
C’est une femme au grand cœur, portant à manger des « plats de marraine » aux plus faibles qu’elle, aux malades..
Aussi la confrontation avec la narratrice est inévitable. Celle-ci écrit des romans, à son domicile…Confrontation entre l’intellectuelle et la manuelle..La lutte des classes au sein d’un appartement bourgeois.
« …à ses yeux les hommes qui ne se servent pas d’outils, quelle que doit l’importance de leur situation […] étaient autant de parasites, les femmes qui proclamaient des mots d’ordre étaient des bouches inutiles, moi y compris au début. » Confrontation aussi entre l’érudite et celle qui « ne lisait pas le journal, n’écoutait pas les informations, avait exclu de son univers le mot de politique, et n’avait ni la larme à l’œil ni le cœur battant s’il lui arrivait par hasard de prononcer le nom de la Hongrie »
Femme secrète aussi, Emerence n’ouvre jamais sa porte aux autres…personne n’a eu accès à son univers secret, sauf Viola, le chien de la famille qu’elle s’est accaparé. Tous sont restés sur le pas de sa porte
Petit à petit, les deux femmes vont se découvrir, s’apprivoiser et s’estimer….Emerence l’appellera même Magdouchka lors d’un moment de complicité, deux femmes qui vont « s’accepter mutuellement » au prix « d’innombrables concessions »…le seul moment où l’on connaîtra le nom de la narratrice, la femme pour laquelle la porte de l’appartement d’Emerence s’entrouvrira.
Superbe écriture pour décrire cette relation de vingt années, qui lentement évoluera vers l’affection et l’estime entre ces deux femmes…
On peut sans doute lire « La Porte », roman s’appuyant vraisemblablement sur des faits vécus par Magda Szabó, avec une deuxième lecture…en filigrane, n’y a t-il pas une critique à peine déguisée du régime hongrois, fermé au modernisme, fermé à l’Occident, fermé aux intellectuels…
Un mode dogmatique qui s’effondrera une fois la porte ouverte.
A chacun de se faire son idée
Quelques lignes
« Je n’ai pas écrit ce livre pour Dieu, il connaît mes entrailles, ni pour les ombres, elles sont témoins de tout, me surveillent à chaque instant, éveillée ou endormie, mais pour les hommes. J’ai vécu avec courage, j’espère mourir de même, avec courage et sans mentir, mais pour cela, il faut que je dise : c’est moi qui ai tué Emerence. Je voulais la sauver, non la détruire, mais cela n’y change rien. » (P. 9)
« Je l’écoutais, ahurie, C’était la première fois qu’on exigeait nos références-Je ne lave pas le linge sale de n’importe qui, dit Emerence. » (P. 14)
« La vieille femme s’opposait à l’Eglise avec une passion digne du XVIe siècle, aux prêtres mais aussi à Dieu et à tous les personnages de la bible, à l’exception de Saint Joseph qu’elle tenait en haute estime en raison de son métier, le père d’Emerence était charpentier. » (P. 35)
« Elle tenait tous les médecins pour des imbéciles et des ignorants, elle ne pouvait pas les supporter, elle ne croyait ni aux médicaments ni à l’efficacité des vaccins, selon elle les médecins ne les faisaient que pour gagner de l’argent et répandaient des légendes de renards et de chats enragés pour augmenter leurs revenus. » (P. 58) « Aujourd’hui, je sais ce que j’ignorais alors, l’affection ne peut s’exprimer de manière apprise , canalisée, articulée, et je n’ai pas le droit d’en déterminer la forme à la place de quelqu’un d’autre. » (P. 111)
« Notre attachement réciproque relavait des mêmes facteurs quasi indéfinissables que l’amour, bien que nous dussions faire d’innombrables concessions pour nous accepter mutuellement. » (P. 141)
« […] et le collaborateur de la télévision me harcelait de questions, à quoi je pensais, à qui je devais de vivre cette journée, je lui répondis que je le devais notamment à Emerence qui s’était chargée de tout ce qui aurait pu m’empêcher d’écrire, tant il est vrai que derrière toute réussite se cache une personne invisible sans qui il n’est pas d’oeuvre possible. » (P. 273)
A reblogué ceci sur Passionnément Ben LefranK – Auto édité.