondue. Je le voyais dans leurs yeux. J’avais dix sept ans et l’on m’avait condamnée à toutes les morts possibles parce que j’avais été la maîtresse d’un médecin allemand pendant un an. Pas d’un général nazi. Un médecin qui avait aussi sauvé des vies françaises.Pour preuve toute cette nourriture qui m’avait permis de sauver ma mère. » (P.173)
  • « C’est en prison que l’on apprend, pour ne pas souffrir, à tout effacer chaque jour de notre mémoire, de la même façon que les prisons elles-mêmes sont effacées du monde qui les entoure. Personne ne voit les prisons dans les villes, je ne les voyais pas quand j’étais libre, je savais que ça existait. Le monde carcéral est le seul, parmi toutes les autres administrations, qui appartient davantage au fantasme qu’à la réalité. On n’imagine pas la difficulté que cela représente que de devoir vivre à l’intérieur d’un lieu qui n’existe pour personne. Quelle importance ces histoires d’effacement ! » (P.200-201)

Une réflexion sur “« Je vous écris dans le noir » – Jean-Luc Seigle

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