
Magnifique huis clos entre le juge et le prévenu. Le juge s’exprime peu, quelques questions par ci, par là afin de préciser un point de l’exposé du prévenu. Martial quant à lui, parle, déverse tout ce qu’il a sur le cœur, donne l’impression de se libérer d’un poids. Sa pensée est un peu décousue parfois, pas toujours chronologique, traduisant une relative indifférence vis à vis des risques qu’il encourt.
Martial est un vieil ouvrier de l’arsenal.
A la fermeture de celui-ci, il a perçu 400 000 francs, une belle somme pour l’époque. Modeste, il n’a pas de besoin particulier : il occupe gracieusement un petit appartement du château, dont il en tond les pelouses, en échange. Alors il envisage d’investir cette somme dans l’acquisition d’un beau bateau pour aller à la pêche…un bateau un peu comme celui d’Antoine Lazenec, promoteur immobilier, avec lequel il part régulièrement taquiner les loups. A l’occasion d’une partie de pêche, entre deux poissons, il parle incidemment de ces 400 000 Francs…il vient sans le savoir de ferrer un requin, un requin des affaires, qui ne le lâchera pas et fera tout afin qu’il investisse cette belle somme dans un magnifique appartement vue sur mer, dans le complexe touristique qu’il envisage de construire.
Editions de Minuit – 2017 – 174 pages
Qui est Tanguy Viel
Quelques lignes
- « Vous étiez dans le Sud avant. Vous avez dû en voir, des types qui embrassent tout le monde avec un poignard dans l’autre main. Nous, bien sûr, ce sont des histoires qu’on préfère voir dans le Sud que chez nous. Mais on a beau le savoir, on a beau l’avoir imprimé noir sur blanc dans le fond de son crâne, qu’un type qui vous embrasse si chaleureusement, ça n’a rien de rassurant, oui, on a beau le savoir, quand ça vous tombe dessus, ça ne fait pas pareil. » (P. 63)
- « Ça va faire six ans, j’ai dit. Que j’ai fait un chèque de cinq cent douze mille francs à un certain Antoine Lazenec, six ans! » (P. 89)
- « Et depuis lors, j’ai dit au juge, au lieu des sacs de mortier et des parpaings scellés un à un, ce sont seulement des semaines et puis des mois et puis des années qui sont venus s’agréger et se tenir comme un bloc compact et de plus en plus opaque, un temps horizontal et lourd qui a passé, et que j’ai vu s’amonceler lui aussi comme un immeuble sous nos yeux, mais du genre d’immeuble qu’on ne peut pas dire qu’on va détruire une fois qu’il est là. » (P. 96)