« Faim » – Knut Hamsun

Faim Knut Hamsun.Andreas Tangen est un écrivain qui tente de vivre en proposant des articles, des feuilletons aux rédacteurs en chef des journaux de Kristiana -ancien nom d’Oslo…Un écrivain qui cherche le succès.
Un succès qui tarde à venir….presque tous ses articles « sur les choses les plus diverses, idées étranges, caprices fantaisies nées de mon cerveau agité » sont refusés. Ses ressources sont si faibles qu’il se prive de tout, et qu’il a faim… au fur et à mesure des pages il quittera sa chambre sans payer sa logeuse, et portera au clou, chez les prêteurs sur gages, ses couvertures, ses vêtements et pourquoi pas ses boutons.
Faim et froid agissent ensemble sur son comportement, sur ses pensées, sur son moral.
Il en devient fou, victime d’hallucinations, fou et incohérent dans ses relations avec les autres, avec les femmes. Incohérent dans ses pensées et dans ses actes, il mâche même des copeaux de bois pour tromper cette faim qui le tenaille.

Son amour propre et son orgueil le font retomber dans une misère plus profonde chaque fois que l’occasion de s’en sortir se présente. Rares sont les rentrées d’argent, et quand il en reçoit, il se hâte de le distribuer. Alors il écrit, écrit, certain que cette fois-ci il tient le bon article, le bon feuilleton…
Mendier pourquoi pas, mais sa fierté lui l’interdit. Pourtant ses « joues étaient comme deux écuelles, le fond à l’intérieur…
Il est écrivain…chez le boucher cependant il mendiera un os pour son chien…un chien qu’il n’a pas et un os qu’il rongera. 
Sans une seule couronne, et sans toit, il erre dans les rues froides et humides regardant les passants en quête de l’inspiration, les imaginant le soir chez eux, ce qui nous donne des passages remarquables de vérité et de réalisme. Après les nuits sous les portes cochères, il connaîtra celles au poste de police. Il revendique une honnêteté, qui sera pourtant mise à mal.   
Il pourrait faire autre chose, quitter Kristiana, tenter de se sortir de cette pauvreté, et de cette crasse que lui impose son manque de succès auprès des rédacteurs en chefs ou des éditeurs…. Et quand il s’y résoudra ce sera « pour cette fois »…
Knut Hamson, prix Nobel de littérature a publié ce roman pour la première fois en 1890, roman qui semble-t-il serait en partie autobiographique. Ce roman psychologique, qui par bien des aspects rappelle des écrits de Dostoïevski, ou de Balzac, est fascinant et troublant. Fascinant par l’écriture pas toujours facile de Knut Hamsun, troublant parce que le personnage semble se complaire dans cette faim qui le tenaille, dans cette folie qui altère ses comportements avec les autres. Sa fierté due à son rang d’écrivain est toujours présente dans ses actes.
Troublant aussi parce que Knut Hamsun, par l’intermédiaire de son personnage porte un regard acerbe sur une société aux côtés de notre homme, une société superficielle, une société qui ne le voit pas, préoccupée par des futilités, par des rencontres de passage, par le sexe…
Immanquablement on pense à ces SDF que chacun de nous croise dans nos villes, assis sous les portes cochères, sur les trottoirs, et qui ne mendient plus. Destins brisés..
Quel est l’auteur contemporain qui portera un regard, comparable et aussi fort que celui porté par Knut Hamsun, sur ces SDF ?

Un regard et un auteur dérangeants !

Très dérangeants


Quelques lignes sur Knut Hamsun


Quelques extraits
  • Cette chambre vide dont le plancher ondulait à chacun de mes pas était comme un cercueil disjoint et horrible.  Il n’y avait pas de serrure correcte à la porte non plus que  de poêle dans la pièce ; j’avais coutume de coucher en chaussettes pour qu’elles soient un petit peu plus sèches le matin. » (P. 2) 
  • « Tous ces refus, ces demi-promesses, ces « non » purs et simples, ces espoirs entretenus puis déçus, ces nouvelles tentatives qui, chaque fois, n’aboutissaient à rien avaient eu raison de mon courage. » (P. 2)
  • « En cet instant, tout mon être était au comble de la souffrance. J’avais même des douleurs dans les bras et pouvais à peine supporter de les tenir dans une position ordinaire. Mon dernier repas important me faisait ressentir un fort malaise, j’avais trop mangé, j’étais excité, j’allais et venais sans lever les yeux. Les gens qui déambulaient autour de moi passaient en glissant comme des lueurs. » (P. 15)
  • « Visions et rêves stupides! Je me dis que si j’avais à manger maintenant, ma tête serait dérangée de nouveau, j’aurais le cerveau enfiévré pareillement et j’aurais à lutter contre toutes sortes d’inventions démentes » (P. 35)
  • « Lorsque je fus arrivé dehors, je m’arrêtai et dis a haute voix, en pleine rue,  tout en serrant les poings : je vais te dire quelque chose, cher Seigneur Dieu : tu es un propre-à-rien. Et je hochais la tête, furieux, les dents serrées, vers les nuages : Par le diable tu es un propre-à-rien! . » (P. 68)
  • « Il était environ onze heures. La rue était passablement obscure, il y avait des gens qui déambulaient partout, couples silencieux et groupes bruyants tour à tour. le grand moment était arrivé, l’heure de l’accouplement où le trafic secret bat son plein et où les joyeuses aventures commencent. Jupes froufroutantes de jeunes filles, ça et là, un rire bref et sensuel, des seins houleux, des haleines violentes, haletantes. Tout en bas, vers le Grand-Hôtel, une voix qui crie : « Emma ! » La rue  tout entière était un marais, d’où montaient de brûlantes exhalaisons
  • « Dieu bon, dans quel triste état j’étais maintenant! J’étais si profondément dégoûté et fatigué de ma vie misérable tout entière que je ne trouvais plus qu’il valût la peine de lutter pour la conserver. L’adversité avait pris le dessus, elle avait été trop rude. J’étais extraordinairement délabré, absolument l’ombre de ce que j’avais été un jour. mes épaules s’étaient affaissées, complètement déjetées de côté et j’avais pris l’habitude d’aller courbé de l’avant lorsque je marchais pour épargner tant soit peu ma poitrine. J’avais fait l’examen de mon corps quelques jours plus tôt, vers midi, dans ma chambre, et j’avais pleuré sur lui tout le temps. Il y avait des semaines que je portais la même chemise, elle était toute raide de transpiration et elle m’avait écorché le nombril. Il sortait de la plaie un peu d’eau sanguinolente mais cela ne faisait pas mal, c’était seulement affligeant d’avoir cette plaie en plein milieu du ventre. Je n’avais aucun remède là contre et elle ne cicatrisait pas toute seule. Je la lavais, la séchais soigneusement et remettais la même chemise. Il n’y avait rien à faire. » (P. 118)

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